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toutes sortes de manufactures de laines montent à plus de 2 000 000 liv. par an. Que le revenu annuel d’Angleterre, sur quoi tout le peuple vit & subsiste, & dont on paye les taxes de toute espece, est à présent d’environ 43 000 000 liv. que celui de France est de 81 000 000 liv. & celui d’Hollande de 18 250 000 livres.

M. Grand, dans ses observations sur les listes des morts, compte que le terrein d’Angleterre contient 39 000 milles quarrés ; qu’en Angleterre & dans le pays de Galles, il y a 4 600 000 d’ames ; que le peuple de Londres est d’environ 640 000 d’hommes, ce qui fait une quatrieme partie du peuple de toute l’Angleterre. Qu’en Angleterre & dans le pays de Galles, il y a environ 10 000 paroisses ; que l’Angleterre & le pays de Galles contient 25 millions d’acres, c’est-à-dire environ quatre acres par tête, l’un portant l’autre. Que sur 100 enfans depuis leur naissance jusqu’à l’âge de 6 ans, il n’y en a que 64 qui vivent ; qu’il n’y en a que 40 sur 100 au bout de 16 ans qui subsistent ; 25 sur 100 au bout de 26 ans ; 16 au bout de 36 ans ; 10 au bout de 46 ans ; 6 au bout de 56 ans ; 3 au bout de 66 ans ; & qu’enfin sur 100 hommes, il n’y en a qu’un qui subsiste au bout de 76 ans : & que le peuple de Londres devient double de ce qu’il étoit après 64 ans révolus.

M. Guillaume Petty, dans son traité de la proportion doublée, nous apprend de plus qu’il est démontré par l’expérience qu’il y a plus de personnes qui vivent entre 16 & 26 ans, que dans tout autre âge ; & posant cela comme un fait, il en infere que les racines quarrées de chaque nombre d’âges d’hommes au-dessous de 16 (dont la racine quarrée est 4), montrent la proportion de probabilité qu’il y a que ces personnes atteindront l’âge de 70 ans.

Ainsi il est quatre fois plus probable qu’un homme âgé de 16 ans, vivra 70 ans, qu’un enfant d’un an. Il est trois fois aussi probable qu’une personne de 9 ans en vivra 70, qu’un enfant qui vient de naître, &c. que le rapport de certitude qu’une personne de 25 ans mourra avant une de 16, est comme 5 est à 4 ; que le rapport de certitude qu’une personne âgée de 36 ans mourra avant celle qui n’en a que 25, est comme 6 est à 5 (toujours conformément au rapport des racines quarrées des âges) & ainsi de suite jusqu’à 70 ans, en comparant chaque âge avec un nombre pris entre 4 & 5, où l’on doit trouver à-peu-près la racine quarrée de 21, qui est le tems où la loi établit que l’on est majeur.

M. Halley fait une estime très-exacte des degrés de mortalité de l’homme, qu’il établit sur une table très-curieuse des naissances & des enterremens de la ville de Breslaw, capitale de Silésie, avec un essai pour fixer le prix des annuités sur la durée de la vie, suivant une table qu’il en a calculée & publiée dans les Transactions philosophiques, où l’on déduit les usages suivans.

1°. Pour trouver dans un corps quelconque de peuple la proportion des hommes propres à porter les armes, qu’il prend depuis 18 jusqu’à 56 ans ; & il en compte environ la quatrieme partie du tout. 2°. Pour montrer les différens degrés de mortalité, ou plûtôt de la durée de la vie dans tous les âges, il trouve par ce moyen le degré de certitude qu’il y a qu’une personne d’un âge quelconque, ne mourra point dans un certain nombre d’années, ou avant qu’elle ait atteint un tel âge. 3°. Pour montrer le nombre d’années où il y a à parier avec un égal avantage, qu’une telle personne ne mourra point ; & il trouve, par exemple, qu’il y a un égal avantage à parier qu’un homme âgé de 30 ans, vivra entre 27 & 28 ans. 4°. Pour régler le prix des assurances sur les vies ; 5°. l’évaluation des annuités sur les vies ; 6°. comment on peut évaluer deux ou

trois vies, en suivant la même méthode. Voyez Annuité.

De tout cela il en tire deux excellentes observations. 1°. Combien est injuste la coutume où l’on est de se plaindre de la briéveté de la vie ; car il paroît que la moitié de ceux qui sont nés, ne vivent pas plus de 17 ans.

2°. Que de tout ce qui compose notre nature, il n’y a rien qui s’oppose plus à l’accroissement & à la multiplication des hommes, que les difficultés recherchées que font la plûpart des hommes à propos des inconvéniens auxquels on s’expose dans l’état du mariage ; & c’est pour cette raison que tous les gouvernemens sages doivent établir un ordre tel qu’il y ait très-peu à gagner pour ceux qui vivent dans le célibat ; mais que l’on encourage par tous les moyens possibles ceux qui ont un grand nombre d’enfans. Tel étoit le jus trium liberorum, &c. chez les Romains.

De plus, cet auteur fait des observations particulieres, qui concernent le nombre des naissances & des enterremens, la proportion des mâles & des femelles, &c Voyez les articles Mariage, Mortalité, &c.

Critique politique. Voyez Critique.

Politique, grace, s. f. ce mot a des acceptions différentes ; l’usage les a fixées ; il a voulu que l’on dît dans de certaines circonstances, faire grace ; dans d’autres, faire une grace : ce qu’un grammairien devoit démêler, & qu’un philosophe devoit voir & sentir, le monde l’a soupçonné ; mais il faut lui montrer ce qu’il a entrevu.

Faire grace ; on entend par-là suspendre & empêcher l’effet d’une loi quelconque. Il est évident qu’il n’y a que le législateur qui puisse abroger une loi qu’il a portée. Une loi n’est telle, & n’a de force, que la force que le peuple lui en a donnée en la recevant. Les lois qui gouvernent un peuple sont donc à lui ; il est donc le même tant que ces lois sont les mêmes : il est donc modifié quand ses lois sont changées. Je remarquerai que c’est dans le gouvernement où ces lois peuvent souffrir plus de modifications, qu’elles peuvent être anéanties plutôt, & que par conséquent ce seront les lois moins intimes entr’elles & moins nécessaires qui seront plus sujettes aux révolutions. Lorsque les hommes étoient gouvernés seulement par les lois de la sociabilité, la société seroit détruite, si l’exécution des lois qui la forment étoit suspendue ; d’où nous conclurons que lorsqu’une loi peut être abolie sans bouleverser le gouvernement, que ce gouvernement est lâche ; & que si elle peut être abolie sans y produire un grand effet, que ce gouvernement est monstrueux.

Les recherches qui nous conduiroient à découvrir dans quel état les lois fondamentales peuvent être détruites par d’autres lois, ou par le changement des mœurs, ne sont pas de mon sujet. Je dirai seulement que lorsque les mœurs ne découlent pas des lois, qu’alors on peut frapper les lois ; & que lorsqu’elles en découlent, c’est la corruption des mœurs qui les changent. Il résulte de ceci qu’il est absurde de dire qu’un seul homme puisse faire une loi ; qu’il est dangereux d’en faire de nouvelles ; plus dangereux encore d’arrêter l’exécution des anciennes : & que le pouvoir le plus effrayant est celui de l’homme qui revêt l’iniquité du sceau de la justice. Les despotes n’en peuvent pas venir à ce point ; aussi certains déclamateurs contre les despotes ont bien servi les tyrans.

Faire des graces ; grace dans ce sens signifie dons, faveurs, distinctions, &c. accordés aux hommes qui n’ont d’autres prétentions pour les obtenir que d’en être susceptibles par leur naissance ou leur état.

Les graces sont en rapport des principes qui meuvent les gouvernemens : l’amour de l’égalité qui pro-