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plus grand plaisir y a-t-il dans la vie, que de procréer un autre soi-même, de perpétuer sa famille, & de laisser, à sa mort, un enfant qui nous survive ? Quoi de plus agréable que de se voir des petits-fils ? Je rends graces à Dieu de ce que mon enfant est un garçon, parce que ce petit drôle pourra vous divertir, vous & ma mere, & vous donner en mon absence, des consolations & des secours. Si ma naissance vous a causé quelque joie, celle de cet enfant ne vous fera-t-elle pas plaisir ? C’est mon image dans ses traits. Ne serez-vous pas charmé de le voir vous obéir, vous embrasser, & vous faire de petites caresses ?

» Vous êtes affligé, me dites-vous, de ce que cet enfant est le fruit d’un commerce illégitime. Je ne puis concevoir, Monsieur, quelle opinion vous avez prise de moi. Il est certain que vous, qui êtes de chair & d’os, ne m’avez pas fait d’un tempérament insensible. Vous savez bien en conscience quel galant vous étiez ! Pour moi je ne me trouve ni eunuque, ni impuissant. Je ne suis pas non plus assez hypocrite pour vouloir paroître homme de bien sans l’être réellement. Je confesse ma faute, parce que je ne suis ni plus saint que David, ni plus sage que Salomon ; mais ce genre de faute est aussi commun que d’ancienne date. C’est un mal fort général, si c’est un mal de faire usage des facultés naturelles, & s’il est juste de blâmer un penchant que la nature, qui ne fait rien sans dessein, a mis dans toutes les créatures pour pourvoir à la conservation des especes.

» Vous répondrez sans doute que ce penchant est seulement légitime lorsqu’il est renfermé dans de certaines bornes, & que l’on ne doit jamais s’y livrer qu’en vertu des nœuds du mariage. J’en conviens ; & cependant on ne laisse pas de pécher fréquemment dans l’état même du mariage. Il y a une certaine regle pour manger, boire & parler ; mais où est l’homme qui l’observe ? où est le juste qui ne tombe sept fois le jour ? J’espere donc ma grace de la miséricorde de Dieu, qui sait que nous sommes sujets à bien des chutes. L’Etre suprème ne me fermera pas la source du pardon qui est ouverte à tous. Mais en voilà assez sur cet article.

» Puisque vous me demandez ensuite quelles raisons j’ai de croire que cet enfant est à moi, je vais vous le dire, en vous mettant au fait de mes amours ; car il est bon que vous soyez assuré que cet aimable fils n’est pas d’un autre pere. Il n’y a pas encore deux ans que j’étois ambassadeur à Strasbourg : pendant le séjour que j’y fis, & dans le tems que je me trouvois désœuvré, il vint loger dans l’hôtel une jeune dame angloise. Elle possédoit parfaitement la langue italienne. Elle m’adressa la parole en dialecte toscan pour quelque chose dont elle avoit besoin ; ce qui me fit d’autant plus de plaisir, que rien n’est plus rare dans ce pays-là que d’entendre parler notre langue à quelqu’un. Je fus d’ailleurs enchanté de l’esprit, de la figure, des graces & du caractere de cette belle femme ; & je me rappellai que Cléopatre avoit gagné le cœur d’Antoine & de Jules-César par les charmes de sa conversation. Je me dis à moi-même : qui me blâmera de faire ce que les grands hommes n’ont pas trouvé au-dessous d’eux ? Je songeois tantôt à l’exemple de Moïse, tantôt à celui d’Aristote, tantôt à celui de S. Augustin & autres grands personnages du Christianisme. En un mot, la passion l’emporta : je devins fou de cette charmante angloise. Je lui déclarai mon amour dans les termes les plus tendres ; mais elle résista toujours à toutes mes sollicitations, semblable à un roc contre lequel les flots de la mer viennent se briser.

» Elle avoit une petite fille de cinq ans, qui étoit

fortement recommandée à notre hôte par Milinthe, pere de l’enfant ; & elle craignoit que si cet hôte s’appercevoit de notre intrigue, il ne la mît avec cette jeune fille hors de sa maison. Enfin, la nuit avant son départ, n’ayant encore rien obtenu de ses bonnes graces, & ne voulant pas perdre ma proie, je la priai de ne point fermer cette seule nuit sa porte en-dedans, ayant des choses importantes à lui communiquer. Elle me refusa cette demande, & ne me laissa pas l’ombre d’espérance. J’insistai ; elle persista dans son refus, & s’alla coucher. Au milieu du désordre de mes réflexions, je me rappellai l’histoire du florentin Zima, & je m’imaginai qu’elle pourroit peut-être faire comme sa maîtresse. Je pris donc le parti de tenter l’aventure. Quand tout fut tranquille dans la maison, je montai dans la chambre de ma belle maîtresse, que je trouvai fermée, mais par bonheur sans verrouil. Je l’ouvris, j’entrai ; j’obtins l’accomplissement de mes vœux, & c’est de-là que vient mon fils.

» Du milieu de Février jusqu’au milieu de Novembre, il y a précisément le nombre de mois qu’on compte depuis le tems de la conception jusqu’à l’accouchement. C’est ce que la mere, qu’on nomme Elisabeth, femme riche, incapable de mentir, & de chercher à m’en imposer, me dit elle-même à Basle, & c’est ce dont elle m’assure encore aujourd’hui en toute vérité, sans aucun intérêt, sans m’avoir jamais demandé de l’argent, & sans espoir d’en tirer actuellement de moi. Je n’ai point obtenu ses faveurs par des présens, mais par la persevérance de mon amour. Enfin puisque pour ma conviction, toutes les circonstances du tems & des lieux jointes au caractere de cette dame, se réunissent ensemble, je ne doute point que l’enfant ne soit à moi. Je vous supplie aussi de le regarder sûrement comme tel, de le recevoir dans votre maison, & de le bien élever jusqu’à ce que je puisse le prendre sous ma conduite, & le rendre digne de vous ».

L’histoire ne nous apprend point ce que ce fils est devenu ; mais s’il a vécu jusqu’à la mort de Pie II. l’on ne doit pas douter que ce pere qui l’aimoit avec tendresse, & qui se félicitoit si hautement de sa naissance, ne l’ait comblé de biens, d’honneurs & de dignités ecclésiastiques. (Le Chevalier de Jaucourt.)

PIÉRIDES, (Mythol.) filles de Piérus, roi de Macédoine, étoient neuf sœurs qui excelloient dans la musique & dans la poésie ; fieres de leur nombre & de leurs talens, elles oserent aller chercher les neuf muses sur le mont Parnasse, pour leur faire un défi, & disputer avec elles du prix de la voix : le combat fut accepté, & les nymphes de la contrée furent choisies pour arbitres. Celles-ci après avoir entendu chanter les deux parties, prononcerent toutes de concert en faveur des déesses du Parnasse. Les Piérides, piquées de ce jugement, dirent aux muses beaucoup d’injures, & voulurent même les frapper, lorsqu’Apollon les métamorphosa en pies, leur laissant toujours la même envie de parler. Cette fable est fondée sur ce que les filles de Piérus se croyant les plus habiles chanteuses du monde, oserent prendre le nom de muses.

On donne aussi aux muses le surnom de Piérides. à cause du mont Piérius en Thessalie qui leur étoit consacré. (D. J.)

PIÉRIE, (Géog. anc.) Pieria, nom commun a bien des lieux, comme on va le voir. 1°. C’est le nom d’une petite contrée de la partie orientale de la Macédoine, sur le golfe Thermaïque. Ptolomée, liv. III. chap. xiij. la borne au nord par le fleuve Ludias, & au midi par le fleuve Pénée. Strabon, excerpt. liv. VII. fine, donne des bornes différentes à la Péirie. Il ne la commence du côté du midi, qu’au fleuve Aliacmon, & la termine du côté du nord