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sévere le desireroit. Les Grecs n’ont pas manqué d’occasions de s’instruire des lois, des coutumes, de la religion & de la philosophie de ces peuples ; mais peu sinceres en général dans leurs récits, la haine qu’ils portoient aux Perses les rend encore plus suspects. Qu’est-ce qui a pu les empêcher de se livrer à cette fureur habituelle de tout rapporter à leurs idées particulieres ? La distance des tems, la légereté du caractere, l’ignorance & la superstition des Arabes n’affoiblissent guere moins leur témoignage. Les Grecs mentent par orgueil ; les Arabes mentent par intérêt. Les premiers défigurent tout ce qu’ils touchent pour se l’approprier ; les seconds pour se faire valoir. Les uns cherchent à s’enrichir du bien d’autrui, les autres à donner du prix à ce qu’ils ont. Mais c’est quelque chose que de bien connoître les motifs de notre méfiance, nous en serons plus circonspects.

De Zoroastre. Zerdusht ou Zaradusht, selon les Arabes, & Zoroastre, selon les Grecs, fut le fondateur ou le restaurateur de la Philosophie & de la Théologie chez les Perses. Ce nom signifie l’ami du feu. Sur cette étymologie on a conjecturé qu’il ne désignoit pas une personne, mais une secte. Quoi qu’il en soit, qu’il n’y ait jamais eu un homme appellé Zoroastre, ou qu’il y en ait eu plusieurs de ce nom, comme quelques-uns le prétendent, on n’en peut guere reculer l’existence au-delà du regne de Darius Histaspe. Il y a la même incertitude sur la patrie du premier Zoroastre. Est-il chinois, indien, perse, medo-perse ou mede ? S’il en faut croire les Arabes, il est né dans l’Aderbijan, province de la Médie. Il faut entendre toutes les puérilités merveilleuses qu’ils racontent de sa naissance & de ses premieres années ; au reste, elles sont dans le génie des Orientaux, & du caractere de celles dont tous les peuples de la terre ont défiguré l’histoire des fondateurs du culte religieux qu’ils avoient embrassé. Si ces fondateurs n’avoient été que des hommes ordinaires, de quel droit eût-on exigé de leurs semblables le respect aveugle pour leurs opinions ?

Zoroastre, instruit dans les sciences orientales, passe chez les Islalites. Il entre au service d’un prophete. Il y prend la connoissance du vrai Dieu. Il commet un crime. Le prophete, qu’on croit être Daniel ou Esdras, le maudit ; & il est attaque de la lepre. Guéri apparemment, il erre ; il se montre aux peuples, il fait des miracles ; il se cache dans des montagnes ; il en descend ; il se donne pour un envoyé d’en-haut ; il s’annonce comme le restaurateur & le réformateur du culte de ces mages ambitieux que Cambise avoit exterminés. Les peuples l’écoutent. Il va à Xis ou Ecbatane. C’étoit le lieu de la naissance de Smerdis, & le magianisme y avoit encore des sectateurs cachés. Il y prêche ; il y a des révélations. Il passe de-là à Balch sur les rives de l’Oxus, & s’y établit. Histaspe régnoit alors. Ce prince l’appelle. Zoroastre le confirme dans la religion des mages que Histaspe avoit gardée ; il l’entraîne par des prestiges ; & sa doctrine devient publique, & la religion de l’état. Il y en a qui le font voyager aux Indes, & conferer avec les brachmanes ; mais c’est sans fondement. Après avoir établi son culte dans la Bactriane, il vint à Suse, où l’exemple du roi fut suivi de la conversion de presque tous les courtisans. Le magianisme, ou plutôt la doctrine de Zoroastre se répandit chez les Perses, les Parthes, les Bactres, les Chorasmiens, les Saiques, les Medes, & plusieurs autres peuples barbares. L’intolérance & la cruauté du mahométisme naissant n’a pu jusqu’à présent en effacer toutes les traces. Il en reste toujours dans la Perse & dans l’Inde. De Suse, Zoroastre retourna à Balch, où il éleva un temple au feu ; s’en dit archimage, & travailla à attirer à son culte les rois circonvoisins ; mais ce zele ardent lui devint funeste. Argaspe, roi

des Scythes, étoit très-attaché au culte des astres ; c’étoit celui de sa nation & de ses aïeux. Zoroastre ne pouvant réussir auprès de lui par la persuasion, emploie l’autorité & la puissance de Darius. Mais Argaspe indigné de la violence qu’on lui faisoit dans une affaire de cette nature, prit les armes, entra dans la Bactriane, & s’en empara, malgré l’opposition de Darius, dont l’armée fut taillée en pieces. La destruction du temple patriarchal, la mort de ses prêtres & celle de Zoroastre-même furent les suites de cette défaite. Peu de tems après Darius eut sa revanche ; Argaspe fut battu, la province perdue recouverte, les temples consacrés au feu relevés, la doctrine de Zoroastre remise en vigueur, & l’azur gustasp, ou l’édifice de Hystaspe construit. Darius en prit même le titre de grand-prêtre, & se fit appeller de ce nom sur son tombeau. Les Grecs qui connoissoient bien les affaires de la Perse, gardent un profond silence sur ces événemens, qui peut être ne sont que des fables inventées par les Arabes, dont il faudroit réduire le récit à ce qu’il y eut dans un tems un imposteur qui prit le nom de Zoroastre déja révéré dans la Perse, attira le peuple, séduisit la cour par des prestiges, abolit l’idolâtrie, & lui substitua l’ancien culte du feu, qu’il arrangea seulement à sa maniere. Il y a aussi quelqu’apparence que cet homme n’étoit pas tout-à-fait ignorant dans la médecine & les sciences naturelles & morales ; mais que ce fut une encyclopédie vivante, comme les Arabes le disent, c’est sûrement un de ces mensonges pieux auxquels le zele qui ne croit jamais pouvoir trop accorder aux fondateurs de religion, se détermine si généralement.

Des Guebres. Depuis ces tems reculés, les Guebres ont persisté dans le culte de Zoroastre. Il y en a aux environs d’Ispahan dans un petit village appellé de leur nom Gauradab. Les Musulmans les regardent comme des infideles, & les traitent en conséquence. Ils exercent-là les fonctions les plus viles de la société ; ils ne sont pas plus heureux dans la Commanie ; c’est la plus mauvaise province de la Perse. On les y fait payer bien cher le peu d’indulgence qu’on a pour leur religion. Quelques-uns se sont réfugiés à Surate & à Bombaye, où ils vivent en paix, honorés pour la sainteté & la pureté de leurs mœurs, adorant un seul Dieu, priant vers le soleil, révérant le feu, détestant l’idolatrie, & attendant la résurection des morts & le jugement dernier. Voyez l’article Guebres ou Gaures.

Des livres attribués à Zoroastre. De ces livres le zend ou le zendavesta est le plus célebre. Il est divisé en deux parties ; l’une comprend la liturgie ou les cérémonies à observer dans le culte du feu ; l’autre prescrit les devoirs de l’homme en général, & ceux de l’homme religieux. Le zend est sacré ; & les saintes Ecritures n’ont pas plus d’autorité parmi les Chrétiens, ni l’alcoran parmi les Turcs. On pense bien que Zoroastre le reçut aussi d’en-haut. Il est écrit en langue & en caracteres perses. Il est renfermé dans les temples ; il n’est pas permis de le communiquer aux étrangers ; & tous les jours de fêtes les prêtres en lisent quelques pages aux peuples. Thomas Hyde nous en avoit promis une édition ; mais il ne s’est trouvé personne même en Angleterre qui ait voulu en faire les frais.

Le zend n’est point un ouvrage de Zoroastre ; il faut en rapporter la supposition au tems d’Eusebe. On y trouve des pseaumes de David ; on y raconte l’origine du monde d’après Moyse ; il y a les mêmes choses sur le déluge ; il y est parlé d’Abraham, de Joseph & de Salomon. C’est une de ces productions telles qu’il en parut une infinité dans ces siecles où toutes les sectes qui étoient en grand nombre, cherchoient à prévaloir les uns sur les autres par le titre