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mis par ceux dont on se défie le moins, de maniere qu’il est plus difficile de s’en garantir.

Ce crime a toujours été en horreur chez toutes les nations policées.

Gravina a avancé mal à-propos qu’avant l’an 422 de la fondation de Rome, on n’avoit point encore fait de loi contre les empoisonneurs.

Il est vrai que dans les premiers tems de Rome où l’innocence des mœurs s’étoit encore conservée, on ne connoissoit point l’usage du poison, au moyen de quoi l’on n’avoit point établi de peines contre ce crime.

Mais la fréquentation des nations voisines ayant peu-à-peu corrompu les mœurs, la loi des 12 tables, laquelle fut affichée à Rome en 304, prononça des peines contre les empoisonneurs.

Ce qui a sans doute induit Gravina en erreur, est que ce fut vers l’an 422, sous le consulat de Valerius Flaccus & de M. Claudius Marcellus, qu’on vit paroître pour la premiere fois dans Rome une troupe de dames, qui par des poisons qu’elles débitoient, firent un grand ravage dans la république.

La mort subite de plusieurs personnes de toutes sortes de qualités ayant rempli la ville d’étonnement & de crainte, la cause de ce désordre fut révélée par une esclave qui en avertit le magistrat, & lui découvrit que ce qu’on avoit cru jusqu’alors être une peste causée par l’intempérie de l’air, n’étoit autre chose qu’un effet de la méchanceté de ces dames romaines lesquelles préparoient tous les jours des poisons, & que si on vouloit la faire suivre, elle en feroit connoître la vérité.

Sur cet avis, on fit suivre cette esclave, & l’on surprit en effet plusieurs dames qui composoient des poisons & quantité de drogues inconnues que l’on apporta dans la place publique ; on y fit aussi amener vingt de ces dames ; il y en eu deux qui soutinrent que ces médicamens n étoient pas des poisons, mais des remedes pour la santé ; mais comme l’esclave qui les avoit accusées, leur soutenoit le contraire, on leur ordonna de boire les breuvages qu’elles avoient composés : ce qu’elles firent toutes & en moururent. Le magistrat se saisit de leurs complices, de sorte qu’outre les 20 dont on vient de parler, il y en eut encore 170 punies.

Une femme de Smyrne fut accusée devant Dolabella, proconsul dans l’Asie, d’avoir empoisonné son mari, parce qu’il avoit tué un fils qu’elle avoit eu d’un premier lit ; Dolabella se trouva embarassé, ne pouvant absoudre une femme criminelle ; mais ne pouvant aussi se résoudre à condamner une mere qui n’étoit devenue coupable que par un juste excès de tendresse, il renvoya la connoissance de cette affaire à l’aréopage qui ne put la décider, il ordonna seulement que l’accusateur & l’accusée comparoîtroient dans cent ans pour être jugés en dernier ressort.

L’empereur Tibere ayant fait empoisonner Germanicus par le ministere de Pison, gouverneur de Syrie, lorsqu’on brûla le corps de Germanicus, selon la coutume des Romains, son cœur parut tout entier au milieu des flammes ; on prétend que l’on vit la même chose à Rouen, lorsque la pucelle d’Orléans y fut brûlée. C’est une opinion commune que le cœur étant une fois imbu de venin, ne peut plus être consumé par les flammes.

Les médecins regardent aussi comme un indice certain de poison dans un corps mort, lorsqu’il se trouve un petit ulcere dans la partie supérieure de l’estomac ; cependant le docteur Sebastiano Rotari en son traité qui a pour titre Allegazioni medicophysice, soutien que cet incice est fort trompeur, & que ce petit ulcere peut venir de plusieurs autres causes qu’il explique.

Pour revenir aux peines prononcées contre les

empoisonneurs : environ 200 ans après le fait des dames romaines, Lucius Cornelius Sylla fit une loi appellée de son nom Cornelia de veneficis, par laquelle il prononça la même peine contre les empoisonneurs que contre les homicides, c’est-à-dire, l’exil & le bannissement qui sont la même chose que l’interdiction de l’eau & du feu ; cette loi fut préférée à celle que César, étant dictateur, publia dans la suite sur la même matiere.

Il y eut aussi quelques senatus-consultes donnés en interprétation de la loi Corneliade veneficis, & dont l’esprit est le même. On voit dans la loi 3, ss. ad leg. cornel. de sic. & venef. qu’un de ces senatus-consultes prononçoit la peine d’exil contre ceux qui sans avoir eu dessein de causer la mort d’une femme, l’avoient cependant fait mourir en lui donnant des remedes pour faciliter la conception.

Le paragraphe suivant fait mention d’un autre senatus-consulte qui décerne la peine portée par la loi Cornelia contre ceux qui auroient donné ou vendu des drogues & des herbes malfaisantes, sous prétexte de laver ou purger le corps.

Enfin la loi 8, au même titre, enjoignoit aux présidens des provinces d’envoyer en exil les femmes qui faisoient des efforts surnaturels, ou qui employoient de mauvaises pratiques pour se procurer l’avortement. Ces drogues & autres moyens contraires à la nature étoient regardés comme des poisons, & ceux qui s’en servoient, traités comme des empoisonneurs.

En France, le crime de poison est puni par le feu ; & lorsqu’il s’est trouvé des empoisonneurs qui avoient nombre de complices, on a quelquefois établi une chambre ardente pour faire le procès à ces coupables.

La déclaration de Louis XIV. du mois de Juillet 1682, est la regle que l’on suit sur cette matiere.

Elle porte que ceux qui seront convaincus de s’être servi de poison, seront punis de mort, soit que la mort des personnes auxquelles ils auront voulu faire prendre le poison, se soit ensuivie ou non.

Ceux qui sont convaincus d’avoir composé & distribué du poison pour empoisonner, sont punis des mêmes peines.

Ceux qui ont connoissance que l’on a travaillé à faire du poison, qu’il en a été demandé ou donné, sont tenus de dénoncer incessamment ce qu’ils en savent au procureur général, ou à son substitut, & en cas d’absence, au premier officier public des lieux, à peine d’être procédé contre eux extraordinairement, & d’être punis selon les circonstances & l’exigence des cas, comme fauteurs & complices de ces crimes, sans que les dénonciateurs soient sujets à aucune peine, ni même aux intérêts civils, lorsqu’ils auront déclaré & articulé des faits ou indices considérables qui seront trouvés véritables & conformes à leur dénonciation ; quoique dans la suite les personnes comprises dans lesdites dénonciations, soient déchargées des accusations, dérogeant à cet effet à l’article 73 de l’ordonnance d’Orléans, pour l’effet du poison seulement, sauf à punir les calomniateurs selon la rigueur de l’ordonnance.

La peine de mort a lieu contre ceux qui sont convaincus d’avoir attenté à la vie de quelqu’un par poison ; en sorte qu’il n’ait pas tenu à eux que ce crime n’ait été consommé.

L’édit répute au nombre des poisons, non-seulement ceux qui peuvent causer une mort prompte & violente, mais aussi ceux qui en altérant peu-à-peu la santé, causent des maladies, soit que les poisons soient simples, naturels, ou composés.

Il est défendu en conséquence à toutes personnes, à peine de la vie, même aux Médecins, Chirurgiens, & Apothicaires, à peine de punition corporelle, d’avoir & garder de tels poisons simples ou préparés,