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prennent une précaution pour conserver la couleur qui tombe sur la porcelaine, & n’en perdre que le moins qu’il est possible. Cette précaution est de placer le vase sur un piédestal, d’étendre sous le piédestal une grande feuille de papier, qui sert durant quelque tems. Quand l’asur est sec, ils le retirent, en frottant le papier avec une petite brosse.

De la composition des différentes couleurs. Mais pour mieux entrer dans le détail de la maniere dont les peintres chinois mélangent leurs couleurs, & en forment de nouvelles, il est bon d’expliquer quelle est la proportion & la mesure des poids de la Chine.

Le kin, ou la livre chinoise, est de seize onces, qui s’appellent léangs, ou taëls.

Le leang ou taël, est une once chinoise.

Le tsien, ou le mas, est la dixieme partie du léang ou taël.

Le fuen est la dixieme partie du tsien ou du mas.

Le ly est la dixieme partie du fuen.

Le har est la dixieme partie du ly.

Cela supposé, voici comment se compose le rouge qui se fait avec de la couperose, qui s’emploie sur les porcelaines recuites : sur un taël ou léang de céruse, on met deux mas de ce rouge ; on passe la céruse & le rouge par un tamis, & on les mêle ensemble à sec ; ensuite on les lie l’un avec l’autre avec de l’eau empreinte d’un peu de colle de vache, qui se vend réduite à la consistence de la colle de poisson. Cette colle fait qu’en peignant la porcelaine, le rouge s’y attache & ne coule pas. Comme les couleurs, si on les appliquoit trop épaisses, ne manqueroient pas de produire des inégalités sur la porcelaine, on a soin de tems-en-tems de tremper d’une main légere le pinceau dans l’eau, & ensuite dans la couleur dont on veut peindre.

Pour faire de la couleur blanche, sur un léang de céruse, on met trois mas & trois fuens de poudre de cailloux des plus transparens, qu’on a calcinés, après les avoir luttés dans une caisse de porcelaine enfouie dans le gravier du fourneau, avant que de le chauffer. Cette poudre doit être impalpable. On se sert d’eau simple, sans y mêler de la colle, pour l’incorporer avec la céruse.

On fait le verd foncé, en mettant sur un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, avec huit fuens ou près d’un amas de toughou-pieu, qui n’est autre chose que la crasse qui sort du cuivre lorsqu’on le fond. On vient d’apprendre qu’en employant du toug-hoa-pien pour le verd, il faut le laver, & en séparer avec soin la grenaille de cuivre qui s’y trouveroit mêlée, & qui n’est pas propre pour le verd. Il ne faut y employer que les écailles, c’est-à-dire les parties de ce métal qui se séparent lorsqu’on les met en œuvre.

Pour ce qui est de la couleur jaune, on la fait en mettant sur un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, & un fuen huit lys de rouge pur, qui n’ait point été mêlé avec la céruse.

Un taël de céruse, trois mas & trois fuens de poudre de caillou, & deux lys d’azur, forment un bleu foncé, qui tire sur le violet.

Le mélange de verd & de blanc, par exemple, d’une part de verd sur deux parts de blanc, fait le verd d’eau, qui est très-clair.

Le mélange du verd & du jaune, par exemple, de deux tasses de verd foncé sur une tasse de jaune, fait le verd coulon, qui ressemble à une feuille un peu fanée.

Pour faire le noir, on délaye l’asur dans de l’eau ; il faut qu’il soit tant-soit-peu épais : on y mêle un peu de colle de vache macérée dans la chaux, & cuite jusqu’à là consistence de colle de poisson. Quand on a peint de ce noir la porcelaine qu’on veut recuire, on couvre de blanc les endroits noirs. Durant la cuite,

ce blanc s’incorpore dans le noir, de même que le vernis ordinaire s’incorpore dans le bleu de la porcelaine commune.

De la couleur appellée tsiu. Il y a une autre couleur appellée tsiu : ce tsiu est une pierre ou minéral, qui ressemble assez au vitriol romain, & qui vraissemblablement se tire de quelque mine de plomb, & portant avec lui des parcelles imperceptibles de plomb ; il s’insinue de lui-même dans la porcelaine, sans le secours de la céruse, qui est le véhicule des autres couleurs qu’on donne à la porcelaine recuite.

C’est de ce tsiu qu’on fait le violet foncé. On en trouve à Canton, & il en vient de Peking ; mais ce dernier est bien meilleur. Aussi se vend-il un taël huit mas la livre, c’est-à-dire 9 liv.

Le tsiu se fond, & quand il est fondu ou ramolli, les orfevres l’appliquent en forme d’émail, sur des ouvrages d’argent. Ils mettront par exemple, un petit cercle de tsiu dans le tour d’une bague, ou bien ils en rempliront le haut d’une aiguille de tête, & l’y enchâssent en forme de pierrerie. Cette espece d’émail se détache à la longue ; mais on tâche d’obvier à cet inconvénient en le mettant sur une legere couche de colle de poisson ou de vache.

Le tsiu, de même que les autres couleurs dont on vient de parler, ne s’emploie que sur la porcelaine qu’on recuit. Telle est la préparation du tsiu : on ne le rôtit point comme l’asur ; mais on le brise & on le réduit en une poudre très fine ; on le jette dans un vase plein d’eau, on l’y agite un peu, ensuite on jette cette eau où il se trouve quelque saleté, & l’on garde le crystal qui est tombé au fond du vase. Cette masse ainsi délayée, perd sa belle couleur, & paroît en-dehors un peu cendrée. Mais le tsiu recouvre sa couleur violette dès que la porcelaine est cuite. On conserve le tsiu aussi long-tems qu’on le souhaite. Quand on veut peindre en cette couleur quelques vases de porcelaine, il suffit de la délayer avec de l’eau, en y mêlant si l’on veut, un peu de colle de vache ; ce que quelques-uns ne jugent pas nécessaire. C’est de quoi l’on peut s’instruire par l’essai.

Pour dorer ou argenter la porcelaine, on met deux fuens de céruse sur deux mas de feuilles d’or ou d’argent, qu’on a eu soin de dissoudre. L’argent sur le vernis tsikin a beaucoup d’éclat. Si l’on peint les unes en or & les autres on argent, les pieces argentées ne doivent pas demeurer dans le petit fourneau autant de tems que les pieces dorées ; autrement l’argent disparoîtroit avant que l’or eût pû atteindre le degré de cuite qui lui donne son éclat.

De la porcelaine colorée & de sa fabrique. Il y a une espece de porcelaine colorée qui se vend à meilleur compte que celle qui est peinte avec les couleurs dont on vient de parler. Pour faire ces sortes d’ouvrages, il n’est pas nécessaire que la matiere qui doit y être employée, soit si fine : on prend des tasses qui ont déja été cuites dans le grand fourneau, sans qu’elles y aient été vernissées, & par conséquent qui sont toutes blanches, & qui n’ont aucun lustre : on les colore en les plongeant dans le vase où est la couleur préparée, quand on veut qu’elles soient d’une même couleur ; mais si on les souhaite de différentes couleurs, tels que sont les ouvrages qui sont partagés en espece de panneaux, dont l’un est verd & l’autre jaune, &c. on applique ces couleurs avec un gros pinceau. C’est toute la façon qu’on donne à cette porcelaine, si ce n’est qu’après la cuite, on met en certains endroits un peu de vermillon, comme, par exemple, sur le bec de certains animaux ; mais cette couleur ne se cuit pas, parce qu’elle disparoîtroit au feu ; aussi est-elle de peu de durée.

Quand on applique les autres couleurs, on recuit la porcelaine dans le grand fourneau avec d’autres porcelaines qui n’ont pas encore été cuites : il faut avoir