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dis plus, un simple fendeur de bois, a ses raisons de faire ce qu’il fait, comme il le fait, & non autrement. Il est vrai que la plûpart de ces gens travaillent par routine, & emploient leurs instrumens sans sentir quel en est le méchanique, & la proportion avec les ouvrages qu’ils exécutent ; mais il n’en est pas moins certain que chaque instrument a sa raison, & que s’il étoit fait autrement, l’ouvrage ne reussiroit pas. Il n’y a que le philosophe qui fasse ces découvertes, & qui soit en état de prouver que les choses sont comme elles doivent être, ou de les rectifier, lorsqu’elles en sont susceptibles, en indiquant la raison des changemens qu’il veut y apporter.

Les objets de la Philosophie sont les mêmes que ceux de nos connoissances en général, & forment la division naturelle de cette science. Ils se réduisent à trois principaux, Dieu, l’ame, & la matiere. A ces trois objets répondent trois parties principales de la Philosophie. La premiere, c’est la Théologie naturelle, ou la science des possibles à l’égard de Dieu. Les possibles à l’égard de Dieu, c’est ce qu’on peut concevoir en lui & par lui. Il en est de même des définitions des possibles à l’égard de l’ame & du corps. La seconde, c’est la Psychologie qui concerne les possibles à l’égard de l’ame. La troisieme, est la Physique qui concerne les possibles à l’égard des corps.

Cette division générale souffre ensuite des sous-divisions particulieres ; voici la maniere dont M. Wolf les amene.

Lorsque nous réfléchissons sur nous-mêmes, nous nous convainquons qu’il y a en nous une faculté de former des idées des choses possibles, & nous nommons cette faculté l’entendement ; mais il n’est pas aisé de connoître jusqu’où cette faculté s’étend, ni comment on doit s’en servir, pour découvrir par nos propres méditations, des vérités inconnues pour nous, & pour juger avec exactitude de celles que d’autres ont déjà découvertes. Notre premiere occupation doit donc être de rechercher quelles sont les forces de l’entendement humain, & quel est leur légitime usage dans la connoissance de la vérité : la partie de la Philosophie où l’on traite cette matiere, s’appelle logique ou l’art de penser.

Entre toutes les choses possibles, il faut de toute nécessité qu’il y ait un être subsistant par lui-même ; autrement il y auroit des choses possibles, de la possibilité desquelles on ne pourroit rendre raison, ce qui ne sauroit se dire. Or cet être subsistant par lui-même, est ce que nous nommons Dieu. Les autres êtres qui ont la raison de leur existance dans cet être subsistant par lui-même, ont le nom de créatures ; mais comme la Philosophie doit rendre raison de la possibilité des choses, il convient de faire précéder la doctrine qui traite de Dieu, à celle qui traite des créatures : j’avoue pourtant qu’on doit déjà avoir une connoissance générale des créatures ; mais on n’a pas besoin de la puiser dans la Philosophie, parce qu’on l’acquiert dès l’enfance par une expérience continuelle. La partie donc de la Philosophie, où l’on traite de Dieu & de l’origine des créatures, qui est en lui, s’appelle Théologie naturelle, ou doctrine de Dieu.

Les créatures manifestent leur activité, ou par le mouvement, ou par la pensée. Celles-là sont des corps, celles-ci sont des esprits. Puis donc que la Philosophie s’applique à donner de tout des raisons suffisantes, elle doit aussi examiner les forces ou les opérations de ces êtres, qui agissent ou par le mouvement ou par la pensée. La Philosophie nous montre donc ce qui peut arriver dans le monde par les forces des corps & par la puissance des esprits. On nomme pnéumatologie ou doctrine des esprits, la partie de la Philosophie où l’on explique ce que peuvent effectuer les esprits ; & l’on appelle physique ou doctrine de la nature cette autre partie où l’on montre ce

qui est possible en vertu des forces des corps.

L’être qui pense en nous s’appelle ame ; or comme cette ame est du nombre des esprits, & qu’elle a outre l’entendement, une volonté qui est cause de bien des évenemens ; il faut encore que la Philosophie développe ce qui peut arriver en conséquence de cette volonté ; c’est à quoi l’on doit rapporter ce que l’on enseigne du droit de la nature, de la morale, & de la politique.

Mais comme tous les êtres, soit corps, ou esprits, ou ames, se ressemblent à quelques égards, il faut rechercher aussi ce qui peut convenir généralement à tous les êtres, & en quoi consiste leur différence générale. On nomme onthologie, ou science fondamentale, cette partie de la Philosophie qui renferme la connoissance générale de tous les êtres ; cette science fondamentale, la doctrine des esprits, & la théologie naturelle, composent ce qui s’appelle métaphysique ou science principale.

Nous ne nous contentons pas de pousser nos connoissances jusqu’à savoir par quelles forces se produisent certains effets dans la nature, nous allons plus loin, & nous mesurons avec la derniere exactitude les degrés des forces & des effets, afin qu’il paroisse visiblement que certaine force peut produire certains effets. Par exemple, il y a bien des gens qui se contentent de savoir, que l’air comprimé avec force dans une fontaine artificielle, porte l’eau jusqu’à une hauteur extraordinaire ; mais d’autres plus curieux font des efforts pour découvrir de combien s’accroît la force de l’air, lorsque par la compression il n’occupe que la moitié, le tiers ou le quart de l’espace qu’il remplissoit auparavant, & de combien de piés il fait monter l’eau chaque fois ; c’est pousser nos connoissances à leur plus haut degré, que de savoir mesurer tout ce qui a une grandeur, & c’est dans cette vûe qu’on a inventé les mathématiques.

Le véritable ordre dans lequel les parties de la Philosophie doivent être rangées, c’est de faire précéder celles qui contiennent les principes, dont la connoissance est nécessaire pour l’intelligence & la démonstration des suivantes ; c’est à cet ordre que M. Wolf s’est religieusement conformé, comme il paroît par ce que je viens d’extraire de lui.

On peut encore diviser la Philosophie en deux branches, & la considérer sous deux rapports ; elle est théorique ou pratique.

La Philosophie théorique ou spéculative se repose dans une pure & simple contemplation des choses ; elle ne va pas plus loin.

La Philosophie pratique est celle qui donne des regles pour opérer sur son objet : elle est de deux sortes par rapport aux deux especes d’actions humaines qu’elle se propose de diriger : ces deux especes sont la Logique & la Morale : la Logique dirige les opérations de l’entendement, & la Morale les opérations de la volonté. Voyez Logique & Morale. Les autres parties de la Philosophie sont purement spéculatives.

La Philosophie se prend aussi fort ordinairement pour la doctrine particuliere ou pour les systèmes inventés par des philosophes de nom, qui ont eu des sectateurs. La Philosophie ainsi envisagée s’est divisée en un nombre infini de sectes, tant anciennes que modernes ; tels sont les Platoniciens, les Péripatéticiens, les Epicuriens, les Stoïciens, les Pythagoriciens, les Pyrrhoniens, & les Académiciens ; & tels sont de nos jours les Cartésiens, les Newtoniens. Voyez L’origine, le dogme de chaque secte, à l’article qui lui est particulier.

La Philosophie se prend encore pour une certaine maniere de philosopher, ou pour certains principes sur lesquels roulent toutes les recherches que l’on fait par leur moyen ; en ce sens l’on dit, Philosophie