Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons aussi en France de l’huile de pétrol dans la Guyenne près du village de Gabian, qui n’est pas éloigné de Beziers, il découle des sentes de certains rochers, une huile noirâtre, mêlée avec de l’eau, que l’on recueille avec soin. On appelle cette huile de pétrol, huile noire de Gabian. On la vend ordinairement pour l’huile de pétrol noire d’Italie, quoiqu’il s’en faille bien qu’elle approche de ses qualités. Elle est d’une consistence moyenne, d’une odeur forte & puante, d’une couleur noire ; elle se contrefait avec de l’huile de térébenthine qu’on colore avec de la poix noire. Elle étoit autrefois assez estimée, & faisoit une partie du revenu de M. l’evêque de Beziers, à qui la roche appartient, & qui la faisoit recueillir, mais à présent il ne s’en fait plus de commerce.

On parle encore d’une fontaine de cette huile, près de Clermont en Auvergne, dans un lieu qu’on appelle le puits de Pége, mais on n’en peut tirer aucun parti. Elle est noire, épaisse, de mauvaise odeur.

Examen du pétrol de Modene. Le seul pétrol recherché est celui d’Italie, & sur-tout du duché de Modene qui est constamment le meilleur ; c’est même un bonheur assez singulier d’en posséder qui soit hors de tout soupçon d’avoir été falsifié, car les drogues rares & peu connues le sont presque toujours. M. Boulduc profita de ce bonheur-là en 1715, pour faire des observations qui appartinssent sûrement aux vrais pétrols, & il a donné ces observations dans l’histoire de l’académie des Sciences de la même année.

Il s’agit dans les observations de M. Boulduc, du pétrol qu’on trouve près du mont Gibbius. Ce fut un médecin de Ferrare nommé François Arioste, qui le découvrit en 1640. On a ménagé dans le lieu avec beaucoup de dépenses, & même de périls, différens canaux, d’où coulent dans de petits réservoirs ou bassins, trois différentes sortes de pétrol.

Le premier est presque aussi blanc, aussi clair & aussi fluide que de l’eau, d’une odeur très-vive, très-pénétrante, & pas désagréable ; c’est le plus parfait. Le second est d’un jaune clair, moins fluide que le blanc, & d’une odeur moins pénétrante. Le troisieme est d’un rouge noirâtre d’une consistence plus parfaite, & d’une odeur de bitume un peu désagréable.

Les Italiens n’envoyent guéres le premier hors de chez eux ; on seroit encore trop heureux qu’ils donnassent le second pur, mais souvent en le mêlant en petite quantité avec le troisieme, & en y ajoutant quelque huile subtile, comme celle de térébenthine, ils donnent le tout pour le premier. L’odeur de ces petrols est si forte & si pénétrante, qu’on dit qu’on s’en apperçoit à un quart de mille de la source. Quoiqu’il en soit, M. Boulduc a fait sur le pétrol de la premiere espece ou blanc, les observations suivantes.

Il s’allume à une bougie dont il ne touche point la flamme, & quand il est échauffé dans un vaisseau, il attire la flamme de la bougie, quoiqu’élevée de plusieurs piés au-dessus du vaisseau, & ensuite se consume entierement, c’est-à-dire qu’une vapeur subtile, qui s’éleve de ce bitume liquide, va jusqu’à la flamme de la bougie, y prend feu, & que le feu qui se communique à toute la sphere de vapeur, gagne jusqu’au pétrol du vaisseau.

Il brûle dans l’eau, & vraisemblablement, c’étoit là une des matieres du feu grégeois.

Il surnage toutes les liqueurs, & même l’esprit de vin rectifié, qui est plus pésant de .

Il se mêle parfaitement avec les huiles essentielles de thim, de lavande, de térébenthine, quoiqu’il soit minéral, & que ces huiles soient végétales. Mais

peut-être aussi le minéral & le végétal ne different-ils pas en cette matiere, car les huiles végétales ont été auparavant minérales, puisque les plantes les ont tirées de la terre.

Le pétrol fortement agité, fait beaucoup de bulles, mais il se remet en son état naturel plus promptement que toute autre liqueur. Cela vient de ce que l’air distribué dans toute la subsistance du pétrol, y est distribué d’une certaine maniere unique & nécessaire, & que les parties de la liqueur n’en peuvent naturellement souffrir une autre ; en effet, les parties d’une huile ont une certaine union, certains engagemens de leurs filets, ou petits rameaux les uns avec les autres, ce qui oblige l’air qu’elles renferment, à s’y conformer.

Le pétrol est d’une extension surprenante : sur l’eau, une goutte s’étend plus d’une toise, & en cet état elle donne des couleurs, c’est-à-dire que ses petits filets deviennent des prismes.

La plus forte gelée n’y fait aucune impression.

Le papier enduit de pétrol ne devient transparent que pour quelques momens ; il cesse de l’être dès qu’il a été séché à l’air.

M. Homberg a fait voir qu’il y a des huiles qui s’enflamment par le mélange d’un esprit acide bien déflegmé. On auroit pû attendre le même effet du pétrol, mais il n’arrive point ; seulement les esprits acides s’y mêlent parfaitement, & le rendent d’une consistence très-épaisse ; ces huiles qui s’enflamment sont des huiles essentielles de plantes aromatiques des Indes, & il n’est pas surprenant que le pétrol n’en ait pas les conditions.

Il se mêle & s’unit difficilement avec l’esprit-de-vin, parce que peut-être sa consistence est trop grasse.

L’esprit-de-vin rectifié, qui est le grand dissolvant des soufres & des huiles, ne tire rien du pétrol, même après une longue digestion.

Par la distillation M. Geoffroy l’aîné en a retiré une liqueur huileuse, qui est un peu plus transparente, mais qui perd beaucoup de son odeur & de sa subtilité naturelle ; lorsqu’on l’allume, elle donne une lueur moins obscure, mais plus languissante. Au fond de l’alembic il trouva seulement un peu de marc jaune.

De même M. Boulduc n’a pu tirer du pétrol par la distillation, soit au bain de vapeur, soit au bain de sable, aucun flegme, ni aucun esprit salin. Tout ce qui est monté étoit de l’huile seulement ; il est resté au fond de la cornue une très-petite quantité d’une matiere un peu épaisse & un peu brune ; d’où il résulte que le pétrol ne se perfectionne point par la distillation.

On ne peut donc mieux faire, quand on usera de pétrol en médecine, que de le laisser tel qu’il est ; c’est un remede tout préparé par la nature, comme plusieurs autres, dont nous avons parlé, & où l’art n’a point lieu d’exercer son inquiétude.

Examen du pétrol de Plaisance. Le pétrol de Plaisance est d’une même nature que celui de Modène, c’est pourquoi je n’en dirai qu’un mot. On le tire en abondance du mont Ciaro, situé environ à 12 lieues italiennes de Plaisance. Voici comme on s’y prend.

Il y a dans cette montagne des ardoises grises, couchées presque horisontalement, mêlées d’argile, & d’une espece de sélénite qui paroît d’une nature calcaire. On perce perpendiculairement ces ardoises jusqu’à ce qu’on trouve l’eau, & alors le pétrol qui étoit contenu entre les couches des ardoises & dans leurs fentes suinte, & tombe sur l’eau de ces puits qu’on a creusés. Quand il s’y en est assez amassé, comme au bout de huit jours, on le va prendre avec des bassins de cuivre jaune. Il est mêlé avec de l’eau, mais on pense aisément qu’il est facile de l’en séparer. Ce pétrol du mont Ciaro est clair, blanc, extrèmement