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néanmoins que l’ouvrage seroit achevé dans un tems fixe. Nicomaque ne se rendit sur le lieu pour y travailler, que peu de jours avant celui où il devoit livrer l’ouvrage. Le tyran irrité alloit le faire punir, mais le peintre tint parole, & dans ce peu de jours, il acheva ses tableaux avec un art admirable & une merveilleuse célérité ; celeritate & arte mirâ, ajoute le même Pline. Les tableaux de Nicomaque, & les vers d’Homere, dit Plutarque, dans la vie de Timoléon, outre les perfections & les graces dont ils brillent, ont encore cet avantage, qu’ils paroissent n’avoir couté ni travail, ni peine à leur auteur.

Il fut le premier qui peignit Ulysse avec un bonnet, & tel qu’on le retrouve dans des médailles de la famille Mamilia, rapportées par Vaillant, Famil. Boman. Mamilia, 2. 3. 4. aux années 614 & 626 de Rome, environ deux cens ans après les ouvrages de Nicomachus.

Nicophanes, dit Pline, fut si élégant, si précis, que peu de peintres ont égalé ses agrémens, & jamais il ne s’est écarté de la dignité ni de la noblesse de l’art. Nicophanes elegans & concinnus, ita ut venustate ei pauci comparentur. Cothurnus ei, & gravitas artis.

Pamphile, de Macédoine, éleve d’Eupompus, & contemporain de Zeuxis, & de Parrhasius qu’on place ensemble vers la 115e olympiade, c’est-à-dire vers l’an du monde 3604, fut le premier peintre versé dans tous les genres de Science & de Littérature. Il a mérité que Pline dît de lui : primus in picturâ omnibus litteris eruditus, præcipuè arithmeticæ & geometricæ sine quibus negabat artem persici posse. Il avoit bien raison, puisque les regles de la Perspective dont les Peintres font continuellement usage, & celles de l’Architecture qu’ils sont quelquefois obligés d’employer, appartiennent les unes & les autres à la Géométrie. Or, la nécessité de la Géométrie la plus simple & la plus élémentaire, entraîne la nécessité de l’Arithmétique, pour le calcul des angles & des côtés des figures.

Pamphile fut primus in picturâ, mais d’une façon dont nos Peintres devroient tâcher d’approcher ; c’est qu’étant savant dans son art, il fut omnibus litteris eruditus. Il eut le crédit d’établir à Sicyone, ensuite dans toute la Grece, une espece d’académie où les seuls enfans nobles & de condition libre, qui auroient quelque disposition pour les beaux Arts, seroient instruits soigneusement avec ordre de commencer par apprendre les principes du dessein sur des tablettes de bouis, & défenses aux esclaves d’exercer le bel art de la Peinture.

Enfin, Pamphile mit cet art in primum gradum liberalium ; Pline l’appelle aussi un art noble & distingué qui avoit excité l’empressement des rois & des peuples. Il aime qu’elle fasse briller l’érudition au préjudice même du coloris : il joint avec complaisance au titre de peintre celui de philosophe dans la personne de Métrodore, & celui d’écrivain dans Parrhasius, dans Euphranor, dans Apelle & dans les autres. Quelquefois même il semble préférer la Peinture à la Poésie ; la Diane d’Apelle au milieu de ses nymphes qui sacrifient, paroît, dit-il, l’emporter sur la Diane d’Homere, lequel a décrit le même spectacle. Si les vers grecs qui subsistoient à la louange de la Vénus Anadyomene du même Apelle, avoient prévalu sur le tableau qui ne subsistoit plus, ils rendoient toujours hommage à sa gloire.

Cependant il semble que nos Artistes pensent bien différemment, & qu’ils secouent la littérature & les sciences comme un joug pénible, pour se livrer entierement aux opérations de l’œil & de la main. Leur préjugé contre l’étude paroît bien difficile à déraciner, parce que malheureusement presque tous ceux qui ont eu des lettres, n’ont pas excellé dans l’art ; mais l’exemple de Léonard de Vinci & de quelques

autres modernes suffiroit, indépendamment de l’exemple des anciens, pour justifier qu’il est possible à un grand peintre d’être savant. Enfin, sans savoir comme Hippias, tous les Arts & toutes les Sciences ; il y a des degrés entre cet éloge, & une ignorance que l’on ne peut jamais pardonner.

Au reste, Pamphile après avoir élevé des especes d’académies dans la Grece, ne prit point d’éleves, qu’à raison de dix ans d’apprentissage, & d’un talent soit par année, soit pour les dix années de leçon ; car le texte de Pline est susceptible de ces deux sens. Il est cependant vraissemblable, qu’il faut entendre un talent attique par chaque année. Le talent attique est évalué par MM. Belley & Barthélemy à environ quatre mille sept cens livres de notre monnoie actuelle 1760 ; le docteur Bernard l’évalue à deux cens six livres sterlings cinq shellings. Ce fut à ce prix qu’Apelle entra dans l’école de Pamphile, & ce fut un nouveau surcroit de gloire pour le maître. Il eut encore l’avantage d’avoir Mélanthius pour disciple, ce Mélanthius dont Pline dit que les tableaux étoient hors de prix. Pausanias fut aussi son éleve ; nous n’oublirons pas son article.

On admiroit plusieurs ouvrages de Pamphile, entr’autres son Ulysse dans une barque ; son tableau de la confédération des Grecs ; celui de la bataille de Phlius au midi de Sicyone, aujourd’hui Phoica ; celui de la victoire des Athéniens contre les Perses, &c. Ajoutons-y un portrait de famille dont Pline parle, c’est-à-dire un grouppe ou une ordonnance de plusieurs parens ; c’est le seul exemple de cette espece rapporté par les anciens, non que la chose n’ait été facile & naturelle ; mais parce qu’elle n’étoit point en usage du-moins chez les Romains, qui remplissoient leur atrium ou le vestibule de leurs maisons de simples bustes.

Panée ou Panoenus, comme dit Pausanias, frere du fameux Phidias, fleurissoit dans la 55e. olympiade, ou l’an du monde 3560. Il peignit avec grande distinction la fameuse journée de Marathon, où les Athéniens défirent en bataille rangée toute l’armée des Perses. Les principaux chefs de part & d’autre étoient dans ce tableau de grandeur naturelle, & d’après une exacte ressemblance ; c’est de-là que Pline infere les progrès & la perfection de l’art, qui néanmoins se perfectionna beaucoup dans la suite.

Ce fut de son tems que les concours pour le prix de la Peinture furent établis à Corinthe & à Delphes, tant les Grecs étoient déjà attentifs à entretenir l’émulation des beaux arts par tous les moyens les plus propres à les faire fleurir. Panœnus se mit le premier sur les rangs avec Timagoras de Chalcis, pour disputer le prix à Delphes dans les jeux pythiens. Timagoras demeura vainqueur ; c’est un fait, ajoute Pline, prouvé par une piece de vers du même Timagoras, qui est fort ancienne ; elle a du précéder d’environ cinq cens cinquante ans le tems où Pline écrivoit, si nous plaçons la victoire de Timagoras vers la xxviij. pythiade, en l’an 474 avant Jesus-Christ.

Panœnus devoit même être assez jeune l’an 474, seize ans après la bataille de Marathon, puisqu’il est encore question de lui à la lxxxiij. olympiade, l’an 448 ; qu’il peignit à Elis la partie concave du bouclier d’une Minerve, statue faite par Colotès, disciple de Phidias. Si ce mélange de Peinture & de Sculpture dans un même ouvrage révolte aujourd’hui notre délicatesse ; si nous condamnons comme inutiles & comme cachés à la vûe du spectateur, des ornemens qui ont pû cependant être presque aussi visibles en-dedans qu’en-dehors d’un bouclier, du-moins gardons-nous bien d’étendre nos reproches jusqu’à l’historien, ce seroit le blâmer de son attention à