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préparatifs qu’on y apporte ; aux différentes especes de porcelaine, & à la maniere de les former ; à l’huile qui lui donne de l’éclat, & à ses qualités ; aux couleurs qui en font l’ornement, & à l’art de les appliquer ; à la cuisson, & aux mesures qui se prennent pour lui donner le degré de chaleur qui lui convient : enfin on finira par quelques réflexions sur la porcelaine ancienne, sur la moderne, & sur certaines choses qui rendent impraticables aux Chinois des ouvrages dont on a envoyé & dont on pourroit envoyer les desseins. Ces ouvrages où il est impossible de réussir à la Chine, se feroient peut-être facilement en Europe, si l’on y trouvoit les mêmes matériaux.

Du nom & de la matiere de la porcelaine. Mais avant que de commencer, il est à-propos de détromper ceux qui croiroient peut-être que le nom de porcelaine vient d’un mot chinois. A la vérité il y a des mots, quoiqu’en petit nombre, qui sont françois & chinois tout ensemble : ce que nous appellons thé par exemple, a pareillement le nom de thé dans la province de Fokien, quoiqu’il s’appelle tcha dans la langue mandarine ; mais pour ce qui est du nom de porcelaine, c’est si peu un mot chinois, qu’aucune des syllabes qui le composent ne peut ni être prononcée, ni être écrite par des chinois, ces sons ne se trouvant point dans leur langue. Il y a apparence que c’est des Portugais qu’on a pris ce nom, quoique parmi eux porcelana signifie proprement une tasse ou une écuelle, & que loca soit le nom qu’ils donnent généralement à tous les ouvrages que nous nommons porcelaine. Les Chinois l’appellent communément tse-ki.

La matiere de la porcelaine se compose de deux sortes de terre, l’une appellée pet-un-tse, & l’autre qu’on nomme ka-olin ; celle-ci est parsemée de corpuscules qui ont quelque éclat, l’autre est simplement blanche & très-fine au toucher. En même tems qu’un grand nombre de grosses barques remontent la riviere de Jaotheou à King-te-tching pour se charger de porcelaine, il en descend de Ki mu en presque autant de petites, qui sont chargées de pe-tun-tse & de kaolin réduits en forme de briques ; car King-te-tching ne produit aucun des matériaux propres à la porcelaine.

Les pe-tun-tse dont le grain est si fin, ne sont autre chose que des quartiers de rochers qu’on tire des carrieres, & auxquels on donne cette forme. Toute sorte de pierre n’est pas propre à former le pe-tun-tse, autrement il seroit inutile d’en aller chercher à vingt ou trente lieues dans la province voisine. La bonne pierre, disent les Chinois, doit tirer un peu sur le verd.

De sa préparation. Voici quelle est la Ie. préparation : on se sert d’une massue de fer pour briser ces quartiers de pierre ; après quoi on met les morceaux brisés dans des mortiers, & par le moyen de certains leviers, qui ont une tête de pierre armée de fer, on acheve de les réduire en une poudre très-fine. Ces leviers jouent sans cesse, ou par le travail des hommes, ou par le moyen de l’eau, de la même maniere que font les martinets dans les moulins à papier.

On jette ensuite cette poussiere dans une grande urne remplie d’eau, & on la remue fortement avec une pelle de fer. Quand on la laisse reposer quelques momens, il surnage une espece de crême épaisse de quatre à cinq doigts ; on la leve, & on la verse dans un autre vase plein d’eau. On agite ainsi plusieurs fois l’eau de la premiere urne, recueillant à chaque fois le nuage qui s’est formé, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que le gros marc que son poids précipite d’abord : on le tire, & on le pile de nouveau.

Au regard de la seconde urne où a été jetté ce que l’on a recueilli de la premiere, on attend qu’il se soit formé au fond une espece de pâte : lorsque l’eau paroît au-dessus fort claire, on la verse par inclination

pour ne pas troubler le sédiment ; & l’on jette cette pâte dans de grands moules propres à la secher. Avant qu’elle soit tout-à-fait durcie, on la partage en petits carreaux qu’on achete par centaines. Cette figure & sa couleur lui ont fait donner le nom de pe-tun-tse.

Les moules où se jette cette pâte sont des especes de caisses fort grandes & fort larges ; le fond est rempli de briques placées selon leur hauteur, de telle sorte que la superficie soit égale. Sur le lit de briques ainsi rangées, on étend une grosse toile qui remplit la capacité de la caisse ; alors on y verse la matiere, qu’on couvre peu-après d’une autre toile, sur laquelle on met un lit de briques couchées de plat les unes auprès des autres. Tout cela sert à exprimer l’eau plus promptement, sans que rien se perde de la matiere de la porcelaine, qui en se durcissant, reçoit aisément la figure des briques.

Il n’y auroit rien à ajouter à ce travail, si les Chinois n’étoient pas accoutumés à altérer leurs marchandises : mais des gens qui roulent de petits grains de pâte dans de la poussiere de poivre pour les en couvrir & les mêler avec du poivre véritable, n’ont garde de vendre les pe-tun-tse, sans y mêler du marc ; c’est pourquoi on est obligé de les purifier encore à King-te-tching, avant que de les mettre en œuvre.

Le ka-olin qui entre dans la composition de la porcelaine, demande un peu moins de travail que le petun-tse : la nature y a plus de part. On en trouve des mines dans le sein des montagnes qui sont couvertes au-dehors d’une terre rougeâtre. Ces mines sont assez profondes : on y trouve par grumeaux la matiere en question, dont on fait des quartiers en forme de carreaux, en observant la même méthode que j’ai marquée par rapport au pe-tun-tse. Le pere Dentrecolles n’est pas éloigné de croire que la terre blanche de Malte, qu’on appelle de St. Paul, auroit dans sa matrice beaucoup de rapport avec le ka-olin, quoiqu’on n’y remarque pas les petites parties argentées dont est semé le ka-olin.

C’est du ka-olin que la porcelaine tire toute sa fermeté : il en est comme les nerfs. Ainsi c’est le mélange d’une terre molle qui donne de la force aux pe-tun-tse, lesquels se tirent des plus durs rochers. On dit que des négocians européens ont fait acheter des pe-tun-tse pour faire de la porcelaine ; mais que n’ayant point pris de ka-olin, leur entreprise échoua.

Du hoa-ché qui entre dans la porcelaine. On a trouvé une nouvelle matiere propre à entrer dans la composition de la porcelaine : c’est une pierre ou une espece de craie qui s’appelle hoa-ché. Les ouvriers en porcelaine se sont avisés d’employer cette pierre à la place du ka-olin. Peut-être que tel endroit de l’Europe où l’on ne trouvera point du ka-olin, fourniroit la pierre hoa-ché. Elle se nomme hoa, parce qu’elle est glutineuse & qu’elle approche en quelque sorte du savon.

La porcelaine faite avec le hoa-ché est rare & beaucoup plus chere que l’autre : elle a un grain extrèmement fin ; & pour ce qui regarde l’ouvrage du pinceau, si on la compare à la porcelaine ordinaire, elle est à-peu-près ce qu’est le vélin au papier. De plus, cette porcelaine est d’une légereté qui surprend une main accoutumée à manier d’autres porcelaines ; aussi est-elle beaucoup plus fragile que la commune, & il est difficile d’attraper le véritable degré de sa cuite. Il y en a qui ne se servent pas du hoa-ché pour faire le corps de l’ouvrage ; ils se contentent d’en faire une colle assez déliée, où ils plongent la porcelaine quand elle est seche, afin qu’elle en prenne une couche, avant que de recevoir les couleurs & le vernis : par-là elle acquiert quelque degré de beauté.

De la maniere de mettre en œuvre le hoa-ché. Mais de quelle maniere met-on en œuvre le hoa-ché ? c’est ce