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n’y ait été toujours cultivé depuis sans interruption, moins pour satisfaire à un vain appareil de luxe, que par la nécessité où se trouvoient les peuples de ces pays-là, d’avoir des cachets : car aucun écrit, aucun acte n’y étoient tenus pour légitimes & pour authentiques, qu’autant qu’ils étoient revêtus du sceau de la personne qui les avoit dictés. L’Ecriture sainte le dit positivement ; Esther, ch. iij. v. 10. c. viij. v. 8. & les auteurs ont décrit l’anneau de Gigès, Plato in Politic. & celui de Darius. Enfin, qu’on ouvre encore les livres saints, Daniel VI. ch. xvij. qu’on consulte Hérodote, liv. I. l’on y verra qu’à Babylone, les grands avoient chacun leurs cachets particuliers.

Les Egyptiens & les principales nations de l’Asie, conserverent toujours leur attachement pour les pierres gravées. On sait que Mithridate en avoit fait un amas singulier, comme le dit Pline, liv. XXXVII. ch. j. & lorsque Lucuile, ce romain si célebre par sa magnificence & par ses richesses, aborde à Aléxandrie ; Ptolomée uniquement occupé du soin de lui plaire, ne trouve rien dans son empire de plus précieux à lui offrir qu’une émeraude montée en or, sur laquelle le portrait de ce prince égyptien étoit gravé. Celui de Bacchus l’étoit sur la bague de Cléopatre, & le graveur s’y montra aussi fin courtisan, que supérieur dans son art. On connoît la jolie épigramme qui courut alors, & la charmante traduction en vers qu’en a donné M. Hardion ; c’est la neuvieme du liv. IV. ch. xviij. de l’Anthologie.

Le commerce maritime des Etrusques les ayant liés avec les Egyptiens, les Phéniciens, & quelques autres peuples de l’Orient ; ils apprirent les mêmes arts & les mêmes sciences que ces nations professoient, & ils les apporterent en Italie. Ce n’est guere que le commerce qui forme en quelque façon de différens peuples, une seule nation. Les Etrusques commencerent donc à se familiariser avec les arts, heureux fruits de la paix & de l’abondance ! Ils cultiverent la sculpture, la peinture, l’architecture, & ils ne montrerent pas moins de talens pour la gravure sur les pierres fines.

Le commencement des arts ne fut point différent en Grece de ce qu’il avoit été en Etrurie. Ce furent encore les Egyptiens qui mirent les instrumens des arts entre les mains des Grecs, en même tems qu’ils dictoient à Platon les principes de la sagesse qu’il étoit venu puiser chez eux, & qu’ils permettoient aux législateurs grecs de transcrire leurs lois pour les établir ensuite dans leur pays.

Cette nation toute ingénieuse qu’elle étoit, demeura dans l’ignorance de la gravure jusqu’à Dédale, qui le premier sut animer la sculpture, en donnant du mouvement à ses figures. Il vivoit vers les tems de la guerre de Troye, environ douze cens ans avant J. C. Ce ne fut cependant que dans le siecle d’Alexandre, que les progrès des arts parurent en Grece dans tout leur éclat. Alors se montrerent les Apelles, les Lysippes & les Pyrgotèles, qui partageant les faveurs & les bienfaits de cet illustre conquérant, disputerent à qui le représenteroit avec plus de grace & de dignité. Le premier y employa son pinceau avec le succès que personne n’ignore, & Lysippe ayant été choisi pour former en bronze le buste de ce prince, Pyrgotele fut seul jugé digne de le graver.

La Nature ne produit point des hommes si rares, sans leur donner pour émules d’autres hommes de génie ; ainsi l’on vit se répandre par toute la Grece une multitude d’excellens artistes ; & pour me renfermer dans mon sujet, il y eut dans toutes les villes des graveurs d’un mérite distingué. L’art de la gravure en pierres fines eut entre les mains des Grecs les succès que promettent des travaux assidus & multipliés ; il ne fallut plus chercher de bons graveurs

hors de chez eux, & ces peuples se maintinrent dans cette supériorité. Cronius, Apollonide, Dioscoride, Solon, Hyllus, & beaucoup d’autres dont les noms se sont conservés sur leurs gravures, se rendirent très-célebres dans cette profession. En un mot, on ne trouve gueres sur les belles pierres gravées d’autres noms que des noms grecs.

Les Romains ne prirent du gout pour les beaux Arts, que lorsqu’ayant pénétré dans la Grece & dans l’Asie, ils eurent été témoins de la haute estime qu’on y faisoit des grands artistes dans les arts libéraux., ainsi que de leurs productions. Alors ils se livrerent à la recherche des belles choses, & ne mettant point de bornes à la curiosité des pierres gravées, non-seulement ils en dépouillerent la Grece, mais ils attirerent encore à Rome pour en graver de nouvelles ; les Dioscorides, les Solon, & d’autres artistes aussi distingués. On para les statues des dieux de ces sortes d’ornemens, on en monta des bagues à l’usage de toutes les conditions. Et qui le pourroit croire ! il se rencontra des voluptueux assez délicats pour ne pouvoir soutenir pendant l’été le poids trop pesant de ces sortes de bagues, Juven. Sat. I. v. 38. il fallut en faire de plus légeres & de plus épaisses pour les différentes saisons.

Quand les personnes moins riches n’avoient pas le moyen de se procurer une pierre fine, ils faisoient seulement monter sur leurs anneaux un morceau de verre colorié, gravé ou moulé, sur quelque belle gravure ; & l’on voit aujourd’hui dans plusieurs cabinets de ces verres antiques, dont quelques-uns tiennent lieu d’excellentes gravures antiques qu’on n’a plus.

Leurs anneaux, leurs bagues, leurs pierres gravées, servoient à cacheter ce qu’ils avoient de plus cher & de plus précieux, en particulier leurs lettres ou leurs tablettes. Cette coutume a passé de siecle en siecle, & est venue jusqu’à nos jours, sans avoir souffert presque aucune variation. Elle subsiste encore dans toute l’Europe, & jusques chez les Orientaux ; & c’est ce qui a mis ces derniers peuples, si peu curieux d’ailleurs de cultiver les Arts, dans la nécessité d’exercer celui de la gravure en creux sur les pierres fines, afin d’avoir des cachets à leur usage.

Comme tous les citoyens, au-moins les chefs de chaque famille, devoient posséder un anneau en propre ; il n’étoit pas permis à un graveur de faire en même tems le même cachet pour deux personnes différentes ; l’histoire nous a décrit les sujets de plusieurs de ces cachets. Jules-César avoit fait graver sur le sien l’image de Vénus armée d’un dard ; gravure dont les copies se sont multipliées à l’infini. Le célebre Dioscoride avoit gravé celui d’Auguste. Le cachet de Pompée représentoit un lion, tenant une épée. Apollon & Marsias étoient exprimés sur le cachet de Néron. Scipion l’Afriquain fit représenter sur le sien le portrait de Syphax qu’il avoit vaincu.

Les premiers chrétiens qui vivoient confondus avec les Grecs & les Romains, avoient pour signes de reconnoissance des cachets sur lesquels étoient gravés le monogramme de Jesus-Christ, une colombe, un poisson, une anchre, une lyre, la nacelle de S. Pierre, & autres pareils symboles.

Le luxe & la mollesse Asiatique qui s’accrurent chez les Romains avec leurs conquêtes, ne mirent plus de bornes au nombre & aux usages des pierres gravées. Ces maîtres du monde crurent en devoir enrichir leurs vétemens, & en relever ainsi la magnificence. Les dames Romaines les firent passer dans leurs coëffures ; les bracelets, les agraffes, les agraffes, les ceintures, le bord des robes en furent parsemés, & souvent avec profusion. L’empereur Eliogabale porta cet excès si loin, qu’il faisoit mettre sur sa chaussure des pierres gravées d’un prix inestimable, & qu’il ne