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l’état, fit des efforts pour sortir de cet avilissement. Il demanda des tribuns tirés de son ordre ; il étoit le plus fort, & on lui en accorda deux. Les tribuns demanderent des aides, & les édiles furent créés : les tribuns veilloient à la conservation des droits du peuple, & les édiles à celle des édifices.

Cependant les consuls étoient toujours les seuls législateurs de l’état. Le peuple exigea, par la bouche des tribuns, des lois écrites auxquelles il put se conformer. Il fallut encore céder & envoyer en Grece des députés, pour en obtenir de ces peuples policés.

Les députés séjournerent trois ans dans la Grece, & en apporterent un recueil de ce qu’ils avoient observé de plus sage. On en forma dix tables, auxquelles deux autres furent ajoutées dans la suite, & l’on eut la loi des douze tables.

Cependant Rome s’étendoit, & les officiers se multiplioient au point que deux consuls n’y suffisoient plus. On créa donc deux nouveaux officiers sous le nom de censeurs. L’emploi des censeurs étoit de faire tous les cinq ans le dénombrement du peuple, de veiller aux édifices considérables, au parc, à la propreté des rues, aux réparations des grands chemins, aux aqueducs, au recouvrement des revenus publics, à leur emploi, & à tout ce qui concerne les mœurs & la discipline des citoyens.

Ce district étoit étendu, & les censeurs se choisirent des édiles comme ils en avoient le droit, sur lesquels ils se déchargerent du soin des rues & du parc. On fut si content de ces officiers qu’on ajouta à leur intendance, celle des vivres, des jeux & des spectacles, & leur emploi fut le premier degré aux grandes charges de la république. Ils prirent le titre de curatores urbis, celui d’édiles ne leur convenant plus.

Les édiles étoient tirés de l’ordre plébeïen ; l’importance de leur charge excita la jalousie des sénateurs, qui profiterent d’une demande du peuple, pour leur ravir une partie de cet avantage. Le peuple demandoit qu’il y eût un consul de l’ordre plébeïen, & les sénateurs en revanche demanderent deux édiles de l’ordre patricien. Le peuple fut étonné de cette démarche du sénat ; mais les édiles se trouvant alors dans l’impossibilité de donner au peuple les grands jeux dont la dépense excédoit leurs moyens, la jeune noblesse s’offrit à en faire les frais, à condition de partager la dignité. On accepta cette proposition, & il y eut un consul plébeïen & deux édiles patriciens ou curules ; ils tenoient ce nom d’un petit siége d’ivoire qu’ils faisoient porter dans leur char.

L’autorité des consuls se bornoit à la réprimande, ignominia : lorsque la sentence des juges confirmoit cette réprimande, la perte entiere de la réputation, ou l’infamie, infamia. s’ensuivoit.

L’accroissement des affaires occasionna une nouvelle création d’officiers. On sépara les affaires de la république & du gouvernement de celles de la police & de la jurisdiction contentieuse, & il y eut un préteur ; ce magistrat rendit la justice, & fit pour les consuls ce que les rois avoient fait par eux-mêmes pendant deux cens quarante ans, & les consuls pendant cent quarante-quatre.

Le préteur devint donc, pour ainsi dire, collegue des consuls, & fut distingué par les mêmes marques de dignité, & eut droit, ainsi que les questeurs, de se donner des aides ; les édiles lui furent subordonnés, & n’agirent jamais que par ses ordres & comme ses commis.

Les lois s’accumulerent nécessairement à mesure que le nombre des magistrats différens augmenta. Il fallut du tems pour s’en instruire, & plus de savoir qu’un seul homme n’en pouvoit acquérir : ce fut par cette raison que le préteur créa les centumvirs, de

5 hommes pris dans chacune des trente-cinq tribus. Il avoit recours à ce conseil dans les affaires de droit. Il se nommoit dans celles de fait tels assesseurs qu’il jugeoit à propos : quant aux matieres criminelles, c’étoit l’affaire des questeurs d’en informer le peuple à qui il avoit appartenu de tout tems d’en juger.

Mais l’inconvénient d’assembler le peuple dans toute occasion capitale, donna lieu à la création des questeurs perpétuels, & au renvoi de la plainte des questeurs, pu tribunal du préteur, qui fit par conséquent la police pour le civil & pour le criminel. Les questeurs qui jusqu’alors avoient dépendu du peuple, commencerent donc à être soumis au préteur, qui eut sous lui les édiles & les questeurs.

On donna aux édiles des aides au nombre de dix, sous le nom de décemvirs ; ces aides sans titres trouverent de la difficulté dans l’exercice de leurs fonctions, & ils obtinrent celui d’édiles, mais restraints aux incendies, ædiles incendiorum extinguendorum. Jules César en créa dans la suite deux pour les vivres, ædiles cereales : il y eut donc seize édiles, deux plébeiens, deux curules, dix incendiorum extinguendorum, & deux cereales ; mais tous furent soumis au préteur, ils agirent seulement delegatione & vice prætoris.

Ces officiers firent dans la suite quelques tentatives pour se soustraire à cette jurisdiction & former un corps indépendant ; ils réussirent au point de jouir du droit de publier en leur nom collectif, un édit sous le titre d’edictum ædilium ; mais ce désordre dura peu : ils rentrerent dans leur devoir ; & pour les empêcher dorénavant d’en sortir, on écrivit dans les lois que, edicta ædilium sunt pars juris prætorii ; mais que edicta prætorum habent vim legis.

Ce fut ainsi que l’autorité du préteur se conserva pleine & entiere jusqu’au tems où des factions se proposant la ruine de la république, & s’appercevant quel obstacle faisoit à leurs desseins la puissance de ce magistrat, se proposerent de l’affoiblir d’abord, puis de l’anéantir entierement en la divisant. Le préteur de Rome avoit un collegue pour les affaires étrangeres, sous le titre de prætor peregrinus. Les mécontens parvinrent à lui faire donner six adjoints pour les affaires criminelles. Ces adjoints furent pris du nombre des préteurs désignés pour les provinces, sous prétexte qu’ils avoient besoin d’instruction. On ajouta encore dans la suite deux préteurs pour les vivres ; enfin le partage fut poussé si loin que sous le triumvirat, qui acheva la ruine de la police & du bon ordre, on comptoit jusqu’à soixante-quatre préteurs, qui tous avoient leurs tribunaux ; ce fut alors que recommencerent les attentats des édiles, & comme si l’on eût eu peur que ce fût sans succès, on continua d’affoiblir les préteurs en les multipliant.

Tel étoit l’état des choses lorsqu’Auguste parvint à l’empire. Il commença la réforme par la réduction du nombre des préteurs à seize, dont il fixa la compétence aux seules matieres civiles en premiere instance. Il les subordonna à un préfet de la ville, dont la jurisdiction s’étendoit sur Rome & sur son territoire jusqu’à cinquante stades aux environs, ce qui revient à trente-cinq de nos lieues. Il fut le seul magistrat de police, & cette préfecture, qui avoit toutes les prérogatives de notre lieutenance de police, fut un poste si important qu’Auguste en pourvut, pour la premiere fois, son gendre Agrippa, qui eut pour successeurs Mécene, Messala, Corvinus, Statilius Taurus, &c.

Le nouveau magistrat fut chargé de tout ce qui concerne l’utilité publique & la tranquillité des citoyens, des vivres, des ventes, des achats, des poids & mesures, des arts, des spectacles, de l’importation des blés, des greniers publics, des jeux,