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n’être pas odieux à tous les peuples qui en souffrent des dommages considérables.

On convient que les Egyptiens & les Phéniciens commencerent à exercer le commerce par la voie de la mer ; les premiers s’emparerent de la mer Rouge, & les autres de la Méditerranée, sur laquelle ils établirent des colonies, & bâtirent des villes qui ont été depuis fameuses ; ils y transporterent l’usage de la piraterie & du pillage, & quoiqu’on ait souvent tâché de les détruire, comme étant des voleurs publics dignes des plus cruels supplices ; ils se trouverent en si grand nombre sur la Méditeranée, qu’ils se rendirent redoutables aux Romains qui chargerent Pompée de les combattre.

On méprisa d’abord des gens errans sur la mer, sans chef, sans discipline : la guerre contre Mitridate étoit un objet plus pressant, & occupoit entierement le sénat, qui d’ailleurs étoit divisé par les brigues des principaux citoyens. Ensorte que les pirates profitant de l’occasion, s’aggrandirent & s’enrichirent par le pillage des villes situées sur le bord de la mer, & par la prise de ceux qu’ils rencontroient. Plutarque a même remarqué que des personnes considérables par leurs richesses & par leur naissance, armerent des vaisseaux, où ils s’embarquerent & se firent pirates, comme si par la piraterie on pouvoit acquérir beaucoup de gloire.

Il faut avouer que de la maniere dont Plutarque nous décrit la vie des corsaires, il n’est pas surprenant que des personnes riches, & même d’une famille illustre, aient pris leur parti. Leurs vaisseaux étoient magnifiques, l’or & la pourpre y éclatoient de toutes parts, leurs rames mêmes étoient argentées ; & s’étant rendus maîtres d’une partie de la côte maritime, ils descendoient pour se reposer, & tâchoient de se dédommager de leurs fatigues par toutes sortes de débauches. On n’entendoit, dit Plutarque, tout le long de la côte que des concerts de voix & d’instrumens ; & ils soutenoient les dépenses qu’ils faisoient, par les grosses rançons qu’ils exigeoient des personnes & des villes, & même par le pillage des temples.

Les Romains commençant à se ressentir du voisinage des pirates, qui causoient une diserte de denrées, & une augmentation de prix à toutes choses ; on résolut de leur faire la guerre, & l’on en donna la commission à Pompée, qui les dissipa dans l’espace de quarante jours, & les détruisit aisément par la douceur ; au lieu de les faire mourir, il les relegua dans le fond des terres, & dans des lieux éloignés des bords de la mer. C’est ainsi qu’en leur donnant moyen de vivre sans piraterie, il les empêcha de pirater. (D. J.)

PIRATER, (Marine.) c’est faire le métier de pirate.

PIRA-UTOAH, (Hist. nat.) poisson du genre des orbes, qui se trouve dans les mers du Brésil ; il est, dit-on, d’une forme monstrueuse ; il a deux cornes osseuses recourbées en arriere ; sa queue est faite en spatule ; ses levres sont épaisses, & sa gueule s’ouvre d’une maniere hideuse.

PIRE, adj. (Gram.) degré comparatif de mauvais. Les hommes se plaignent toujours que le tems présent est pire que le tems passe. Il y a des hommes qui croient au fond de leur cœur, & qui font tout pour paroître incrédules, ils sont pires qu’ils ne paroissent ; d’autres au contraire sont incrédules au fond de leur cœur, & ils affectent la croyance commune ; ils tâchent de paroître meilleurs qu’ils ne sont.

PIRÉE, le, (Géog. anc.) Πειραεὺς, ou Πειραιεὺς, de πειρᾶν, traverser, faire un trajet, en latin piræus, par les Grecs modernes Porto-draco, & par les Francs Porto-lione.

Je doute qu’il se trouve aucun lecteur de l’Ency-

clopédie qui prenne avec le singe de la Fontaine, le pirée pour un nom d’homme ; personne n’ignore que c’étoit le port de la ville d’Athenes. Mais il y a bien des choses à en dire que tout le monde ne sait pas.

Le port de Phalere ne se trouvant ni assez grand, ni assez commode, on fit un triple port d’après l’avis de Thémistocle, & on l’entoura de murailles : de sorte qu’il égaloit la ville en beauté, & la surpassoit en dignité ; c’est Cornelius Nepos qui parle ainsi. Il est certain que Thémistocle eut raison de préferer le port de Pirée à celui de Phalere ; car il forme par ses courbures trois ports que l’ancrage, l’abri & la capacité rendent excellens. Son entrée est étroite, mais quand on est dedans, il est de bonne tenue, bien fermé, sans rocher ni brisans cachés. Quatre cens bâtimens, selon Strabon, y pouvoient mouiller sur 9, 10 à 12 brasses ; cependant, aujourd’hui que nos vaisseaux sont des vastes machines, il paroît que 40 auroient de la peine à s’y ranger.

Des trois ports, celui du milieu est proprement le Porto-Lione. On voit encore sur des rochers dans la mer quelques piles de pierres qui soutenoient la chaîne pour le fermer. Dans son enfoncement, il y a un moindre bassin où se retirent les galeres. C’est ce que les Italiens nomment darse. Les anciens appelloient un des trois ports Aphrodion, à cause du temple de Vénus, qui étoit tout proche ; ils nommoient le second Cantharon, à cause du héros Cantharus ; & le troisieme Zena, parce qu’il étoit destiné à décharger du blé.

La premiere chose que nous fîmes en prenant terre, dit M. de la Guilletiere, ce fut de maudire les Romains & le barbare Sylla, qui, après avoir saccagé la ville d’Athenes, ruinerent aussi le Pirée. Nous vîmes donc avec un sensible déplaisir, la désolation & la solitude de Porto-Lione. Nous nous demandâmes l’un à l’autre des nouvelles des temples célebres de Jupiter, de Minerve & de Vénus ; de ces cinq portiques qui, ayant été joints l’un à l’autre, furent appellés Macra Stoa, à l’exemple d’un pareil qui étoit à Athènes, de ce théâtre de Bacchus, dont Thucydide & Xenophon ont parlé ; de cette grande place publique, appellée la place d’Hippodame, & de la fameuse bibliothèque du curieux Apollicon, où l’on trouvoit ces imcomparables exemplaires que l’on ne connoît plus, que par le dénombrement qu’en a fait Diogene Laerce. Quelle perte, & quelle douleur pour les gens de lettres !

Nous nous demandions le tribunal phréattys, remarquable par la séance de ses juges, qui, dans les causes criminelles, se venoient placer sur le bord de la mer ; & par le privilege des coupables qui étoient montés sur un vaisseau quand on les interrogeoit.

Enfin, tous nous demandions ce superbe arsenal de marine, qui étoit un chef-d’œuvre de l’inimitable architecte Philon ; ces admirables couverts où l’on mettoit les galeres à l’abri : & il nous falloit bien faire ces questions l’un à l’autre, puisqu’il ne s’y trouve pas présentement un seul habitant.

Où est le tems où l’on voyoit partir de ce port jusqu’au nombre de quatre cens vaisseaux à la fois, & qu’un grand peuple d’un côté, & une infinité de matelots de l’autre, se crioient réciproquement en se quittant agati tuki, bonne aventure, euploia, bon voyage, pronoia sozouza, que la providence nous conserve ! Que sont venus, disrons-nous, tant de thalassiarques ou chefs d’escadre, & ces deux magistrats qu’ils nommoient apotres, & que nous appellons intendans de la marine ? Enfin, où sont tous les triéraques ou riches bourgeois, qui étoient obligés de bâtir & d’équiper à leurs dépens un certain nombre de vaisseaux à proportion de leurs richesses ?

Le Pirée a eu la gloire d’avoir vu dans l’enceinte de ses murailles quelques-unes des premieres écoles