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ils ne trompent pas, que penser de la raison ?

Tous les axiomes de Carnéade se réduisent à décrier la mémoire, l’imagination, les sens & la raison.

D’où il s’ensuit que la doctrine de l’académie moyenne fut à-peu-près la même que celle de l’académie nouvelle.

Et que l’académie différoit du pirrhonisme, en ce qu’elle laissoit au philosophe la vraissemblance & l’opinion. L’académicien disoit, videre mihi videor, & le pirrhonien, nihil videre mihi videor.

Carnéade ne reconnoissoit point l’existence des dieux ; mais il soutenoit contre les stoïciens que tout ce qu’ils en débitoient étoit vague & incertain.

Il raisonnoit de la même maniere sur le destin. Il démontroit qu’il y a des choses en notre puissance ; d’où il concluoit la fausseté de la concaténation générale, & l’impossibilité même pour Apollon de rien prédire des actions de l’homme.

Il faisoit consister le bonheur à imiter la nature, à suivre ses conseils, & à jouir de ses présens.

Le carthaginois Clitomaque succéda à Carnéade ; il entra dans l’académie la deuxieme année de la cent soixante-deuxieme olympiade, & l’occupa environ trente ans. Celui-ci fut tout-à-fait pirrhonien ; il ne laissa pas même au philosophe le choix entre les choses plus ou moins vraissemblables. Il fit un énigme également inexplicable de l’homme & de la nature. Il décria & l’observation, & l’expérience, & la dialectique qu’il comparoit à la lune qui croît & décroît.

Philon étudia plusieurs années sous Clitomaque. Charmidas lui succéda, & l’académie cessa à Anthiochus l’Ascalonite.

Les académies premiere, moyenne & nouvelle, eurent des sectateurs chez les Romains. Voyez l’article Philosophie des Romains.

Le Platonisme se renouvella sous les empereurs. On nomme parmi ces nouveaux Platoniciers Thrasile de Mende, qui vécut sous les regnes d’Auguste & de Tibere ; Théon de Smyrne ; Alcinoüs ; l’hermaphrodite ou l’eunuque Favorinus, qui se distingua sous Trajan & sous Adrien, parce qu’étant gaulois, il parla grec ; eunuque il fut accusé d’adultere, rival en philosophie de l’empereur, il conserva sa liberté & sa vie ; Calvisius Taurus qui parut du tems d’Antonin le Pieux ; Lucius Apulée l’auteur du conte de l’âne d’or ; Atticus, qui fut contemporain de l’empereur philosophe Marc-Aurele Antonin ; Numenius d’Apamée, Maxime de Tyre, sous Commode, Plutarque & Galien.

Ce fut alors que le Platonisme engendra l’Eclectisme. Voyez l’article Eclectisme, Philosophie.

Le Christianisme commenÇoit à s’établir. Voyez aux articles Philosophie de Jesus-Christ, des Apôtres et des Peres, quel fut le sort du Platonisme dans l’Eglise.

Cette philosophie s’éteignit ainsi que toutes les autres connoissances, & ne se renouve la qu’au tems où les Grecs passerent en Italie. Le premier nom que l’on trouve parmi les restaurateurs de la doctrine de Platon, est celui de George Gemistus Plitho ; il vivoit à la cour de Michel Paleologue, douze ans avant le concile de Florence, qui fut tenu sous Eugene IV. l’an 1438, & auquel il assista avec Théodore Gaza & Bessarion. Il écrivit un livre des lois que le patriarche de Constantinople Gennade, fit brûler après la mort de l’auteur.

Bessarion fut disciple de Gemistus, & sectateur du Platonisme. La vie de Gemistus & de Bessarion appartient plus à l’histoire de l’Eglise qu’à celle de la Philosophie.

Mais personne dans ce tems ne fut plus sincérement platonicien que Marsille Ficin. Il naquit à Florence en 1433. Il professa publiquement la philosophie. Il forma Ange Politien, Arétin, Cabalcante,

Calderin, Mercat, & d’autres. Il nous a laissé une traduction de Platon, si maigre, si seche, si dure, si barbare, si décharnée, qu’elle est à l’original, comme ces vieux barbouillages de peinture que les amateurs appellent des croutes, sont aux tableaux du Titien ou de Raphael.

Jean Pic de la Mirandole, qui encouragea ses contemporains à l’étude de Platon, naquit en 1463. Celui-ci connut tout ce que les Latins, les Grecs, les Arabes & les Juifs avoient écrit de la Philosophie. Il sçut presque toutes les langues. L’amour de l’étude & du plaisir abrégerent ses jours. Il mourut avant l’âge de trente-deux ans.

Alors la Philosophie prit une nouvelle face. Voyez l’article de la Philosophie en général.

Platonisme, subst. m. (Théologie.) ce terme désigne, en Théologie, la doctrine de Platon & des Platoniciens, d’après laquelle les Anti-trinitaires prétendent que le dogme de la Trinité a été transporté dans le Christianisme. Il importe de les entendre parler eux-mêmes pour être en état de les combattre : voici donc en abrégé la maniere dont ils établissent leur opinion.

On peut, disent-ils, ramener au dogme chrétien de la Trinité l’idée de Platon touchant les trois principes qu’il semble enseigner. Les philosophes payens n’ont point agité de question plus importante que celle de savoir si le monde est éternel ; mais après de longues meditations, les plus sages d’entre eux conclurent de la contemplation de l’univers, qu’il n’y avoit qu’un être tout sage & tout puissant qui put avoir construit un ouvrage si admirable. Platon étoit de ce nombre ; ne concevant pas que l’origine du monde fût dûe à la rencontre fortuite des atômes, il comprit que c’étoit la production d’une profonde sagesse. Mais comme il appréhendoit le sort de Socrate, il enveloppa cette vérité sous des fictions. & n’osant s’opposer à l’erreur publique, il personnifia la Raison du créateur, sa Sagesse, sa Puissance, & en fit des divinités, pour ne pas choquer l’opinion regnante de la pluralité des dieux ; en un mot, gêné par la superstition des peuples, il feignit adroitement, pour philosopher en sureté, une généalogie de dieux, un pere, un fils engendré, & un troisieme dieu issu du pere & du fils.

Cette philosophie orientale jetta naturellement dans l’erreur les premiers chrétiens qui prirent à la lettre une chose purement allégorique. Ils cherchoient à tirer avantage de toutes les paroles des Payens, & dans cette vûe ils leur donnoient souvent une interprétation forcée. L’équivoque des mots peut souvent faire illusion à ceux qui n’y réfléchissent pas assez. Il est sur-tout très-aisé de se tromper dans l’explication de la doctrine de Platon, qui n’est pas claire & distincte, soit que ce philosophe ait voulu être allégorique & mystérieux politiquement, soit qu’il n’ait pas été bien éclairé lui-même sur les idées qu’il falloit se former de la divinité.

Il est arrivé de sa doctrine, ajoutent les Anti-trinitaires, que quelques peres entendant mal ce qu’il a dit du second dieu, terme par lequel Platon n’entendoit sans doute autre chose que le monde crée par la sagesse & la toute puissance de Dieu, ils l’ont expliquée du verbe proféré & poussé au-dehors. De-là sont venus leurs termes de génération & prolation ; concevant qu’il y a eu un tems auquel le pere n’étoit point pere, & que le fils a commencé à être fils. Ils se sont aussi persuadés que Platon avoit connu trois personnes ou trois hypostases de la divinité, & ils ont porté dans le Christianisme ces idées de l’école de Platon.

Il est vrai que les premiers peres n’étoient point à l’égard de la Trinité dans le sentiment où fut l’Eglise après le concile de Nicée. Ils confondoient tellement