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nelles s’abaissent ; la levre supérieure s’éleve de chaque côté, tandis que les coins de la bouche s’abaissent un peu, & que le milieu de la levre inférieure se releve, pour rejoindre le milieu de la levre supérieure.

Dans les ris, les deux coins de la bouche reculent & s’elevent un peu ; la partie supérieure des joues se releve ; les yeux se ferment plus ou moins ; la levre supérieure s’éleve, l’inférieure s’abaisse, la bouche s’ouvre, & la peau du nez se fronce dans les ris immodérés.

Les bras, les mains & tout le corps entrent aussi dans l’expression des passions ; les gestes concourent avec les mouvemens de l’ame ; dans la joie, par exemple, les yeux, la tête les bras, & tout le corps sont agites par des mouvemens prompts & variés ; dans la langueur & la tristesse, les yeux sont abaissés, la tête est panchée sur le côté, les bras sont pendans, & tout le corps est immobile : dans l’admiration, la surprise & l’étonnement, tout mouvement est suspendu, on reste dans une même attitude. Cette premiere expression des passions est independante de la volonté ; mais il y a une autre sorte d’expression qui semble être produite par une reflexion de l’esprit, & par le commandement de la volonté, & qui fait agir les yeux, la tête, les bras & tout le corps.

Ces mouvemens paroissent être autant d’efforts que fait l’ame pour défendre le corps ; ce sont au moins autant de signes secondaires qui repetent les passions, & qui pourroient les exprimer ; par exemple, dans l’amour, dans les desirs, dans l’esperance, on leve la tête & les yeux vers le ciel, comme pour demander le bien que l’on souhaite ; on porte la tête sur le corps en avant, comme pour avancer en s’approchant la possession de l’objet desire ; on étend les bras, on ouvre la main pour l’embrasser & le saisir ; au contraire dans la crainte, dans la haine, dans l’horreur, nous avançons les bras avec précipitation, comme ce qui fait l’objet de notre aversion ; nous détournons les yeux & la tête, nous reculons pour l’éviter, nous fuyons pour nous en éloigner. Ce, mouvemens sont si prompts, qu’ils paroissent involontaires ; mais c’est un effet de l’habitude qui nous trompe, car ces mouvemens dépendent de la réflexion, & marquent seulement la perfection des ressorts du corps humain, par la promptitude avec laquelle tous les membres obéissent aux ordres de la volonté.

Mais comment faire des observations sur l’expression des passions dans une capitale, par exemple, où tous les hommes conviennent de paroître n’en ressentir aucune ? Où trouver parmi nous aujourd’hui, non pas des hommes coleres, mais des hommes qui permettent à la colere de se peindre d’une façon absolument libre dans leurs attitudes, dans leurs gestes, dans leurs mouvemens, & dans leurs traits ?

Il est bien prouve que ce n’est point dans une nation maniérée & civilisée, qu’on voit la nature parée de la franchise qui a le droit d’intéresser l’ame, & d’occuper les sens ; d’où il suit que l’artiste n’a point de moyens dans nos pays, d’exprimer les passions avec la vérité & la variété qui les caractérisent ; cependant pour donner aux peintres une idée de quelques-unes des passions principales, M. Watelet a cru pouvoir les ranger par nuances, en suivant l’ordre que leur indique le plus ordinairement la nature. M. le Brun avoit déja ébauché ce sujet ; mais M. Watelet l’a enrichi de nouvelles réflexions, dont je vais orner cet article.

Pour commencer par les passions affligeantes, les malheurs ou la pitié sont ordinairement la cause de la tristesse. L’engourdissement & l’anéantissement de l’esprit en sont les suites intérieures. L’affaissement & le dépérissement du corps sont ses accidens visi-

bles. La peine d’esprit est une premiere nuance. On peut ranger ainsi les autres, en se ressouvenant toujours que dans ce qu’on appelle la société polie, il n’est guere d’usage de démontrer extérieurement les nuances qu’on va indiquer, & qu’on indiquera dans la suite sous chaque passion.
Inquiétude. Langueur.
Regrets. Abattement.
Chagrin. Accablement.
Déplaisance. Abandon général.

La peine d’esprit rend le teint moins coloré, les yeux moins brillans & moins actifs ; la maigreur succede à l’embonpoint ; la couleur jaune & livide s’empare de toute l’habitude du corps ; les yeux s’éteignent ; la foiblesse fait qu’on se soutient à peine ; la tête reste penchée vers la terre ; les bras, qui sont pendans, se rapprochent pour que les mains se joignent ; la défaillance, effet de l’abandon, laisse tomber au hasard le corps, qui par accablement enfin, reste à terre, étendu sans mouvement, dans l’attitude que le poids a dû prescrire à sa chûte.

Quand aux traits du visage, les sourcils s’élevent par la pointe qui les rapproche ; les yeux presque fermés se fixent vers la terre ; les paupieres abattues sont enflées ; le tour des yeux est livide & enfoncé ; les narines s’abattent vers la bouche ; & la bouche elle-même entr’ouverte, baisse ses coins vers le bas du menton ; les levres sont d’autant plus pâles que cette passion approche plus de son période. Dans la nuance des regrets seulement, les yeux se portent par intervalles vers le ciel, & les paupieres rouges s’inondent de larmes qui sillonnent le visage.

Le bien-être du corps & le contentement de l’esprit produisent ordinairement la joie ; l’épanouissement de l’ame l’accompagne ; les suites en sont la vivacité de l’esprit & l’embellissement du corps. Divisons cette partie en nuances.

Satisfaction.
Sourire.
Gaieté.
Démonstrations, comme gestes, chants & danses.
Rire qui va jusqu’à la convulsion.
Eclats.
Pleurs.
Embrassemens.
Transports approchans de la folie, ou ressemblans à l’ivresse.

Les mouvemens du corps étant, comme on vient de le dire, des gestes indéterminés, des danses, &c. on peut en varier l’expression à l’infini. La nuance du rire involontaire a son expression particuliere, surtout lorsqu’il devient en quelque façon convulsif : les veines s’enflent ; les mains s’élevent premierement en l’air, en fermant les poings ; puis elles se portent sur le côté, & s’appuient sur les hanches ; les piés prennent une position ferme, pour résister davantage à l’ébranlement des muscles. La tête haute se panche en arriere ; la poitrine s’éleve ; enfin, si le rire continue, il approche de la douleur.

Pour l’expression des traits du visage, il en faut distinguer plusieurs.

Dans la satisfaction le front est serein ; le sourcil sans mouvement reste élevé par le milieu ; l’œil net & médiocrement ouvert laisse voir une prunelle vive & éclatante ; les narines sont tant-soit-peu ouvertes ; le teint vif, les joues colorées & les levres vermeilles : la bouche s’éleve tant-soit-peu vers les coins, & c’est ainsi que commence le sourire. Dans les nuances plus fortes, la plûpart de ces expressions s’accroissent. Enfin dans le rire & les éclats, les sourcils sont élevés du côté des tempes, & s’abaissent du