Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 13.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miserrimum sit (apodose). Cic. ad Torquatum.

2°. Si après une proposition qui a par elle-même un sens complet, & dont le tour ne donne pas lieu d’attendre autre chose, on ajoute une autre proposition qui serve d’explication ou d’extension à la premiere ; il faut séparer l’une de l’autre par une ponctuation plus forte d’un degré que celle qui auroit distingué les parties de l’une ou de l’autre.

Si les deux propositions sont simples & sans division, une virgule est suffisante entre deux. Exemple : La plupart des hommes s’exposent assez dans la guerre pour sauver leur honneur, mais peu se veulent exposer autant qu’il est nécessaire pour faire réussir le dessein pour lequel ils s’exposent. La Rochefoucault, pensée ccxix.

Si l’une des deux ou si toutes deux sont divisées par des virgules, soit pour les besoins de l’organe, soit pour la distinction des membres dont elles sont composées comme périodes ; il faut les distinguer l’une de l’autre par un point & une virgule. Exemple : Roscius est un si excellent acteur, qu’il paroît seul digne de monter sur le théâtre ; mais d’un autre côté il est si homme de bien, qu’il paroît seul digne de n’y monter jamais. Cic. pour Roscius, trad. par M. Restaut, ch. xvj.

Enfin si les divisions subalternes de l’une des deux propositions ou de toutes deux exigent un point & une virgule ; il faut deux points entre les deux. Exemple : Si les beautés de l’élocution oratoire ou poétique étoient palpables, qu’on pût les toucher au doigt & à l’œil, comme on dit ; rien ne seroit si commun que l’éloquence, un médiocre génie pourroit y atteindre : & quelquefois, faute de les connoître assez, un homme né pour l’éloquence reste en chemin ou s’égare dans la route. M. Batteux, princ. de la littérat. part. III. art. iij. §. 9.

3°. Si une énumération est précédée d’une proposition détachée qui l’annonce, ou qui en montre l’objet sous un aspect général ; cette proposition doit être distinguée du détail par deux points, & le détail doit être ponctué comme il a été dit, regle 4. du II. article. Exemples :

Il y a dans la nature de l’homme deux principes opposés : l’amour-propre, qui nous rappelle à nous, & la bienveillance, qui nous répand. M. Diderot, ép. dédic. du Pere de famille.

Il y a diverses sortes de curiosités : l’une d’intérêt, qui nous porte à desirer d’apprendre ce qui nous peut être utile ; & l’autre d’orgueil, qui vient du desir de savoir ce que les autres ignorent. La Rochefoucault, pensée clxxiij.

4° Il me semble qu’un détail de maximes relatives à un point capital, de sentences adaptées à une même fin, si elles sont toutes construites à-peu-près de la même maniere, peuvent & doivent être distinguées par les deux points. Chacune étant une proposition complete grammaticalement, & même indépendante des autres quant au sens, du-moins jusqu’à un certain point, elles doivent être séparées autant qu’il est possible ; mais comme elles sont pourtant relatives à une même fin, à un même point capital, il faut les rapprocher en ne les distinguant pas par la plus forte des ponctuations : c’est donc les deux points qu’il y faut employer. Exemple :

L’heureuse conformation des organes s’annonce par un air de force : celle des fluides, par un air de vivacité : un air fin est comme l’étincelle de l’esprit : un air doux promet des égards flateurs : un air noble marque l’élévation des sentimens : un air tendre semble être le garant d’un retour d’amitié. Théor. des sent. ch. v.

5°. C’est un usage universel & fondé en raison, de mettre les deux points après qu’on a annoncé un discours direct que l’on va rapporter, soit qu’on le cite comme ayant été dit ou écrit, soit qu’on le propose comme pouvant être dit ou par un autre ou par soi-même.

Ce discours tient, comme complément, à la proposition qui l’a annoncé ; & il y auroit une sorte d’inconséquence à l’en séparer par un point simple, qui marque une indépendance entiere : mais il en est pourtant très-distingué, puisqu’il n’appartient pas à celui qui le rapporte, ou qu’il ne lui appartient qu’historiquement, au lieu que l’annonce est actuelle ; il est donc raisonnable de séparer le discours direct de l’annonce par la ponctuation la plus forte au-dessous du point, c’est-à-dire par les deux points. Exemples :

Lorsque j’entendis les scenes du paysan dans le faux généreux, je dis : « voilà qui plaira à toute la terre & dans tous les tems, voilà qui fera fondre en larmes ». M. Diderot, de la Poésie dramatique.

La Mollesse en pleurant, sur un bras se releve,
Ouvre un œil languissant, & d’une foible voix,
Laisse tomber ces mots, qu’elle interrompt vingt fois :
« O nuit, que m’as-tu dit ? quel demon sur la terre
» Souffle dans tous les cœurs la fatigue & la guerre ?
» Helas ! qu’est devenu ce tems, ces heureux tems
» Où les rois s’honoroient du nom de fainéans,
» S’endormoient sur le trône,
&c. » Despréaux.

Dans la tragédie d’Edouard III. M. Gresset fait parler ainsi Alzonde, héritiere du royaume d’Ecosse : (act. j. sc. j.)

S’élevant contre moi de la nuit éternelle,
La voix de mes ayeux dans leur séjour m’appelle ;
Je les entends encor : « Nous regnons, & tu sers !
» Nous te laissons un sceptre, & tu portes des fers !
» Regne : ou prête à tomber si l’Ecosse chancelle,
» Si son regne est passé ; tombe, expire avant elle :
» Il n’est dans l’univers, dans ce malheur nouveau,
» Que deux places pour toi, le trône ou le tombeau ».

Il faut remarquer que le discours direct que l’on rapporte, doit commencer par une lettre capitale, quoiqu’on ne mette pas un point à la fin de la phrase précédente. Si c’est un discours feint, comme ceux des exemples précédens, on a coûtume de le distinguer du reste par des guillemets : si c’est un discours écrit que l’on cite, il est assez ordinaire de le rapporter en un autre caractere que le reste du discours où celui-là est introduit, soit en opposant l’italique au romain, soit en opposant différens corps de caracteres, de l’une ou de l’autre de ces deux especes. Voyez Caractere.

IV. Du point. Il y a trois sortes de points ; le point simple, le point interrogatif, & le point admiratif ou exclamatif.

1°. Le point simple est sujet à l’influence de la proportion qui jusqu’ici a paru regler l’usage des autres signes de ponctuation : ainsi il doit être mis après une période ou une proposition composée, dans laquelle on a fait usage des deux points en vertu de quelqu’une des regles précédentes ; mais on l’emploie encore après toutes les propositions qui ont un sens absolument terminé, telle, par exemple, que la conclusion d’un raisonnement, quand elle est précédée de ses prémisses.

On peut encore remarquer que le besoin de prendre des repos un peu considérables, combiné avec les différens degrés de relation qui se trouvent entre les sens partiels d’un ensemble, donne encore lieu d’employer le point. Par exemple, un récit peut se diviser par le secours du point, relativement aux faits élémentaires, si je puis le dire, qui en sont la matiere.

En un mot, on le met à la fin de toutes les phrases qui ont un sens tout-à-fait indépendant de ce qui suit, ou du-moins qui n’ont de liaison avec la suite que par la convenance de la matiere & l’analogie générale des pensées dirigées vers une même fin. Je vou-