Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/870

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme contiguïté, on prononcera l’un comme l’autre, ou en divisant la diphtongue ui du premier de ces mots, ou en l’introduisant mal-à-propos dans le second. Il faut donc écrire contiguïté, ambiguë, à la bonne heure ; l’u n’y est point muet, & cependant il n’y a pas diphtongue : mais je crois maintenant qu’il vaut mieux écrire aigüille, Güise (ville) ; en mettant la diérèse sur l’u, elle servira à marquer sans équivoque que l’u n’est point muet comme dans anguille, guise (fantaisie), & n’empêchera point qu’on ne prononce la diphtongue, parce qu’elle ne sera pas sur la seconde voyelle. Cujusvis hominis est errare, nullius nisi insipientis in errore perseverare. Cic. Philipp. XII. 2.

4°. On dispose quelquefois quatre points horisontalement dans le corps de la ligne, pour indiquer la suppression, soit du reste d’un discours commencé, & qu’on n’acheve pas par pudeur, par modération, ou par quelqu’autre motif, soit d’une partie d’un texte que l’on cite, ou d’un discours que l’on rapporte. Quos ego.... sed motos præstat componere fluctus. Virg. Æn. I. 139.

5°. Enfin la crainte qu’on ne confondît l’i écrit avec un jambage d’u, a introduit l’usage de mettre un point au-dessus : c’est une inutilité qu’on ne doit pourtant pas abandonner, puisqu’elle est consacrée par l’usage.

Les Hébraïsans connoissent une autre espece de point qu’ils appellent points-voyelles, parce que ce sont en effet des points ou de très-petits traits de plume qui tiennent lieu de voyelles dans les livres hébraïques. On connoît l’ancienne maniere d’écrire des Hébreux, des Chaldéens, des Syriens, des Samaritains, qui ne peignoient guere que les consonnes, parce que l’usage très-connu de leur langue fixoit chez eux les principes de la lecture de maniere à ne s’y pas méprendre. Depuis que ces langues ont cessé d’être vivantes, on a cherché à en fixer ou à en revivifier la prononciation, & l’on a imaginé les points-voyelles pour indiquer les sons dont les consonnes écrites marquoient l’explosion. Ainsi le mot דבר, dbr, se prononce de différentes manieres & à des sens différens, selon la différence des points que l’on ajoute aux consonnes dont il est composé : דָבָר, dābār signifie chose & parole ; דֶבֶר, dĕbĕr, signifie peste, ruine ; דֹבֵר, dōbĕr, veut dire bercail, &c. Avant l’invention des points-voyelles, l’usage, la construction, le sens total de la phrase, la suite de tout le discours, servoient à fixer le sens & la prononciation des mots écrits.

Il y a trois classes différentes de points-voyelles, cinq longs, cinq brefs, & quatre très-biefs. Les cinq longs sont appellés :

Kamets, ou â long, comme בָ,  ;
Tseré, ou ê long, comme בֵ,  ;
Chirik long, ou î long, comme בִי,  ;
Kholem, ou ô long, comme בוֹ,  ;
Schourek, qui est ou, comme בוּ, bou.
Les cinq brefs sont appellés :
Phatach, ou á bref, comme בַ, bá ;
Segol, ou é bref, comme בֶ, bé ;
Chirik bref, ou í bref, comme בִ, bí ;
Kamets-kateph, ou ó bref, comme בֹ, bó ;
Kibbust, ou ú bref, comme בֻ, bú.
Les quatre très-brefs sont appellés :
Schéva, ou e brévissime, comme בְ, be ;
Kateph-phatach, ou a très-bref, comme בֲ, ba ;
Kateph-segol, ou é très-bref, comme בֱ, bé ;
Kateph-kamets, ou ó très-bref, comme בֳ, .

Outre qu’il est très-aisé dans un si grand nombre de lignes si peu sensibles, de confondre ceux qui sont les plus différenciés, il y en a qui different très-peu, & le kamets ou â long est précisément le même que le kamets-kateph, ou o bref. D’ailleurs l’emploi de tous ces signes entraîne des détails innombrables & des exceptions sans fin, qu’on ne saisit & qu’on ne retient qu’avec peine, & qui retardent prodigieusement les progrès de ceux qui veulent étudier la langue sainte.

Après avoir examiné en détail toutes les difficultés & les variations de la lecture de l’hébreu par les points-voyelles, Louis Cappel (Crit. sacr. l. VI. c. ij.), remarque que les points étant une invention des Massorèthes, dont l’autorité ne doit point nous subjuguer, les regles de la grammaire hébraïque doivent être d’après les mots écrits sans points, & qu’il faut conséquemment retrancher toutes celles qui tiennent à ce système factice. Il ajoûte que dans la lecture il ne faudroit avoir égard qu’aux lettres matrices, matres lectionis, אהךי ; mais que comme elles manquent très-fréquemment dans le texte, cette maniere de lire lui paroît difficile à établir. Voici sa conclusion : Age sanè punctationi massorethicæ eatenùs adhæreamus, quatenùs neque certior, neque commodior vocales ad vocum enuntiationem necessarias designandi ratio usque hodiè inventa est ; atque ex consequenti eam tradendæ & docendæ grammaticæ rationem sequantur quæ illi punctationi innititur, neque temerè eam convellamus aut sollicitemus, nisi fortè aliquis aliam rationem certiorem & commodiorem inveniret punctandi.

Au lieu d’imaginer un système plus simple de points-voyelles, M.  Masclef, chanoine de la cathédrale d’Amiens, inventa une maniere de lire l’hébreu sans points. Cette méthode consiste à supposer après chaque consonne la voyelle qu’on y met dans l’épellation alphabétique. Ainsi comme le ב se nomme beth, on suppose un é après cette consonne ; comme le ד s’appelle daleth, on y suppose un a, &c. דבר, ou dbr doit donc se lire daber. Ce système révolta d’abord les savans, & cela devoit être ainsi : 1°. C’étoit une nouveauté, & toute nouveauté allarme toujours les esprits jaloux, & ceux qui contractent fortement & aveuglément les habitudes : 2°. ce système réduisit à rien toutes les peines qu’il en avoit couté aux érudits pour être initiés dans cette langue, & il leur sembloit ridicule de vouloir y introduire de plain-pié & sans embarras, ceux qui viendroient après eux. On fit pourtant des objections que l’on crut foudroyantes ; mais dans l’édition de la grammaire hébraïque de Masclef, faite en 1731 par les soins de M. de la Bletterie, on trouve dans le second tome, sous le titre de novæ grammaticæ argumenta ac vindiciæ, tout ce qui peut servir à établir ce système & à détruire toutes les objections contraires. Aussi le Masclefisme fait-il aujourd’hui en France, & même en Angleterre, une secte considérable parmi les hébraïsans : & il me semble qu’il est à souhaiter d’en voir hâter les progrès.

Les Massorethes avoient encore imaginé d’autres signes pour la distinction des sens & des pauses, lesquels sont appellés dans les grammaires hébraïques écrites en latin, accentus pausantes & distinguentes, & gardent en françois le nom de points. Ils ont encore, pour la plûpart, tant de ressemblance avec les points-voyelles, qu’ils ne servent qu’à augmenter les embarras de la lecture ; & Masclef, en souhaitant qu’on introduisît notre ponctuation dans l’hébreu, en a donné l’exemple. Puisque nos signes de ponctuation n’ont aucun équivoque, & sont d’un usage facile :