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On peut conclure de que l’on vient de voir, que la meilleure terre pour les porcelaines d’Europe, que l’on nommera porcelaine à fritte, est celle qui en admettant la plus grande quantité de fritte en se fondant avec au feu, fait une pâte qui peut être travaillée plus facilement. Il y a même des manufactures où l’on est obligé de rendre gommeuse ou visqueuse l’eau avec laquelle on forme la pâte. Cette terre, dans la plus grande partie des manufactures, est calcaire ; ce n’est pas que l’argille n’y fût aussi propre, & peut-être meilleure, mais on trouve difficilement de l’argille blanche & qui reste telle au feu. D’ailleurs il y a des terres calcaires colorées naturellement, qui blanchissent au feu, au lieu que dans les argilles la moindre couleur au lieu d’être emportée par le feu, ne fait qu’y devenir plus foncée. Ce qui doit faire conjecturer que les métaux attachés à une terre calcaire sont plus aisément emportés par le feu que ceux qui se trouvent dans l’argille, parce que l’argille seule entre en fusion, ce que ne fait pas la terre calcaire seule.

On juge aisément par tout ce que l’on vient de dire touchant la nature des matieres qui composent la porcelaine d’Europe, de tous les inconvéniens auxquels elle doit être sujette. La fritte, qui est la matiere même avec laquelle on fait le verre, entrant dans la composition communément pour les , pour peu que le feu soit trop violent ou continue trop long-tems, sa vitrification s’acheve. Il faut donc saisir le moment où la vitrification est à moitié faite, pour cesser le feu. Comment peut-on espérer que ce degré de feu se sera distribué également dans toute la capacité du fourneau ; que les pieces qui auront le plus d’épaisseur auront été assez échauffées, & que les plus minces ne l’auront pas été trop ? Il arrive très-souvent que le feu agit avec plus de force dans certaines parties du fourneau que dans les autres ; la fusion de la porcelaine ou plutôt d’un vase, est par-là plus accélérée dans une de ses parties que dans les autres, & le vase se trouve nécessairement déformé. Cet accident est si ordinaire, que l’on ne manque jamais d’ajuster aux gobelets, avant de les exposer au four, un couvercle qui embrassant extérieurement le cercle du gobelet, le contient dans sa rondeur. Comme ce couvercle doit être de la même pâte que le gobelet, & qu’il ne sert qu’une fois, cela fait une partie de la matiere en pure perte. On est obligé de mettre des supports aux pieces où il se trouve des parties détachées qui avancent, pour les ôter après la cuisson. Il ne doit donc pas paroître étonnant que l’on trouve dans cette porcelaine un aussi grand nombre de pieces défectueuses & déformées, & qu’il se trouve beaucoup de morceaux qu’il ne soit pas possible d’exécuter. On voit par la cassure de cette porcelaine, qui est lisse comme celle du verre, & point grainée, que ce n’est à-proprement parler qu’un verre rendu opaque par une terre grasse.

La porcelaine de Saxe mérite cependant une exception parmi les porcelaines d’Europe. On soupçonne qu’elle est composée d’une terre grasse, mêlée avec du spath fusible calciné. On peut voir dans la Lithogéognosie de M. Poth, avec quelle facilité le spath fusible vitrifie toutes les terres avec lesquelles on le mêle ; il n’a donc plus été question dans la porcelaine de Saxe que de chercher la dose de spath fusible propre à ne produire que la demi-vitrification qui constitue la porcelaine, & cette dose s’étant trouvée beaucoup plus petite que celle de la fritte qu’on est obligé d’employer vis-à-vis de la terre grasse dans les autres porcelaines d’Europe dont on vient de parler, & d’ailleurs plus facile à se lier ; il en est résulté une pâte plus facile à travailler, & sujette à moins d’accidens. En un mot, dans les porcelaines à fritte, la terre grasse mêlée avec la fritte fait

une porcelaine, quand on saisit la matiere à moitié vitrifiée ; & dans la porcelaine de Saxe, le spath met en fusion, vitrifie la terre grasse, & fait une porcelaine, lorsqu’on n’a mis que la quantité nécessaire de spath pour vitrifier la terre grasse à moitié.

Il faut convenir que la porcelaine de Saxe est fort au-dessus de toutes les autres porcelaines d’Europe, dont la fritte fait la plus grande partie de la composition ; elle se vitrifie beaucoup plus difficilement, puisque l’on peut faire fondre un gobelet de porcelaine à fritte dans un gobelet de porcelaine de Saxe, sans que ce dernier en soit endommagé. Comme il n’entre point de sels dans sa composition comme dans celle de la fritte, le passage à l’entiere vitrification est beaucoup plus difficile & plus long que dans la porcelaine à fritte, dont la facilité des sels à se mettre en fusion fait un passage plus prompt de la demi-vitrification à la vitrification entiere.

Par conséquent les pieces qui auront plus d’épaisseur se trouveront suffisamment cuites, sans que les pieces plus minces ayent passé à la vitrification ; & les ouvrages dans lesquels il se trouve des endroits minces & d’autres plus épais, ne seront point déformés ; ce qui rend cette porcelaine moins sujette à produire des pieces de rebut, & plus propre à exécuter des ouvrages délicats que la porcelaine à fritte.

On a exposé de la porcelaine de Saxe à côté de la porcelaine de la Chine au feu le plus violent pendant deux fois vingt-quatre heures, les deux terres ont également résisté à la fusion, & leurs cassures n’en ont paru que plus blanches & plus belles ; mais la couverte de la porcelaine de la Chine a coulé en une espece de verre verd, tandis que celle de la porcelaine de Saxe est seulement devenue plus aride, & n’en est pas restée moins blanche. Dans l’une & dans l’autre porcelaine, les couleurs qui étoient sur la couverte ont été détruites, & celles qui étoient dessous ont été fort endommagées.

La porcelaine des Indes n’est par sa nature sujette à aucun des inconvéniens de la porcelaine d’Europe, on a vû que dans cette derniere son principal défaut se trouvoit plus grand à proportion qu’elle avoit plus de facilité à être poussée à l’entiere vitrification. Celle des Indes ne peut pas, pour ainsi dire, être poussée jusqu’à ce point, puisqu’on l’a employée à servir de support aux matieres les plus difficiles à fondre que l’on a exposées aux miroirs ardens les plus forts. Il n’entre que deux, ou tout-au-plus trois matieres différentes dans la composition, dans laquelle les verres & par conséquent les sels ne sont pour rien ; chacune des manufactures d’Europe fait un grand secret des matieres qu’elle emploie pour la porcelaine ; il n’y a que celle des Indes qui n’en soit point un. Le P. d’Entrecolles, jésuite, a donné une description très-ample des matieres qui la composent & de leurs manipulations, dans le recueil des lettres édifiantes ; cette description a depuis été copiée dans l’histoire de la Chine du P. du Halde, dans le dictionnaire du commerce, dans l’histoire des voyages, & dans le recueil d’observations curieuses ; il est donc inutile de répéter ici une chose qui a été dite tant de fois ; on fera seulement quelques observations sur la nature des matieres, & sur quelques points de manipulation que le P. d’Entrecolles peut n’avoir pas bien vus. En attendant on commence par assûrer que quelque différence que l’on imagine entre le terroir des Indes & celui de l’Europe, on peut cependant trouver en ce pays-ci & dans beaucoup d’autres de cette partie du monde des matieres qui, si elles ne sont pas absolument semblables à celles dont on fait la porcelaine dans les Indes, leur sont assez analogues pour qu’on soit certain d’en faire une qui aura les mêmes qualités, & sera pour le moins aussi belle.

Le petuntse & le kaolin sont les deux matieres