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côté du nez ; les yeux sont presque fermés, ils se relevent un peu par les coins, & en les élevant en haut ; il s’ensuit de-là que les joues se plissent, s’enflent, & surmontent les yeux ; enfin les narines s’ouvrent : les larmes, par cette contraction générale, rendent les paupieres humides, & le visage animé se colore.

Parcourons de même les nuances de la passion que fait éprouver à l’ame & au corps, le mal corporel en différens degrés.

La sensibilité paroît être la premiere. Après elle viennent

La souffrance. Les tourmens.
La douleur. Les angoisses.
Les élancemens. Le désespoir.
Les déchiremens.

Les signes extérieurs de ces affections sont des crispations dans les nerfs, des tremblemens, des agitations, des pleurs, des étouffemens, des lamentations, des cris, des grincemens de dens ; les mains serrent violemment ce qu’elles rencontrent ; les yeux arrondis se ferment & s’ouvrent avec excès, se fixent avec immobilité ; la pâleur se répand sur le visage ; le nez se contracte, remonte ; la bouche s’ouvre, tandis que les dents se resserrent ; les convulsions, l’évanouissement & la mort en sont les suites.

L’ame dans les souffrances extrèmes paroît éprouver un mouvement de contraction ; elle se retire, pour ainsi dire, & tous ses esprits se concentrent. Les efforts qu’elle fait produisent l’égarement & le délire ; enfin, l’abattement & la perte de la raison sont naître une espece d’insensibilité.

Il est un autre ordre de mouvemens qu’occasionnent le plus ordinairement la paresse & la foiblesse, tant du corps que de l’esprit.

C’est de-là que naissent

L’irrésolution. La fuite.
La timidité. La frayeur.
Le saisissement. La terreur.
La crainte. L’épouvante.
La peur.

Les effets intérieurs de cette passion sont l’avilissement de l’ame, sa honte & l’égarement de l’esprit.

Les effets extérieurs fournissent des contrastes dans les gestes, des oppositions dans les membres, & une variété d’attitudes infinies, soit dans l’action, soit dans l’immobilité.

Pour le visage, voici ce que M. le Brun a remarqué. Dans la frayeur, le sourcil s’éleve par le milieu : les muscles qui occasionnent ce mouvement sont fort apparens ; ils s’enflent, se pressent & s’abaissent sur le nez qui paroît retiré en haut, ainsi que les narines ; les yeux sont très-ouverts, la paupiere supérieure est cachée sous le sourcil ; le blanc de l’œil est environné de rouge ; la prunelle est égarée du point de vue commun, elle est située vers le bas de l’œil ; les muscles des joues sont extrémement marqués, & forment une pointe de chaque côté des narines ; la bouche est ouverte : les muscles & les veines sont en général fort sensibles ; les cheveux se hérissent ; la couleur du visage est pâle & livide, sur-tout celle du nez, des levres, des oreilles & du tour des yeux.

L’opposition naturelle de ces mouvemens sont ceux-ci qui naissent de la force de l’ame, de celle du corps, & que l’exemple, l’amour-propre, la vanité & l’orgueil fortifient.

Force. Hardiesse.
Courage. Intrépidité.
Fermeté. Audace.
Résolution.

Les effets intérieurs de ces mouvemens nuancés sont la sécurité, la satisfaction, la générosité. Les ef-

fets extérieurs, quelquefois assez semblables à ceux de la colere dans l’action n’en ont cependant pas les mouvemens convulsifs & desagréables, parce que l’ame conserve son assiette. Une forte tension dans les nerfs ; une attitude ferme dans l’équilibre & la pondération sans abandonnement ; une attention prévoyante, une contenance impérieuse, caractérisent dans des degrés plus ou moins marqués les nuances que je viens de parcourir.

Le courage embellit ; il met les esprits en mouvement ; il répand une satisfaction intérieure qui rend les trais imposans, & qui donne à tout le corps un caractere intéressant & anime au-dessus de l’habitude ordinaire.

On peut regarder la contradiction, la privation, la douleur occasionnée par une cause telle que la jalousie, l’envie & la cupidité, comme les sources qui produisent l’aversion depuis sa premiere nuance jusqu’à ces excès. On en peut établir ainsi les passages :

Eloignement. Indignation.
Dégoût. Menace.
Dédain. Insulte.
Mépris. Colere.
Raillerie. Emportement.
Antipathie. Vengeance.
Haine. Fureur.

Les effets intérieurs de ces nuances sont principalement le refroidissement de l’ame, l’irritation de l’esprit & son aveuglement, ensuite l’avilissement & l’oubli de soi-même ; enfin le crime que suivent le repentir, les remords & les furies vangeresses.

Les expressions extérieures de ces nuances sont très-différentes & très-variées. Cependant jusqu’à l’indignation, les gestes sont peu caractérisés. Le corps n’éprouve que des mouvemens peu sensibles, s’ils ne sont décidés par les circonstances ; & ces circonstances sont tellement indéterminées, qu’on ne peut les fixer.

Le corps entier dans les dernieres nuances, contribue à servir la passion. Ainsi, l’indignation produit les menaces, l’action est déterminée à s’approcher de celui qui en est l’objet : le corps s’avance, ainsi que la tête qui s’éleve vers celle de l’ennemi à qui l’on annonce son ressentiment ; les bras se dirigent l’un après l’autre vers le même point ; les mains se ferment, si elles ne sont point armées ; le visage se caractérise par une contraction des traits, comme dans la colere : le reste des nuances est toute action.

Quelqu’un desireroit peut-être que M. Watelet eût joint ici quelques esquisses d’une passion non moins violente que les autres, mais dont les couleurs sont regardées comme plus agréables, & les excès moins effrayans : je pourrois bien, dit-il lui-même, parcourir les nuances de cette passion, la timidité, l’embarras, l’agitation, la langueur, l’admiration, le desir, l’empressement, l’ardeur, l’impatience, l’éclat du coloris, l’épanouissement des traits, un certain frémissement, la palpitation, l’action des yeux tantôt enflammés, tantôt humides, le trouble, les transports, & l’on reconnoîtroit l’amour ; mais, continue-t-il, lorsqu’il s’agiroit de suivre plus avant cette route séduisante, la nature elle-même m’apprendroit, en se couvrant du voile du mystere, que la réserve doit être aux arts, ce que la pudeur est à l’amour. Le Chevalier de Jaucourt.

Passion, (Médecine.) ce mot est fort usité en Medecine, comme synonyme à affection ou maladie ; il répond à un mot grec, πάθος maladie, ou il peut être formé du latin, patior, je souffre ; c’est en ce sens qu’on dit, passion cœliaque, passion hypocondriaque, hystérique, passion iliaque, &c Voyez tous ces mots