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jet depuis un certain tems jusqu’à un autre, comme depuis le commencement du monde jusqu’au retour d’Ulysse, & qu’il lie tous les évenemens par une enchaînure indissoluble, de maniere que l’on puisse remonter de la fin au commencement, comme on est allé du commencement à la fin. C’est de cette maniere que les métamorphoses d’Ovide sont un poëme cyclique, perpetuum carmen, parce que la premiere fable est la cause de la seconde ; que la seconde produit la troisieme, que la quatrieme naît de celle-ci ; & ainsi des autres. C’est pourquoi Ovide a donné ce nom à son poëme dès l’entrée.

Primaque ab origine mundi
In mea perpetuum deducite tempora carmen
.

A cette sorte de poëme étoit directement opposée la composition que les Grecs nommoient atacle, c’est-à-dire, sans liaison, parce qu’on y voyoit plusieurs histoires sans ordre, comme dans la mopsonie d’Euphorion qui contenoit presque tout ce qui s’étoit passé dans l’Attique.

L’autre espece de poëme cyclique est, lorsque le poëte prend un seul sujet & une seule action pour lui donner une étendue raisonnable dans un certain nombre de vers ; dans ce sens l’Iliade & l’Enéide sont aussi des poëmes cycliques, dont l’un a en vue de chanter la colere d’Achille, fatale aux Troyens, & l’autre l’établissement d’Enée en Italie.

On compte encore une troisieme espece de poëme cyclique, lorsque le poëte traite une histoire depuis son commencement jusqu’à la fin : comme par exemple l’auteur de la théseide dont parle Aristote ; car il avoit ramassé dans ce seul poëme tout ce qui étoit arrivé à son héros ; comme Antimaque, qui avoit fait la thébaïde, qui a été appellée cyclique par les anciens, & celui dont parle Horace dans l’art poëtique.

Nec sic incipies ut scriptor cyclicus olim,
Fortunam Priami cantabo & nobile lechum.

Ce poëte n’avoit pas seulement parlé de la guerre de Troye dès son commencement ; mais il avoit épuisé toute l’histoire de ce prince, sans oublier aucune de ses avantures, ni la moindre particularité de sa vie ; il nous reste aujourd’hui un poëte dans ce goût : c’est l’achilléide de Stace ; car ce poëte y a chanté Achille tout entier. Homere en avoit laissé à dire plus qu’il n’en avoit dit ; mais Stace n’a voulu rien oublier. C’est cette derniere espece de poëme qu’Aristote blâme, avec raison, à cause de la multiplication vicieuse de fables, qui ne peut être excusée par l’unité du héros.

Il résulte de ce détail, que les poëtes cycliques sont ceux qui, sans emprunter de la poésie cet art de déplacer les événemens pour les faire naître les uns des autres avec plus de merveilleux, en les rapportant tous à une seule & même action, suivoient dans leurs poëmes l’ordre naturel & méthodique de l’histoire ou de la fable, & se proposoient, par exemple, de mettre en vers tout ce qui s’étoit passé depuis un certain tems jusqu’à un autre, ou la vie entiere de quelque prince, dont les avantures avoient quelque chose de grand & de singulier. (D. J.)

Poeme didactique, (Poésie.) poëme où l’on se propose par des tableaux d’après nature, d’instruire, de tracer les lois de la raison, du bon sens, de guider les arts, d’orner & d’embellir la vérité, sans lui faire rien perdre de ses droits. Ce genre est une sorte d’usurpation que la poésie a fait sur la prose.

Le fond naturel de celle-ci est l’instruction. Comme elle est plus libre dans ses expressions & dans ses tours, & qu’elle n’a point la contrainte de l’harmonie poétique, il lui est plus aisé de rendre nettement les idées, & par conséquent de les faire passer telles qu’elles sont dans l’esprit de ceux qu’on instruit.

Aussi les récits de l’histoire, les sciences, les arts sont-ils traités en prose. La raison en est simple : quand il s’agit d’un service important, on en prend le moyen le plus sûr & le plus facile ; & ce moyen en fait d’instruction est sans contredit la prose.

Cependant, comme il s’est trouvé des hommes qui réunissoient en même tems les connoissances & le talent de faire des vers, ils ont entrepris de joindre dans leurs ouvrages ce qui étoit joint dans leur personne, & de revetir de l’expression & de l’harmonie de la poésie, des matieres qui étoient de pure doctrine. C’est de-là que sont venus les ouvrages & les jours d’Hésiode, les sentences de Théognis, la thérapeutique de Nicandre, la chasse & la pêche d’Oppien ; & pour parler des Latins, les poëmes de Lucrece sur la nature, les géorgiques de Virgile, la pharsale de Lucain & quelques autres.

Mais dans tous ces ouvrages, il n’y a de poétique que la forme. La matiere étoit faite ; il ne s’agissoit que de la revétir. Ce n’est point la fiction qui a fourni les choses, selon les regles de l’imitation, c’est la vérité même. Aussi l’imitation ne porte-t-elle ses regles que sur l’expression. C’est pourquoi le poëme didactique en général peut se définir : la vérité mise en vers : & par opposition, l’autre espece de poésie : la fiction mise en vers. Voilà les deux extrémités : le didactique pur, & le poétique pur.

Entre ces deux extrémités, il y a une infinité de milieux, dans lesquels la fiction & la vérité se mélent & s’entr’aident mutuellement ; & les ouvrages qui s’y trouvent renfermés sont poétiques ou didactiques, plus ou moins, à-proportion qu’il y a plus ou moins de fiction ou de vérité. Il n’y a presque point de fiction pure, même dans les poëmes proprement dits ; & réciproquement il n’y a presque point de vérité sans quelque mélange de fiction dans les poëmes didactiques. Il y en a même quelquefois dans la prose. Les interlocuteurs des dialogues de Platon, ceux des livres philosophiques de Cicéron sont faits ; & leur catactere soutenu est poétique. Il en est de même des discours dont Tite-Live a embelli son histoire. Ils ne sont guere plus vrais que ceux de Junon ou d’Enée dans le poëme de Virgile. Il n’y a entr’eux de différence qu’en ce que Tite-Live a tiré les siens des faits historiques ; au lieu que Virgile les a tirés d’une histoire fabuleuse. Ils sont les uns & les autres également de la façon de l’écrivain.

Le poëme didactique peut traiter autant d’especes de sujets que la vérité a de genres : il peut être historique ; telle est la pharsale de Lucain ; voyez Poeme historique, Poeme philosophique. Il peut donner des préceptes pour régler les opérations dans un art, comme dans l’agriculture, dans la poésie, &c. telles sont les géorgiques de Virgile, & l’art poétique d’Horace, qu’on nomme simplement poëme didactique.

Mais toutes ces especes de poëmes ne sont pas tellement séparées, qu’elles se prêtent quelquefois un secours mutuel. Les sciences & les arts sont freres & sœurs ; c’est un principe qu’on ne sauroit trop répéter dans cette matiere. Leurs biens sont communs entr’eux ; & ils prennent partout ce qui peut leur convenir. Ainsi, dans la poésie philosophique il entre quelquefois des faits historiques, & des observations tirées des arts. Pareillement dans les poëmes historiques & didactiques, il entre souvent des raisonnemens & des principes. Mais ces emprunts ne constituent pas le fond du genre. Ils n’y viennent que comme auxiliaires, ou quelquefois comme délassemens, parce que la variété est le repos de l’esprit. Quand l’esprit est las du genre, d’une couleur, on lui en offre une autre qui exerce une autre faculté, &