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vivant respire sans cesse, c’est-à-dire inspire, ou prend l’air, ou l’expire, ou le rend tour-à-tour. Dans l’inspiration, les vésicules du poumon se dilatent, les vaisseaux distribués entr’elles se relâchent, & laissent un plus libre passage au sang : dans l’expiration, ces vaisseaux sont comprimés, le sang est fortement chassé du cœur aux poumons par une artere élastique, conique, convergente, contre les parois de laquelle toute la partie du liquide qui y est contenu, doit nécessairement heurter, & conséquemment dilater en saison de son action. Ainsi le sang est tantôt plus mollement poussé par le cœur, & tantôt poussé avec force dans les petits vaisseaux par la compression des vésicules qui ne manquent pas de ressort. De cette méchanique démontrée par la dissection des animaux vivans, on déduit clairement tous les effets de la respiration, & l’on sait pourquoi dans toutes les maladies dans lesquelles le poumon ne laisse pas librement passer le sang, comme dans l’asthme, dans la péripneumonie vraie ou fausse, &c. le visage est si rouge, ses vaisseaux & ceux du col si gonflés, la tête entreprise jusqu’au vertige & au délire, le sang qui reflue par les veines jugulaires se mêle à celui de la veine-cave, de-là dans le ventricule droit & dans l’artere pulmonaire ; mais c’est à son extrémité qu’est la digue qui empêche le trajet du sang : il retournera donc sur ses pas, & produira toutes sortes d’accidens fâcheux, si on ne dissipe ces obstacles ; & il est également évident que la saignée & les délayans peuvent en venir à bout. La définition du cercle n’est pas plus claire en Géométrie, que les lumieres qui guident souvent un savant praticien. Il ne s’occupe que du corps, & il ne connoît que les lois méchaniques que suivent tous les corps, & par lesquelles il est facile d’expliquer leur action ; ainsi il peut appliquer au corps de l’homme, sans se tromper, tout ce qui est vrai de tout autre corps. Le frottement de deux parties solides produit de la chaleur dans le corps humain comme par-tout ailleurs.

Quant au commerce mutuel de l’ame & du corps, c’est non-seulement la chose du monde la plus inconcevable, mais même la plus inutile au médecin. La chaleur produite dans le corps peut bien se concevoir quand même l’homme ne seroit qu’un, comme parle Montaigne, puisque les pierres s’échauffent par le frottement. Le mouvement ne peut s’expliquer ni par les affections du corps, ni par les propriétés de l’ame ; il n’y a rien dans l’idée de l’ame qui se trouve dans celle du mouvement. C’est pourquoi la chaleur & le mouvement ne peuvent s’expliquer par l’ame ; & si, voulant expliquer le mouvement volontaire, vous dites qu’il consiste en ce que l’ame veut le mouvement, vous n’éclaircissez rien, parce qu’il n’y a rien dans l’idée du mouvement que vous puissiez trouver dans l’idée de l’ame ; car éclaircir ou rendre raison d’une chose, c’est faire voir clairement qu’il y a dans l’idée d’A quelque chose contenue aussi dans celle de B, mais encore une fois le médecin ne doit s’embarrasser que de rétablir la santé. Or cette curation est un changement qui se fait dans le corps humain par l’action d’autres corps. Mais l’ame n’est pas susceptible de pareils changemens, ainsi tous les systèmes sur son commerce avec le corps sont inutiles. Qui a guéri le corps, ne doit pas s’inquiéter de l’ame ; elle revient toujours sûrement à ses fonctions, quand le corps revenant aux siennes, leve tous les obstacles qui sembloient l’empêcher d’agir. La cataracte se forme dans l’œil, & empêche l’ame de voir ; abattez le crystalin, les rayons reprendront leur ancienne route, l’ame verra & vous aurez fait toute votre charge. Quelqu’un tombe en défaillance, comment rappeller son ame avec laquelle la vôtre n’a aucun commerce ? irritez les nerfs de l’odorat, les fonctions de l’ame reparoîtront, comme si elle se fût réveillée

au bout de ces nerfs, ou comme si la correspondance des organes avec cette substance spirituelle vous étoit parfaitement connue. Boërhaave, comment.

Boërhaave a été le plus grand théoricien que nous ayons jamais eu, & il passoit aussi pour un grand praticien : en effet, combien de découvertes en Anatomie avoient jusqu’à lui paru sans utilité ? on en peut juger par l’explication admirable de l’action du voile du palais, qu’on trouve dans quelques-unes des éditions de ses institutions de Médecine, dont le docteur Haller a enrichi le commentaire d’un nombre infini d’observations, par lesquelles on peut juger autant de son profond savoir dans l’Anatomie, que dans toutes les autres parties relatives à la Physiologie. Outre les ouvrages que nous avons de lui dans d’autres genres, comme dans la Botanique, dans l’Anatomie, &c. il vient de nous donner une Physiologie intitulée, primæ lineæ Physiologiæ, qui le fera d’autant plus estimer parmi les connoisseurs, qu’il étoit extrèmement épineux d’en donner une qui parût encore nouvelle, après le précieux commentaire qu’il venoit de communiquer.

PHYSIONOMIE, s. f. (Morale.) la physionomie est l’expression du caractere ; elle est encore celle du tempérament. Une sotte physionomie est celle qui n’exprime que la complexion, comme un tempérament robuste, &c. Mais il ne faut jamais juger sur la physionomie. Il y a tant de traits mêlés sur le visage & le maintien des hommes, que cela peut souvent confondre ; sans parler des accidens qui défigurent les traits naturels, & qui empêchent que l’ame ne se manifeste, comme la petite vérole, la maigreur, &c.

On pourroit plutôt conjecturer sur le caractere des hommes, par l’agrément qu’ils attachent à de certaines figures qui répondent à leurs passions, mais encore s’y tromperoit-on.

Physionomie, s. f. (Scienc. imagin.) je pourrois bien m’étendre sur cet art prétendu qui enseigne à connoître l’humeur, le tempérament & le caractere des hommes par les traits de leur visage ; mais M. de Buffon a dit tout ce qu’on peut penser de mieux sur cette science ridicule dans les deux seules réflexions suivantes.

Il est permis de juger à quelques égards de ce qui se passe dans l’intérieur des hommes par leurs actions, & connoître à l’inspection des changemens du visage, la situation actuelle de l’ame ; mais comme l’ame n’a point de forme qui puisse être relative à aucune forme matérielle, on ne peut pas la juger par la figure du corps, ou par la forme du visage. Un corps mal fait peut renfermer une fort belle ame, & l’on ne doit pas juger du bon ou du mauvais naturel d’une personne par les traits de son visage ; car ces traits n’ont aucun rapport avec la nature de l’ame, ils n’ont aucune analogie sur laquelle on puisse seulement sonder des conjectures raisonnables.

Les anciens cependant étoient fort attachés à cette espece de préjugé, & dans tous les tems il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science divinatoire de leurs prétendues connoissances en physionomie ; mais il est bien évident qu’elles ne peuvent s’etendre qu’à deviner ordinairement les mouvemens de l’ame, par ceux des yeux, du visage & du corps ; mais la forme du nez, de la bouche & des autres traits, ne fait pas plus à la forme de l’ame, au naturel de la personne, que la grandeur ou la grosseur des membres fait à la pensée. Un homme en sera-t-il moins sage parce qu’il aura des yeux petits, & la bouche grande ? Il faut donc avouer que tout ce que nous ont dit les physionomistes est destitué de tout fondement, & que rien n’est plus chimérique que les inductions qu’ils ont voulu tirer de leurs prétendues observations métoposcopiques. Hist. nat. de l’homme. (D. J.)

PHYSIONOMIQUE, adj. terme dont se servent