Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/790

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bouches, lorsqu’ils sont au fond de l’eau, des éponges trempées dans l’huile. Mais si l’on considere d’un côté, la petite quantité d’air qui est renfermée dans les pores d’une éponge, & de l’autre, combien cette petite quantité d’air est comprimée par l’air qui l’environne, il n’est pas possible qu’un pareil secours fasse long-tems subsister le plongeur ; car il est démontré par l’expérience qu’une certaine quantité d’air renfermé dans une vessie, & que par le moyen d’un tuyau l’on a alternativement respiré & fait sortir des poumons, ne peut suffire à la respiration que pour très-peu de tems, parce que son élasticité est altérée en passant dans les poumons, & qu’outre cela, l’air perd ses esprits vivifians & est épuisé.

Un plongeur qui est tout nud, & qui n’a point d’éponge dans la bouche, ne peut, suivant M. Halley, rester plus de deux minutes dans l’eau sans être suffoqué ; & s’il n’a pas un long usage de son métier, il y restera beaucoup moins de tems, une demi-minute suffisant pour étouffer ceux qui ne sont point dans cette habitude. De plus, si l’endroit est profond, la pression de l’eau sur les vaisseaux du corps remplit les yeux de sang, & en occasionne ordinairement le crachement.

C’est pour cette raison que pour pouvoir rester long-tems au fond de l’eau, quelques personnes ont imaginé deux tuyaux d’une matiere flexible, pour faire circuler l’air jusqu’au fond de l’eau dans la machine où le plongeur est renfermé comme dans une armure ; par ce moyen on lui procure l’air qui lui est nécessaire, on le garantit de la pression de l’eau, & sa poitrine se dilate librement pour respirer. L’effet de cette machine, qui fait entrer avec des soufflets l’air par l’un des tuyaux, & le fait sortir par l’autre, est le même que celui des arteres & des veines.

Mais cette invention ne peut servir dans les endroits où la profondeur de l’eau est de plus de trois brasses, parce que l’eau resserre si étroitement les parties qui sont à découvert, qu’elle y empêche la circulation du sang, & elle presse si violemment sur toutes les jointures de l’armure qui ne sont faites que de cuir, que s’il s’y rencontre le moindre défaut, l’eau s’y fait un passage, remplit dans un instant toute la machine, & met la vie du plongeur dans un grand danger.

La cloche du plongeur est une machine que l’on a inventée pour remédier à tous les inconvéniens dont on vient de parler ; on fait descendre le plongeur en sûreté dans cette machine jusqu’à une profondeur raisonnable, & il peut rester plus ou moins de tems dans L’eau, suivant que la cloche est plus ou moins grande. Voyez Cloche.

Le plongeur assis sous cette cloche s’enfonce avec l’air qui y est renfermé, jusqu’à la profondeur qu’il veut ; & si la cavité du vaisseau peut contenir un tonneau d’eau, un seul homme peut rester une heure entiere à une profondeur de cinq ou six brasses, sans aucun danger.

Mais plus le plongeur s’enfonce dans l’eau, plus l’air est resserré par la pesanteur de l’eau qui le comprime ; l’inconvénient principal qui en résulte, provient de la pression qui s’exerce sur les oreilles dans lesquelles il y a des cavités dont les ouvertures sont en dehors : c’est ce qui fait que dès que la cloche commence à descendre dans l’eau, on sent une pression sur chaque oreille, qui par degrés devient plus incommode, jusqu’à ce que la force de la pression surmontant l’obstacle, & laissant entrer quelque peu d’air condensé, le plongeur se trouve alors à son aise. Si on fait descendre la cloche plus avant, l’incommodité recommence & cesse de même.

Mais le plus grand inconvénient de cette machine, c’est que l’eau y entrant resserre le volume d’air dans un si petit espace qu’il s’échauffe promptement, &

n’est plus propre à la respiration, de sorte qu’il faut nécessairement remonter cette machine pour en renouveller l’air, le plongeur ne pouvant d’ailleurs rester presqu’entierement couvert d’eau.

Pour remédier à ces défauts de la cloche de plongeur, M. Halley a trouvé des moyens non-seulement de renouveller & rafraîchir l’air de tems en tems, mais encore d’empêcher que l’eau n’entre dans la cloche, à quelque profondeur qu’on la fasse descendre. Voici ce qu’il a fait.

Il fit faire une cloche de plongeur de bois qui avoit environ 60 piés cubiques dans sa concavité ; elle étoit revêtue en dehors d’une assez grande quantité de plomb, pour qu’elle pût s’enfoncer vuide dans l’eau ; & il mit au bas une plus grande quantité de plomb, pour qu’elle ne pût descendre que perpendiculairement ; au haut il y avoit un verre pour donner du jour dans l’intérieur de la cloche, avec un petit robinet pour laisser sortir l’air chaud ; & en-bas, environ une toise au-dessous de la cloche, il y avoit un plateau attaché à la cloche même par trois cordes, qu’il avoit chargées d’un poids de cent livres pour le tenir ferme.

Pour fournir l’air nécessaire à cette cloche, lorsqu’elle fut dans l’eau, il se servit de deux barrils garnis de plomb, de maniere qu’ils pouvoient descendre vuides : au fond de chacun, il y avoit un bondon pour laisser entrer l’eau, lorsqu’ils descendoient, & pour la laisser sortir, lorsqu’il les avoit retirés ; au haut de ces barrils il y avoit un autre trou auquel étoit attaché un tuyau de cuir assez long pour pendre au-dessous du bondon, étant abbaissé par un poids qu’on y attachoit ; en sorte que l’air, à mesure que l’eau entroit, étant poussé dans la partie supérieure du barril, ne pouvoit, lorsque le baril descendoit, s’échapper par le haut du tuyau, à moins que l’extrémité qui pendoit en bas ne fût relevée.

Ces barils pleins d’air étoient attachés à des cordages pour les faire monter & descendre alternativement, comme deux sceaux ; de petites cordes attachées au bord de la cloche servoient à les diriger dans leur descente, de maniere qu’ils se présentoient sous la main du plongeur qui se mettoit sur le plateau pour les recevoir, & qui relevoit les extrémités des tuyaux ; alors tout l’air renfermé dans la partie supérieure des barrils s’élançoit avec violence dans la cloche, & étoit remplacé par l’eau.

Lorsqu’on avoit ainsi vuidé un des barrils, après un signal donné, on le retiroit, & on en faisoit descendre un autre sur le champ, & par le moyen de cette alternative continuelle on renouvelloit l’air avec tant d’abondance que M. Halley fut lui-même un des cinq plongeurs qui descendirent dans l’eau jusqu’à la profondeur de 9 ou 10 brasses, & qui resterent une heure & demie sans le moindre danger, l’intérieur de la cloche ayant toujours été parfaitement sec.

Toute la précaution qu’il eut, fut de laisser descendre la cloche peu à peu & de suite jusqu’à la profondeur de 12 piés ; il la fit arrêter ensuite, prit, avant que de descendre plus avant, de l’air frais dans quatre ou cinq barrils, & fit sortir toute l’eau qui étoit entrée dans la cloche ; lorsqu’il fut arrivé à la profondeur qu’il vouloit, il laissa sortir par le robinet qui étoit au haut de la cloche, l’air chaud qui avoit été respiré, & en fit entrer du frais qu’il tira de chaque barril ; quelque petite que fût cette ouverture, l’air en sortit avec tant de violence qu’il fit bouillonner la surface de la mer.

Par ce moyen il a trouvé le secret de pouvoir faire au fond de l’eau tout ce que l’on veut, & de faire en sorte que dans un espace aussi large que toute la circonférence de la cloche, on n’eût point d’eau par-dessus les souliers. De plus, par le moyen de la petite fenêtre pratiquée avec un verre au haut de la