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rouge brun approchant du noir ; ce qui ne nous paroît pas trop vrai.

Cette couleur de l’épiderme & de la peau des negres est produite, selon M. Barrere, par la bile qui dans les negres est noire comme de l’encre ; il prétend s’en être assuré sur plusieurs cadavres de negres qu’il a eu occasion de disséquer à Cayenne ; mais en ce cas la bile des negres de Cayenne seroit bien différente de la bile des negres que nous voyons en Europe ; car la bile de ceux-ci n’est point différente de celle des blancs, & il n’est pas vraissemblable qu’elle le soit à Cayenne ; d’ailleurs il faudroit supposer que la bile est toujours répandue également sur la peau des negres, & qu’elle se sépare naturellement dans l’épiderme en assez grande quantité pour lui donner cette couleur noire, autre supposition qu’on ne sauroit admettre. Enfin, en supposant que c’est le sang ou la bile qui donnent cette couleur à la peau des negres, on pourroit encore demander pourquoi les negres ont la bile ou le sang noir, en prenant les mêmes alimens que les blancs, en changeant de climat, en vivant en Suede, en Danemarck, &c.

M. de Buffon croit que la même cause qui nous brunit trop lorsque nous nous exposons au grand air & aux ardeurs du soleil, cette cause qui fait que les Espagnols sont plus bruns que les Allemands, les Maures plus que les Espagnols, fait aussi que les negres le sont plus que les Maures. Il pense donc que la chaleur du climat est la principale cause de la couleur noire, & que la différence des zones fait la différence des blancs & des noirs.

Lorsque cette chaleur est excessive, comme au Sénégal & en Guinée, les hommes sont tout-à-fait noirs ; lorsqu’elle est un peu moins forte, comme sur les côtes orientales de l’Afrique, les hommes sont moins noirs ; lorsqu’elle commence à devenir un peu tempérée, comme en Barbarie, au Mogol, en Arabie, &c les hommes ne sont que bruns ; & en effet, lorsqu’elle est tout-à-fait tempérée, comme en Europe & en Asie, les hommes sont blancs, & les variétés qu’on y remarque viennent de la maniere de vivre.

Lorsque le froid devient extrème, il produit quelques effets semblables à ceux de la chaleur excessive. Les Samoïedes, les Lapons, les Groenlandois sont fort basannés. Les deux extrèmes se rapprochent ici ; un froid très-vif & une chaleur brûlante produisent le même effet sur la peau, parce que l’une & l’autre de ces deux causes agissent par une qualité qui leur est commune ; cette qualité est la sécheresse qui dans un air très-froid peut être aussi grande que dans un air chaud ; le froid comme le chaud doit dessécher la peau, l’altérer & lui donner cette couleur basanée que l’on trouve dans les Lapons.

Suivant ce système, le genre humain n’est pas composé d’especes essentiellement différentes entre elles : il n’y a eu originairement qu’une seule espece d’hommes qui s’étant multipliée & répandue sur toute la surface de la terre, a subi différens changemens par l’influence du climat, par la différence de la nourriture, par celle de la maniere de vivre, par les maladies épidémiques, & aussi par le mélange varié à l’infini des individus plus ou moins ressemblans ; que d’abord ces altérations n’étoient pas si marquées, & ne produisoient que des variétés individuelles ; qu’elles sont ensuite devenues variétés de l’espece, parce qu’elles sont devenues plus générales, plus sensibles & plus constantes par l’action continuée de ces mêmes causes ; qu’elles se sont perpétuées, & qu’elles se perpétuent de génération en génération, comme les difformités ou les maladies des peres & meres passent à leurs enfans ; qu’enfin comme elles n’ont été produites originairement que par des causes accidentelles & extérieures, elles pourroient devenir diffé-

rentes de ce qu’elles sont aujourd’hui, si ces mêmes

causes venoient à varier dans d’autres circonstances & par d’autres combinaisons.

Mais si la noirceur dépendoit de la chaleur du climat, les habitans des régions situées sous la zone torride devroient être tous noirs ; cependant on a découvert un continent entier au nouveau monde, dont la plus grande partie des terres habitées sont situées sous la zone torride, & où cependant il ne se trouve pas d’hommes noirs, mais de plus ou moins basanés, ou couleur de cuivre ; on auroit dû trouver dans la Gayane, dans le pays des Amazones & dans le Pérou, des negres, ou du moins des peuples noirs, puisque ces pays de l’Amérique sont situes sous la même latitude que le Sénégal, la Guinée & le pays d’Angola en Afrique ; on auroit dû trouver au Bresil, au Paraguai, au Chili, de, hommes semblables aux Caifres, aux Hottentots, si le climat ou la distance du pole étoit la cause de la couleur des hommes.

On peut répondre à cette difficulté qu’il fait moins chaud sous la zone torride en Amérique, que sous celle d’Afrique ; & cela est certain. On ne trouve de vrais negres que dans les climats de la terre où toutes les circonstances sont réunies pour produire une chaleur constante & toujours excessive ; cette chaleur est si nécessaire non-seulement à la production, mais même à la conservation des negres, qu’on a observé dans nos îles où la chaleur, quoique très-forte, n’est pas comparable à celle du Sénégal, que les enfans nouveau-nés des negres, sont si susceptibles des impressions de l’air, que l’on est obligé de les tenir pendant les neufs premiers jours après leur naissance, dans des chambres bien fermées & bien chaudes ; si l’on ne prend pas ces précautions, & qu’on les expose à l’air au moment de leur naissance, il leur survient une convulsion à la mâchoire, qui les empêche de prendre la nourriture, & qui les fait mourir.

M. Littre, qui fit en 1702 la dissection d’un negre, observa que le bout du gland qui n’étoit pas couvert du prépuce, étoit noir comme toute la peau, & que le reste qui étoit couvert étoit parfaitement blanc. Cette observation prouve que l’action de l’air est nécessaire pour produire la noirceur de la peau des negres ; leurs enfans naissent blancs, ou plutôt rouges, comme ceux des autres hommes, mais deux ou trois jours après qu’ils sont nés, la couleur change, ils paroissent d’un jaune basané qui se brunit peu-à-peu, & au septieme ou huitieme jour ils sont déja tout noirs. On sait que deux ou trois jours après la naissance, tous les enfans ont une espece de jaunisse ; cette jaunisse dans les blancs n’a qu’un effet passager, & ne laisse à la peau aucune impression ; dans les negres au contraire elle donne à la peau une couleur ineffaçable, & qui noircit toujours de plus en plus.

Mais cette jaunisse & l’impression actuelle de l’air ne paroissent être que des causes occasionnelles de la noirceur, & non pas la cause premiere ; car on remarque que les enfans des negres ont dans le moment même de leur naissance, du noir à la racine des ongles & aux parties génitales : l’action de l’air & la jaunisse serviront, si l’on veut, à étendre cette couleur, mais il est certain que le germe de la noirceur est communiqué aux enfans par les peres & meres ; qu’en quelque pays qu’un négre vienne au monde, il sera noir comme s’il étoit né dans son propre pays ; & que s’il y a quelque différence dès la premiere génération, elle est si insensible qu’on ne s’en est pas apperçu. Cependant cela ne suffit pas pour qu’on soit en droit d’assurer qu’après un certain nombre de générations, cette couleur ne changeroit pas sensiblement ; il y a au contraire toutes les raisons du monde pour présumer que comme elle ne vient originaire-