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puissent être trempées toutes entieres dans une composition qui doit avoir la consistence d’une purée ? Car il ne faut pas s’y tromper ; pour que la couverte soit bien unie, il faut absolument que la piece soit trempée dans la composition qui doit former la couverte, ou que cette composition soit versée sur la piece. Lorsque l’on a voulu se servir du pinceau pour mettre la couverte, comme cela est arrivé sur des magots de la Chine, dont on vouloit laisser plusieurs parties sans couverte, il est très-facile d’y distinguer les traits du pinceau, & la couverte n’y paroît jamais bien unie.

La méchanique de ce que dit le P. d’Entrecolles du pié des tasses que l’on laisse massif, & qu’on ne met sur le tour pour le creuser qu’après avoir donné le vernis ou la couverte en-dedans & en-dehors, & l’avoir laissée sécher paroît assez difficile à expliquer. On sent bien que les Chinois, en laissant le pié des tasses massifs, se servent de ce pié pour coller avec de la pâte les tasses sur le tour toutes les fois qu’elles changent de main ; mais comment une tasse lorsqu’elle est vernie & seche peut-elle être assez assujettie sur le tour pour que l’on puisse en creuser le pié avec un outil, sans que les points de contact qui assujettissent la tasse en dérangent le vernis ?

Il paroît cependant constant dans plusieurs autres endroits de la relation du P. d’Entrecolles, que le vernis est mis sur la porcelaine avant la cuisson ; puisqu’il y est dit qu’on a fait pour l’empereur des ouvrages si fins & si délicats, qu’on étoit obligé de souffler le vernis dessus, parce qu’il n’avoit pas été possible de les plonger dedans sans s’exposer à les rompre, & qu’on les mettoit sur du coton. Il est certain que quelque minces que fussent ces ouvrages, on n’auroit pas été exposé à cette crainte, s’ils avoient eu une premiere cuisson.

Le même auteur, parlant d’une espece de porcelaine colorée qui se vend à meilleur compte, dit qu’on fait cuire celles-là sans qu’elles ayent été vernissées, par conséquent toutes blanches & n’ayant aucun lustre. Il ajoute qu’on les colore après la cuisson en les plongeant dans un vase où la couleur est préparée, & qu’on les remet de nouveau au fourneau, mais dans un endroit où le feu a moins d’activité, parce qu’un grand feu anéantiroit les couleurs.

Puisque le P. d’Entrecolles fait une distinction de cette espece de porcelaine avec l’autre, il en faut conclure qu’il a bien vû que les Chinois mettoient leur vernis sur la porcelaine avant qu’elle eût été cuite, & que tout se trouvoit achevé au fourneau par une seule & même cuisson ; si la porcelaine ordinaire des Chinois avoit eu besoin d’aller deux fois au feu, il n’auroit pas manqué de le dire, comme il l’a fait au sujet de cette derniere-ci.

Quant à la difficulté de donner le vernis aux grandes pieces, on voit que les Chinois ont donné plus d’épaisseur à proportion de la grandeur à leurs vases ; & que lorsqu’ils ont voulu donner le vernis à des vases qu’ils avoient tenu très-minces, ils ont, suivant le P. d’Entrecolles, eu la précaution de donner deux couches en attendant pour donner la seconde que la premiere fût seche, le besoin des deux couches suppose que dans ce cas le vernis étoit trop liquide pour qu’une seule pût être suffisante ; ce qui prouve que le vernis trop épais expose les pieces minces à se casser quand on le leur donne, & que par conséquent ces pieces n’avoient point été cuites.

Pour ce qui est de l’inconvénient de toucher aux pieces déja vernies, il paroît que l’on peut moins gâter le vernis lorsqu’il a été donné à une piece qui n’a point été cuite, que lorsqu’il a été appliqué sur une piece qui a eu sa cuisson ; dans le premier cas le vernis pénetre un peu dans la surface de la piece, & dans

l’autre il n’y pénetre point du tout ; ce qui le rend plus facile à être enlevé. Il paroît donc constant que les Chinois donnent le vernis à leur porcelaine avant qu’elle ait passé au feu des fourneaux ; ce qui la rend à meilleur marché, puisqu’il en coûte de moins le bois qu’on emploiroit à la cuisson de la couverte. Mais comment cette porcelaine peut-elle souffrir d’être plongée dans le vernis sans se rompre ? Il faut se souvenir que le pere d’Entrecolles dit que le premier ouvrier forme la tasse sur la roue en élevant le morceau de pâte destiné à la faire, comme nous le pratiquons ; que cette tasse passe à un second ouvrier qui l’assied sur sa base, c’est-à-dire, qui forme son pié de la grosseur qu’il doit avoir, sans cependant la creuser, afin que ce pié massif serve à attacher sur le tour la tasse avec de la pâte, lorsque la tasse passe aux autres ouvriers ; le troisieme ouvrier reçoit alors la tasse, & la met sur son moule qui est une espece de tour ; il la presse sur ce moule également de tous les côtés : il faut que ce soit le moule & la pression que l’on fait de la pâte par son moyen, qui contribue à rendre les parois de la tasse assez forts pour, lorsqu’elle est seche, résister à l’impression qu’y cause le vernis : d’ailleurs on commence à donner le vernis dans le dedans de la tasse, & on le laisse secher avant que de le donner en-dehors ; la couche de vernis du dedans étant seche, fait une épaisseur de plus qui donne de la force à la tasse pour supporter la couche du dehors.

La méchanique du creusement du pié, après que la tasse a eu entierement son vernis, paroît assez difficile à imaginer ; cela ne peut pas s’exécuter en renversant la tasse sur le tour : comment y assujettir la tasse sans gâter le vernis, & comment préserver le vernis de la poussiere que le travail de l’outil y répandroit ? Il est plus vraissemblable d’imaginer que le pié se creuse en tenant la tasse dans sa situation naturelle, collée sur le tour par un morceau de pâte qui éleve le pié, & donne moyen de le creuser en-dessous avec un outil crochu.

Puisqu’on connoît en Europe des matieres de la même qualité que celles dont les Chinois font leur porcelaine, on connoîtra aussi celles qui sont décrites par le pere d’Entrecolles, pour en faire le vernis. Il n’y a qu’une matiere que les Chinois nomment du ché kao, qui pourroit embarrasser ; mais on trouve ce minéral que les uns ont cru mal-à-propos être du borax, & les autres de l’alun, très-bien décrit dans le manuscrit du médecin chinois, que M. de Jussieu a entre les mains, & qu’on a déja cité. Le médecin chinois dit que le ché kao est blanc & brillant, qu’il est friable ; & que quand on le fait passer par le feu, il se réduit aisément en un sel blanc, fin & brillant, mais qui tient un peu du verre, & où on remarque de petites lignes longues & fines comme des filets de soie : il ajoute qu’il se trouve en morceaux avec des raies droites, & des especes de côtes blanches & dures comme des dents de cheval ; quand on le frappe, il se rompt aisément en diverses pieces, mais en-travers ; il a différentes lames qui se séparent facilement & qui sont brillantes, mais ce brillant se perd à la calcination.

Il y en a de parfaitement semblable aux environs de Toulouse ; & comme on a vu que ce n’est qu’un beau gyps, il y a lieu de croire que l’on pourroit employer pour le même effet avec succès tous les gyps transparens.

Ce minéral calciné sert à rendre le vernis des Chinois plus épais ; & conjointement avec la chaux, il sert aussi à le rendre un peu opaque, & blanc lorsque le feu l’a mis en fusion. Car en regardant le pié de toutes les porcelaines de la Chine, dont on a ôté le vernis pour qu’elles ne s’attachassent point par-là dans la cuisson, il n’y a personne qui ne voie clairement que la couverte de la porcelaine de la Chine doit être un