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tuelle marquée par sum, & à l’égard de l’époque antérieure marquée par eram, & à l’égard de l’époque postérieure marquée par ero.

Ce ne sont donc point les relations de l’époque à l’acte de la parole, qui déterminent les présens, les prétérits & les futurs ; ce sont les relations de l’existence du sujet à l’époque même. Or tous les tems du participe étant indéfinis, expriment une relation déterminée de l’existence du sujet à une époque indéterminée, qui est ensuite caractérisée par le verbe qui accompagne le participe. Voilà la grande regle pour expliquer tous les exemples d’où Sanctius prétend inférer que les participes ne sont d’aucun tems.

Il faut y ajouter encore une observation importante. C’est que plusieurs mots, participes dans l’origine, sont devenus de purs adjectifs, parce que l’usage a supprimé de leur signification l’idée de l’existence qui caractérise les verbes, & conséquemment toute idée de tems ; tels sont en latin, sapiens, cautus, doctus, &c. en françois, plaisant, déplaisant, intriguant, intéressé, poli, &c. Or il peut arriver encore qu’il se trouve des exemples où de vrais participes soient employés comme purs adjectifs, avec abstraction de l’idée d’existence, & par conséquent, de l’idée du tems : mais loin d’en conclure que ces participes, qui au fond ne le sont plus quoiqu’ils en conservent la forme, sont de tous les tems ; il faut dire au contraire qu’ils ne sont d’aucun tems, parce que les tems supposent l’idée de l’existence, dont ces mots sont dépouillés par l’abstraction. Vir patiens inedioe, vir amans virtutis, c’est comme vir fortis, vir amicus virtutis.

Il n’y a en grec ni en latin aucune difficulté de syntaxe par rapport au participe, parce que ce mode est déclinable dans tous ses tems par genres, par nombres & par cas, & qu’en vertu du principe d’identité il s’accorde en tous ces accidens avec son sujet immédiat. Notre syntaxe à cet égard n’est pas aussi simple que celle de ces deux langues, parce qu’il me semble qu’on n’y a pas démêlé avec autant de précision la véritable nature de chaque mot. Je vais tâcher de mettre cette matiere dans son vrai jour : & sans recourir à l’autorité de Vaugelas, de Ménage, du pere Bouhours, ni de M. l’abbé Régnier, parce que l’usage a déja changé depuis eux ; je prendrai pour guides MM. d’Olivet & Duclos, témoins éclairés d’un usage plus récent & plus sûr, & sur-tout de celui de l’académie françoise où ils tiennent un rang si distingué : ils me permettront de consulter en même tems la Philosophie qu’ils ont eux-mêmes consultée, & d’employer les termes que les vûes de mon système grammatical m’ont fait adopter. Voyez les opuscules sur la langue françoise, & les remarques de M. Duclos sur la Grammaire générale.

On a coutume de distinguer dans nos verbes deux sortes de participes simples ; l’un actif & toujours terminé en ant, comme aimant, souffrant, unissant, prenant, disant, faisant, voyant, &c. l’autre passif, & terminé de toute autre maniere, comme aimé, souffert, uni, pris, dit, fait, vû, &c.

Art. I. « Le participe (actif), dit le pere Buffier (Gramm. franç. n°. 542.), reçoit quelquefois avant soi la particule en ; comme en parlant, en lisant, &c. c’est ce que quelques-uns appellent gérondif. N’importe quel nom on lui donne, pourvû qu’on sache que cette particule en devant un participe actif signifie lorsque, tandis que ».

Il me semble que c’est traiter un peu cavalierement une distinction qui intéresse pourtant la Philosophie plus qu’il ne paroît d’abord. Les gérondifs, en latin, sont des cas de l’infinitif (voyez Gérondif) ; & l’infinitif, dans cette langue & dans toutes les autres, est un véritable nom, ou pour parler le langage ordinaire, un vrai nom substantif (voyez Infinitif). Le

participe au contraire est un mode tout différent de l’infinitif ; il est adjectif. Le premier est un nom-verbe ; le second est un adjectif-verbe. Le premier ne peut être appliqué grammaticalement à aucun sujet, parce qu’un nom n’a point de sujet ; & c’est pour cela qu’il ne reçoit dans nul idiome aucune des terminaisons par lesquelles il pourroit s’accorder avec un sujet : le second est applicable à un sujet, parce que c’est une propriété essentielle à tout adjectif ; & c’est pour cela que dans la plûpart des langues il reçoit les mêmes terminaisons que les adjectifs, pour se prêter, comme eux, aux lois usuelles de la concordance. Or il n’est assurément rien moins qu’indifférent pour l’exactitude de l’analyse, de savoir si un mot est un nom ou un adjectif, & par conséquent si c’est un gérondif ou un participe.

Que le verbe terminé en ant puisse ou ne puisse pas être précédé de la préposition en, M. l’abbé Girard le traite également de gérondif ; & c’est un mode, dit-il (vrais princ. disc. VIII. tom. ij. pag. 5.), « fait pour lier (l’événement) à une autre événement comme circonstance & dépendance ». Mais que l’on dise, cela étant vous sortirez, ou cela posé vous sortirez ; il me semble que étant & pose expriment également une circonstance & une dépendance de vous sortirez : cependant M. l’abbé Girard regarde étant comme un gérondif, & posé comme un participe. Son analyse manque ici de l’exactitude qu’il a tant annoncée.

D’autres grammairiens, plus exacts en ce point que le pere Buffier & l’abbé Girard, ont bien senti que nous avions gérondif & participe en ant ; mais, en assignant des moyens méchaniques pour les reconnoître, ou ils s’y sont mépris, ou ils nous en ont laissé ignorer les caracteres distinctifs.

« Nos deux participes Aimant & Aimé, dit la Grammaire générale (part. II. ch. xxij.), en tant qu’ils ont le même régime que le verbe, sont plutôt des gérondifs que des participes ». Il est évident que ce principe est erronné. Nous ne devons employer dans notre Grammaire françoise le mot de gérondif, qu’autant qu’il exprimera la même idée que dans la Grammaire latine d’où nous l’empruntons ; & ce doit être la même chose du mot participe : or en latin, le participe & le gérondif avoient également le même régime que le verbe ; & l’on disoit legendi, legendo ou legendum libros, legens ou lecturus libros, comme legere ou lego libros. D’ailleurs, il y a assurément une grande différence de sens entre ces deux phrases, je l’ai vû parlant à son fils, & je l’ai vû en parlant a son fils ; c’est que parlant, dans la premiere, est un participe, & qu’il est gérondif dans la seconde, comme on en convient assez aujourd’hui, & comme je le ferai voir tout-à-l’heure : cependant c’est de part & d’autre le même matériel, & c’est de part & d’autre parlant à son fils, comme on diroit parler à son fils ou il parloit à son fils.

M. Duclos a connu toutes ces méprises, & en a nettement assigné l’origine ; c’est la ressemblance de la forme & de la terminaison du gérondif avec celle du participe. « Cependant, dit-il (rem. sur le ch. xxj. de la II. part. de la Gramm. gén.) quelque semblables qu’ils soient quant à la forme, ils sont de différente nature, puisqu’ils ont un sens différent. Pour distinguer le gérondif du participe, ajoute-t-il un peu plus bas, il faut observer que le gérondif marque toujours une action passagere, la maniere, le moyen, le tems d’une action subordonnée à une autre. Exemple : en riant, on dit la vérité. En riant, est l’action passagere & le moyen de l’action principale de dire la vérité. Je l’ai vû en passant. En passant, est une circonstance de tems ; c’est-à-dire, lorsque je passois. Le participe marque la cause de l’action, ou l’état de la chose. Exem-