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sus un pays, on n’avoit pas long-tems sujet de s’en féliciter, elle retournoit ensuite sur ses pas ; dès la seconde année vers le milieu du printems, elle se fit jour à Constantinople, où Procope demeuroit alors.

Plusieurs personnes attaquées du mal, croyoient voir des apparitions d’esprits, en toutes sortes de formes humaines ; d’autres s’imaginoient que les hommes qu’ils rencontroient les frappoient en quelque partie de leur corps ; d’autres croyoient dans leurs visions entendre une voix qui leur crioit, qu’ils étoient marqués dans le livre des morts ; d’autres se refugioient dans les Eglises, où ils périssoient. Plusieurs, sans aucun symptôme précurseur de maladie, étoient pris subitement d’une sorte de fievre, qui n’annonçoit par le pouls aucun danger ; cependant ils étoient emportés par un bubon qui se formoit, tantôt plutôt, tantôt plus tard, ou à l’aine ou à l’aisselle, ou sous l’oreille, ou en d’autres parties du corps.

On remarqua dans cette maladie, une grande diversité de symptômes. Les uns tomboient dans un assoupissement profond, d’autres étoient agités d’une phrénésie violente, quelques-uns demandoient à manger, & quelqu’autres dégoutés de toute nourriture, mouroient d’inanition. Dans certains tems, ni médecin, ni garde, ni fossoyeur ne gagnoit la maladie auprès des malades & des morts ; ils continuoient à jouir d’une santé parfaite, quoiqu’ils soignassent & ensevelissent des personnes infectées ; d’autres au contraire gagnoient la maladie sans savoir comment, & en mouroient incontinent. Plusieurs sans être altérés de soif, se jettoient dans l’eau douce ou dans la mer. Quelques-uns sans avoir eu d’assoupissement ou d’attaque de phrénesie, avoient des bubons gangrenés, & expiroient dans les douleurs ; d’autres finissoient leurs jours par un vomissement de sang.

Quelques médecins conjecturant que le venin de la maladie consistoit dans les ulceres pestilentiels, ouvrirent ces ulceres dans les corps morts, & y trouverent un charbon énorme. Ceux dont le corps étoit taché de petits boutons noirs de la grosseur d’une lentille, ne vivoient pas un jour. Quelques-uns entierement abandonnés des medecins, se rétablissoient contre toute attente ; d’autres de la guérison desquels ils se croyoient sûrs, périssoient soudainement. Le bain fit du bien à quelques-uns, il nuisit à d’autres ; ceux-ci moururent par les remedes, & ceux-là échapperent sans en avoir usé. En un mot, il n’étoit pas possible de trouver aucune méthode pour conserver la vie des hommes, soit en prévenant le mal, soit en le domptant, n’y ayant aucune cause apparente à laquelle on pût attribuer la maladie ou sa guérison.

Les femmes enceintes qui en étoient frappées mouroient, les unes en faisant de fausses couches ; & d’autres délivrées heureusement, périssoient également avec leurs enfans ; on vit peu d’exemples du contraire. Les malades dont les ulceres ouverts couloient abondamment, réchappoient pour l’ordinaire, la violence du charbon étant adoucie par l’écoulement ; mais ceux dont les ulceres restoient dans le même état qu’ils avoient paru d’abord, périssoient presque toujours. Quelques-uns eurent les cuisses desséchées, sans que les ulceres eussent flué ; d’autres échapperent de la maladie avec la langue mutilée, & ne parent pendant le reste de leur vie articuler que des sons confus.

Cette peste dura quatre mois à Constantinople, d’abord avec assez de bénignité ; mais ensuite avec tant de fureur, que le nombre des morts monta jusqu’à dix mille personnes en un jour. Au commencement, on les ensevelissoit soigneusement, mais à la fois tout tomba dans la derniere confusion : les domestiques n’avoient pas de maîtres, & les personnes riches n’avoient point de domestiques pour les servir. Dans

cette ville affligée, on ne voyoit que maisons vuides, & que magasins & boutiques qu’on n’ouvroit plus ; tout commerce pour la subsistance même étoit anéanti.

L’empereur chargea Théodore, l’un de ses référendaires, de tirer du trésor l’argent nécessaire pour en distribuer à ceux qui étoient dans le besoin, mais ce n’étoit-là qu’une foible ressource. Procope ajoute que plusieurs malheureux, frappés d’épouvante, quitterent leur mauvaise vie, tandis que d’autres retournerent à leurs déréglemens aussi-tôt que le danger fut passé.

Il résulte de tout ce détail, que quoique cette peste ait duré cinquante-deux ans, en changeant souvent de symptômes, suivant les pays ; cependant la description d’Evagre differe en peu de choses essentielles de celle de Procope.... mais comme l’histoire de Procope étoit connue de tout le monde, Evagre eut tort d’avancer, que cette maladie n’avoit pas été décrite avant lui. On ne peut pas douter que sa description & celle de Procope ne regardent la même peste, laquelle, au rapport d’Agathias, commença la cinquieme année (il faudroit lire la quinzieme année de Justinien). Procope l’a décrite telle qu’elle parut à Constantinople la seconde année, & Evagre en parle conformément à ce qu’elle étoit plusieurs années après ; c’est cette différence de tems & de lieux, qui sont apparemment les principales causes de la différence qui se trouve quelquefois dans les descriptions de ces deux historiens.

Evagre, par exemple, rapporte une circonstance très-surprenante, qu’on ne lit point dans Procope, savoir, qu’aucune personne native des villes attaquées, quelqu’éloignées qu’elle fut du lieu où étoit la maladie, n’échappoit pourtant à sa fureur ; ces mots aucune personne pris à la rigueur de la lettre, détruisent toute croyance ; mais si l’on interprete son récit par un très-grand nombre de personnes, il ne sera point suspect de fausseté pour ceux qui n’ignorent pas des exemples semblables que rapportent les historiens dans des tems plus modernes, au sujet de la sueur angloise, genre de peste qui vint à éclorre dans la principauté de Galles en 1483, ravagea l’Angleterre, se répandit en Allemagne, reparut à Londres en 1551 pour la cinquieme fois, attaqua quantité de naturels anglois dans les pays étrangers, & épargna presque tous les étrangers établis en Angleterre. Voyez Sueur angloise. (Le Chevalier de Jaucourt.)

PESTIFERE, adj. (Gram.) qui est attaqué de la peste. Voyez Peste.

PESTILENCE, s. f. en Médecine ; c’est une maladie épidémique, maligne & contagieuse, ordinairement mortelle, connue vulgairement sous le nom de peste. Voyez Peste.

Ce mot est formé du latin pestis, qui signifie la même chose.

Maison de peste ; c’est un lazaret ou une infirmerie, où l’on met en dépôt & où l’on a soin des marchandises des personnes, &c. infectées, ou que l’on soupçonne infectées de quelque maladie contagieuse. Voyez Lazaret.

PESTILENTIEL, adj. (Médecine.) se dit en Médecine des maladies, de l’air & des alimens ; on dit un air pestilentiel, un aliment empesté.

La maladie pestilentielle est une maladie épidémique, dont il meure plus de monde qu’il n’en réchappe, & dont les malades meurent plus promptement que dans les maladies épidémiques ordinaires, les signes propres & caractéristiques de la maladie ou fievre pestilentielle ou de la pestilence sont ; 1° l’épidémie ; 2°. la mortalité ; 3°, les accidens, tels que les bubons, les charbons, le pourpre, la mollesse,