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bâtir. Il y a d’autant plus lieu de croire que l’histoire ne fait mention que d’un phare bâti sur cette côte, & qu’on n’y a jamais remarqué de trace d’aucun autre.

Cette tour fut élevée sur le promontoire ou sur la falaise qui commandoit au port de la ville. Elle étoit octogone ; chacun des côtés avoit, selon Bucherius, vingt-quatre ou vingt-cinq piés. Son circuit étoit donc d’environ deux cens piés, & son diametre de soixante-six. Elle avoit douze entablemens ou especes de galeries qu’on voyoit au-dehors, en y comprenant celle d’en bas cachée par un petit fort que les Anglois avoient bâti tout-autour quand ils s’en rendirent maîtres en 1545. Chaque entablement ménagé sur l’épaisseur du mur de dessous, faisoit comme une petite galerie d’un pié & demi ; ainsi ce phare alloit toujours en diminuant, comme nous avons vû des autres phares.

Ce phare étoit appellé depuis plusieurs siecles turris ordans, ou turris ordensis. Les Boulonnois l’appelloient la tour d’ordre. Plusieurs croient, avec assez d’apparence, que turris ordans ou ordensis s’étoit fait de turris ardens, la tour ardente, ce qui convenoit parfaitement à une tour où le feu paroissoit toutes les nuits.

Comme il n’y a point d’ouvrage fait par la main des hommes qui ne périsse enfin, soit par l’injure du tems, soit par quelque autre accident, la tour & la forteresse tomberent. Voici comment ; cette partie de la falaise ou de la roche qui avançoit du côté de la mer, étoit comme un rempart qui mettoit la tour & la forteresse à couvert contre la violence des marées & des flots ; mais les habitans y ayant ouvert des carrieres pour vendre de la pierre aux Hollandois & à quelques villes voisines, tout ce devant se trouva à la fin dégarni, & alors la mer ne trouvant plus cette barriere, venoit se briser au-dessous de la tour, & en détachoit toujours quelques pieces ; d’un autre côté, les eaux qui découloient de la falaise, minoient insensiblement la roche, & creusoient sous les fondemens du phare & de la forteresse, de sorte que l’an 1644, le 29 de Juillet, la tour & la forteresse tomberent en plein midi. C’est encore un bonheur qu’un boulonnois, plus curieux que ses compatriotes, nous ait conservé la figure de ce phare ; il seroit à souhaiter qu’il se fût avisé de nous instruire de même sur ses dimensions.

Ce phare, bâti par les Romains, éclairoit les vaisseaux qui passoient de la Grande-Bretagne dans les Gaules. Il ne faut point douter qu’il n’y en eût aussi un à la côte opposée, puisqu’il y étoit aussi nécessaire pour guider ceux qui passoient dans l’île. Plusieurs personnes croyent que la vieille tour qui subsiste aujourd’hui au milieu du château de Douvre, étoit le phare des Romains : d’autres pensent que ce phare étoit situé où est le grand monceau de pierres & de chaux qu’on voit auprès du château de Douvre, & que les gens du pays appellent la goutte du diable.

L’archevêque de Cantorbéry envoya au P. Montfaucon un plan de ce qu’il croyoit être le phare de Douvre. En fouillant dans un grand monceau de masures, par l’ordre de cet archevêque, on trouva un phare tout-à-fait semblable à celui de Boulogne, sans aucune différence, ce qui fait juger que celui qui est encore aujourd’hui sur pié, ne fut fait que quand l’ancien eut été ruiné.

Le nom de phare s’étendit bien davantage que celui de mausolée. Grégoire de Tours le prend en un autre sens. On vit, dit-il, un phare de feu qui sortit de l’église de saint Hilaire, & qui vint fondre sur le roi Clovis. Il se sert aussi de ce nom pour marquer un incendie : ils mirent, dit-il, le feu à l’église de saint Hilaire, & firent un grand phare ; & pendant que l’église brûloit, ils pillerent le monastere : un brûleur d’église

étoit par conséquent un faiseur de phares.

On appella phares dans des tems postérieurs, certaines machines où l’on mettoit plusieurs lampes ou plusieurs cierges, & qui approchoient de nos lustres ; elles étoient de diverses formes.

Ce mot phare a encore été pris en un sens plus métaphorique ; on appelle quelquefois phare tout ce qui éclaire en instruisant, & même les gens d’esprit qui servent à éclairer les autres : c’est en ce sens que Ronsard disoit à Charles IX.

Soyez mon phare, & garde d’abymes
Ma nef qui tombe en si profonde mer.


(Le chevalier de Jaucourt.)

PHARÈS, (Géog. anc.) ville d’Achaïe, où Mercure & Vesta avoient conjointement un oracle célebre. Auguste réunit cette ville au domaine de Patra ; voici ce qu’en dit Pausanias.

On compte de Pharès à Patra, environ cent cinquante stades, & de la mer au continent, on en compte environ soixante-dix. Le fleuve Piérus passe fort près des murs de Pharès ; c’est le même qui baigne les ruines d’Olene, & qui est appellé Piérus du côté de la mer. On voit sur ses rives comme une forêt de platanes, vieux, creux pour la plûpart, & en même tems d’une si prodigieuse grosseur, que plusieurs personnes y peuvent manger & dormir comme dans un antre.

La place publique de Pharès, continue Pausanias, est bâtie à l’antique, & son circuit est fort grand. Au milieu vous voyez un Mercure de marbre qui a une grande barbe ; c’est une statue de médiocre grandeur, de figure quarrée, qui est debout à terre, sans piédestal. L’inscription porte que cette statue a été posée par-là par Simylus Messénien, & que c’est Mercure Agoreus, ou le dieu du marché : on dit que ce dieu rend là des oracles.

Immédiatement devant sa statue, il y a une Vesta qui est aussi de marbre ; la déesse est environnée de lampes de bronze, attachées les unes aux autres, & soudées avec du plomb. Celui qui veut consulter l’oracle, fait premierement sa priere à Vesta, il l’encense, il verse de l’huile dans toutes les lampes & les allume, puis s’avançant vers l’autel, il met dans la main droite de la statue une petite piece de cuivre, c’est la monnoie du pays ; ensuite il s’approche du dieu, & lui fait à l’oreille telle question qu’il lui plaît. Après toutes ces cérémonies, il sort de la place en se bouchant les oreilles avec les mains ; dès qu’il est dehors, il écoute les passans, & la premiere parole qu’il entend, lui tient lieu d’oracle ; la même chose se pratique chez les Egyptiens dans le temple d’Apis.

Une autre curiosité de la ville de Pharès, c’est un vivier que l’on nomme hama, & qui est consacré à Mercure avec tous les poissons qui sont dedans, c’est pourquoi on ne le pêche jamais. Près de la statue du dieu, il y a une trentaine de grosses pierres quarrées, dont chacune est honorée par les habitans sous le nom de quelque divinité ; ce qui n’est pas fort surprenant, car anciennement les Grecs rendoient à des pierres toutes brutes les mêmes honneurs qu’ils ont rendus depuis aux statues des dieux.

A quinze stades de la ville, les Dioscures ont un bois sacré tout planté de lauriers ; on n’y voit ni temples, ni statues ; mais si l’on en croit les habitans, il y a eu autrefois dans ce lieu nombre de statues qui ont été transportées à Rome ; présentement il n’y reste qu’un autel qui est bâti de très-belles pierres. Au reste, je n’ai pû savoir si c’est Pharès, fils de Philodamie, & petit-fils de Danaüs, qui a bâti la ville de Pharès, ou si c’en est un autre ; ce récit de Pausanias contient bien des choses curieuses, entre les-