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goût de la cotterie dont il est l’oracle. Il en est des plaisanteries comme des ouvrages de parti : elles sont toujours admirées de la cabale ; c’est pour cela que le philosophe est joué par le plus mauvais bouffon.

Quant à la plaisanterie du style, elle n’est jamais bonne dans le genre sérieux, parce qu’elle ne porte que sur un côté des objets qui n’est pas celui que l’on considere ; elle roule presque toujours sur des rapports faux & sur des équivoques : delà vient aussi que les plaisans de profession ont presque tous l’esprit faux & superficiel. (D. J.)

PLAISANTIN le, (Géog. mod.) contrée d’Italie, avec titre de duché, bornée tant au nord qu’au couchant par le Milanez, & au midi par l’état de Gènes. Le Pô, la Nura, la Trebia, & d’autres rivieres, en arrosent les terres, qui sont très-fertiles. Il y a des mines d’airain & de fer, outre des fontaines salées, d’où on tire du sel fort blanc. Plaisance est la capitale de cette contrée. (D. J.)

PLAISIR, DÉLICE, VOLUPTÉ, (Synonym.) L’idée du plaisir est d’une bien plus vaste étendue que celle de délice & de volupté, parce que ce mot a rapport à un plus grand nombre d’objets que les deux autres ; ce qui concerne l’esprit, le cœur, les sens, la fortune, enfin tout ce qui est capable de nous procurer du plaisir. L’idée de délice enchérit par la force du sentiment sur celle de plaisir ; mais elle est bien moins étendue par l’objet ; elle se borne proprement à la sensation, & regarde sur-tout celle de la bonne-chere. L’idée de volupté est toute sensuelle, & semble désigner dans les organes quelque chose de délicat qui rafine & augmente le goût.

Les vrais philosophes cherchent le plaisir dans toutes leurs occupations, & ils s’en font un de remplir leur devoir. C’est un délice pour certaines personnes de boire à la glace, même en hiver, & cela est indifférent pour d’autres, même en été. Les femmes poussent ordinairement la sensibilité jusqu’à la volupté, mais ce moment de sensation ne dure guere, tout est chez elles aussi rapide que ravissant.

Tout ce qu’on vient de dire ne regarde ces mots que dans le sens où ils marquent un sentiment ou une situation gracieuse de l’ame ; mais ils ont encore, surtout au pluriel, un autre sens, selon lequel ils expriment l’objet ou la cause de ce sentiment ; comme quand on dit d’une personne qu’elle se livre entierement aux plaisirs, qu’elle jouit des délices de la campagne, qu’elle se plonge dans les voluptés. Pris dans ce dernier sens, ils ont également, comme dans l’autre, leurs différences & leurs délicatesses particulieres : alors le mot de plaisir a plus de rapport aux pratiques personnelles, aux usages & aux passe-tems, tels que la table, le jeu, les spectacles & les galanteries. Celui de délices en a davantage aux agrémens que la nature, l’art & l’opulence fournissent ; telles que de belles habitations, des commodités recherchées, & des compagnies choisies. Celui de voluptés désigne proprement des excès qui tiennent de la mollesse, de la débauche & du libertinage, recherchés par un goût outré, assaisonnés par l’oisiveté, & préparés par la dépense, tels qu’on dit avoir été ceux où Tibere s’abandonnoit dans l’île de Caprée, & les Sybarites dans les palais qu’ils avoient bâtis le long du fleuve Crathès, Girard. (D. J.)

Plaisir, (Morale.) Le plaisir est un sentiment de l’ame qui nous rend heureux du-moins pendant tout le tems que nous le goûtons ; nous ne saurions trop admirer combien la nature est attentive à remplir nos desirs. Si par le seul mouvement elle conduit la matiere, ce n’est aussi que par le plaisir qu’elle conduit les humains ; elle a pris soin d’attacher de l’agrément à ce qui exerce les organes du corps sans les affoiblir, à toutes les occupations de l’esprit qui ne l’épuisent pas par une trop vive & trop longue

contention, à tous les mouvemens du cœur que la haine & la contrainte n’empoisonnent pas, enfin à l’accomplissement de nos devoirs envers Dieu, envers nous-mêmes, & envers les autres hommes. Parcourons tous ces articles les uns après les autres.

1°. Il y a un agrément attaché à ce qui exerce les organes du corps, sans les affoiblir. L’aversion que les enfans ont pour le repos, justifie que les mouvemens qui ne fatiguent point le corps, sont naturellement accompagnés d’une sorte de plaisir ; la chasse a d’autant plus de charmes qu’elle est plus vive ; il n’est guere pour de jeunes personnes de plaisir plus touchant que la danse ; & la sensibilité au plaisir de la promenade se conserve même dans un âge avancé, elle ne s’émousse guere que par la foiblesse du corps. Les couleurs caractérisent les objets qui s’offrent à nous ; celle du feu est la plus agréable, mais à la longue elle fatigue la vue ; le verd fait une impression douce & jamais fatiguante ; le brun & le noir sont des couleurs tristes. La nature a reglé l’agrément des couleurs, sur le rapport de leur force à l’organe de la vue ; celles qui exercent davantage, sont les plus agréables, tant qu’elles ne le fatiguent point ; aussi les ténebres deviennent-elles pour nous une source d’ennui, dès qu’elles livrent les yeux à l’inaction. Les corps après s’être annoncés par les couleurs, nous frappent agréablement par leur nouveauté & leur singularité : avides de sentimens agréables, nous nous flattons d’en recevoir de tous les objets inconnus qui se présentent à nous ; d’ailleurs leur trace n’est point encore formée dans le cerveau, ils font alors sur ses fibres une impression douce qui s’affoiblit, dès que la trace trop ouverte laisse un chemin libre aux esprits ; la grandeur & la variété sont encore des causes d’agrément. L’immensité de la mer, ces fleuves qui du haut des montagnes se précipitent dans les abymes, ces campagnes où la vue se perd dans la multitude des tableaux qui s’offrent de toute part ; tous ces objets font sur l’ame une impression dont l’agrément se mesure sur l’ébranlement des fibres du cerveau : une autre source féconde d’agrémens, c’est la proportion, elle met à portée de saisir & de retenir la position des objets. La symmétrie dans les ouvrages de l’art, de même que dans les animaux & dans les plantes, partage l’objet de la vue en deux moitiés semblables, & sur ce fond, pour ainsi dire, d’uniformité, d’autres proportions doivent d’ordinaire y porter l’agrément de la variété, la convenance des moyens avec leurs fins, à la ressemblance d’un ouvrage de l’art avec un objet connu, l’unité de dessein : sous ces différens rapports, la nature les a revêtus d’agrément, ils mettent l’esprit à portée de saisir & de retenir ce qui se présente à nos yeux. L’Architecture, la Peinture, la Sculpture, la déclamation doivent à cette loi une partie de leurs charmes ; de cette même source naît en partie l’agrément attaché aux graces du corps, elles consistent dans un juste rapport des mouvemens à la fin qu’on s’y propose, elles sont comme un voile transparent à-travers lequel l’esprit se montre : les lois qui reglent l’agrément des objets à la vue, influent sur les sons, le gazouillement d’un ruisseau, le murmure d’un vent qui se joue dans les feuilles des arbres ; tous ces tons doux agitent les fibres de l’ouie sans le fatiguer Les proportions, la variété, l’imitation, l’unité de dessein, donnent à la Musique des charmes encore plus touchans qu’aux arts qui travaillent pour les yeux. Nous devons à la théorie de la Musique, cette observation importante, que les consonnances sont plus ou moins agréables, suivant qu’elles sont de nature à exercer plus ou moins les fibres de l’ouie sans les fatiguer. L’analogie qui regne dans toute la nature, nous autorise à conjecturer que cette