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de Moïse, de Josué, des Juges, de Ruth & de Samuel, d’une maniere sans comparaison plus détaillée que ne l’est celle du genre humain dans les premiers chapitres de la Genese, Elkana, pere de Samuel, est l’unique dans ce période de tems, dont il soit dit qu’il ait eu deux femmes. Si Moïse eût eu dessein de désigner Lamech sur le pié de novateur, il est probable qu’il eût ajouté à ce qu’il dit de ce bigame, quelque expression propre à faire connoître son dessein ; mais au contraire il s’exprime dans des termes aussi simples qu’il l’avoit fait quelques versets plus haut, en parlant des oblations de Caïn & d’Abel.

Quoi qu’il en soit, le discours que Lamech tint à ses deux femmes, en les apostrophant par ces paroles : Femmes de Lamech entendez ma voix, j’ai tué un homme pour ma blessure, & un jeune homme pour ma meurtrissure ; & Caïn sera vengé sept fois, & Lamech soixante & dix fois. Ce discours, dis-je, est une énigme beaucoup plus difficile à expliquer que la polygamie de l’époux d’Agha & de Tsilla. Cependant je ne puis taire à cette occasion, l’explication qu’en a donnée M. Shuckford dans son histoire sacrée & profane, tome I.

Les descendans de Cain, dit ce judicieux historien, craignirent pendant quelque tems que le reste de la famille d’Adam n’entreprît de se venger sur eux de la mort d’Abel. On croit que ce fut pour cette raison que Caïn bâtit une ville, afin que ses enfans demeurant près les uns des autres, fussent mieux en état de se réunir pour leur commune défense. Lamech tâcha de bannir leurs craintes ; c’est pourquoi ayant assemblé sa famille, il parla à-peu-près de cette maniere. « Pourquoi troublerions nous la tranquillité de notre vie par des défiances mal fondées ; quel mal avons-nous fait pour que nous soyons toujours dans la crainte ? Nous n’avons tué personne, nous n’avons pas fait la moindre injure à nos freres de l’autre famille, & certainement la raison doit leur apprendre qu’ils ne peuvent avoir aucun droit de nous nuire. Il est vrai que Caïn, un de nos ancêtres, tua Abel son frere. Mais Dieu a bien voulu pardonner ce crime jusqu’à menacer de punir sept fois au double, quiconque oseroit tuer Caïn. S’il est ainsi, ceux qui auroient la hardiesse de tuer quelqu’un de nous, devroient s’attendre à une punition beaucoup plus rigoureuse encore ; si Caïn est vengé sept fois, Lamech, ou qui que ce soit de son innocente famile, sera vengé soixante & dix-sept fois ». J’ai tué un homme, doit donc être traduit d’une maniere interrogative, ai-je tué un homme ? c. à. d. je n’ai pas tué un homme, ni un jeune homme, pour que je doive recevoir du mal, ou être puni. Le targum d’Onkelos jussifie cette explication du passage ; car elle le rend ainsi : « Je n’ai pas tué un homme, pour que le crime m’en soit imputé ; ni un jeune homme, pour que ma postérité doive être retranchée par cette raison. ».

Un anonyme a donné une autre explication fort ingénieuse du même passage de la Genese, c. iv. V. 2.3. Il soupçonne qu’il pourroit bien y avoir quelque légere faute de copiste, & il croit être parvenu à découvrir la véritable maniere en laquelle Moise a écrit. La simple inspection des caracteres hébreux suffit, dit-il, pour se convaincre de la ressemblance qu’il y a entre les mots הרותו, & הרגתו ; le premier qui signifie j’ai tué, se trouve aujourd’hui dans le texte, & y cause beaucoup d’embarras ; le second qui lui ressemble fort, & qui signifie j’ai engendré, formeroit un sens aisé & très-intelligible. Cette maniere de traduire, qui porte avec elle l’explication du passage, satisfait à toutes les regles qu’on s’est prescrites, & a outre cela divers avantages.

I. La liaison entre la premiere & la seconde partie du discours de Lamech, est sensible. Il a un fils pro-

pre à le défendre & à le venger ; ainsi il a lieu de s’attendre que si quelqu’un ose attenter à sa vie, sa mort ne demeurera point impunie. Peut-être Lamech s’imaginoit-il que Tubalcain étoit celui que la providence avoit destiné à être le vengeur de Caïn ; & personne en effet, ne semble avoir été plus propre a être le vengeur des torts & le réparateur des offenses, que celui qui avoit inventé les instrumens d’airain & de fer, dont on fait un si grand usage dans la guerre, & qui selon le témoignage de Josephe, étoit lui-même un grand guerrier. Josephe, antiq. l. I. c. v. Or Tubalcain ayant des relations bien plus proches avec Lamech qu’avec Caïn, puisque l’un étoit son pere, & l’autre seulement son cinquieme aïeul, il étoit naturel de penser qu’il prendroit les intérêts de l’un encore plus à cœur que ceux de l’autre, & qu’il vengeroit sa mort bien plus séverement. II. Si la confiance de Lamech a été fondée sur la bravoure de son fils, & non pas sur la sienne propre, elle a dû être de la même espece que celle de Caïn, qui ne s’attendoit pas à se venger soi même, mais a être vengé par un autre. III. On conserve l’affirmation. IV. Le sujet est intéressant, glorieux pour Lamech, & digne de toute l’emphase avec laquelle il parle ; surtout si l’on se transporte dans ces tems reculés, où l’usage fréquent des arts les plus utiles ne les ayant point encore avilis, on sentoit tout le prix de l’invention. La gloire de son fils est d’ailleurs une gloire domestique, dont il est naturel qu’il se félicite au milieu de sa famille. V. En suivant cette interprétation, le discours de Lamech roule sur le sujet dont Moïse parle immédiatement avant de le rapporter. Ainsi l’on voit pourquoi, & à quelle occasion il le fait. Chauffepié, diction. hist. & crit. (D. J.)

Polygamie, s. f. (Théolog.) mariage d’un seul homme avec plusieurs femmes.

Ce mot est composé du Grec πολὺς, plusieurs, & γάμος, mariage.

On distingue deux sortes de polygamie ; l’une simultanée & l’autre successive. La polygamie simultanée est lorsqu’un homme a tout à la fois plusieurs femmes. La polygamie successive est lorsqu’un homme épouse plusieurs femmes l’une après l’autre, après la mort de la premiere, de la seconde, &c. ou qu’il convole à des secondes, troisiemes, quatriemes noces. Voyez Mariage.

La pluralité des hommes pour une seule femme est quelque chose de mauvais en soi ; elle est contraire par elle-même à la fin principale du mariage, qui est la génération des enfans : aussi voit-on par l’histoire qu’il a toujours été défendu aux femmes d’avoir plusieurs maris. Il faut raisonner tout autrement de la polygamie simultanée par rapport aux hommes ; par elle-même elle n’est point opposée au droit naturel, ni à la premiere fin du mariage.

Cette espece de polygamie étoit tolérée parmi les Hébreux, & autorisée par l’exemple des patriarches. On ne la voit établie par aucune loi, & l’Ecriture qui nous donne le nom du premier bigame (Lamech) & de ses deux femmes, semble insinuer que son action ne fut pas approuvée des gens de bien, & qu’il en craignoit les suites.

Les Rabbins soutiennent que la polygamie étoit en usage des le commencement du monde, & qu’avant le déluge chaque homme avoit deux femmes. Tertulien croit au contraire que ce fut Lamech, qu’il appelle un homme maudit, qui pervertit le premier l’ordre établi de Dieu. Le pape Nicolas I. accuse Lamech d’adultere à cause de sa polygamie ; & le pape Innocent III. cap. gaudemus extra de divortio, soutient qu’il n’a jamais été permis d’avoir plusieurs femmes à la fois, sans une permission & une révélation particuliere de Dieu.

C’est par cette raison qu’on justifie la polygamie