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l’écriture hiérogrammatique, le peuple d’Athènes se reposoit superstitieusement sur eux du soin de la déchiffrer.

Les Athéniens établirent aussi par superstition des expiations publiques pour leurs théâtres, & des expiations particulieres pour les crimes & les fautes qu’on avoit commises ; ces dernieres expiations consistoient à se rendre dans le temple du dieu que l’on avoit particulierement offensé, à se laver d’eau lustrale, & en d’autres actes semblables.

L’artisan mettoit une petite piece de monnoie sur la langue de ceux qui venoient de mourir ; mais les gens riches s’imaginoient que pour passer plus commodément la barque fatale, il falloit porter à Caron trois pieces d’argent. La dépense étoit excessive à la mort des grands ; ils vouloient avoir des tombeaux magnifiques avec tous les ornemens que dicte la vanité.

Ce peuple réunissoit en lui tous les contraires ; il étoit dur & poli, civil & médisant ; détracteur des étrangers, & les accueillant avec enthousiasme. Protagoras d’Abdère, Evenus de Paros, Poléen d’Agrigente, Théodore de Bysance, ne sachant plus où se réfugier, firent fortune à Athènes, par la seule raison qu’ils étoient des étrangers.

Les Athéniens devenus sophistes par caractere & pas corruption, inventerent la plaidoirie, & en firent un art rusé & lucratif. Périclès se les attacha par le profit du barreau, & Alcibiade les punit rudement par le même endroit, en engageant les Spartiates à fortifier Décélie, parce que ce fort coupoit les revenus de la justice, qui étoient un de leurs grands trafics.

Ciceron se mocque plaisamment de la maniere dont ils opinoient. « Aussi-tôt, dit-il, qu’un de leurs orateurs a fini de parler, ils ne font que lever la main en tumulte, & voilà un decret éclos ». C’est ainsi que se fit le fameux decret (mentionné dans les marbres d’Oxford) qui ordonna la suppression des portefeuilles de Périclès sur les beaux-arts, conjointement avec ceux de toutes les œuvres de Solon, d’Anaximandre, d’Anaxagore, de Phérécyde, d’Archytas, de Calippe & de Socrate ; recueil que quelques savans disciples de ces grands hommes avoient enfin rassemblés en un corps, & qu’ils avoient transcrits pendant vingt ans sur du beau papyrus d’Egypte avec un soin scrupuleux, une critique éclairée, & une dépense vraiment royale, pour transmettre à la postérité, par des copies fideles & par d’admirables desseins, le dépôt des Sciences & des Arts aussi loin qu’ils avoient été poussés. Le decret qui proscrivoit ce magnifique recueil, avança dans toute l’Attique le regne de la barbarie, qu’une petite poignée de sages avoit tâché jusqu’alors de reculer par leurs écrits.

Quoique les Athéniens marchassent à grands pas vers leur chûte, ils étoient toujours enorgueillis de la supériorité qu’ils avoient eu dans les beaux-Arts, & de celle qu’ils prétendoient avoir encore dans les Sciences. Cependant avec cette prétention singuliere on n’apprenoit aux jeunes gens dans les principales écoles d’Athènes, qu’à chausser le soc & le cothurne, comme s’ils ne devoient être un jour que des comédiens, & que l’étude des Lettres, de la Morale & de la Philosophie fût une chose méprisable. On ne leur expliquoit que des ridicules impertinences, qu’on autorisoit du nom d’un poëte inconnu, & on leur donnoit pour sujets de composition le mont Athos percé par Xerxès, les noces de Deucalion & de Pyrrha, les irruptions des Scythes en Asie, les batailles de Salamine, d’Artémise & de Platée.

Leurs rhéteurs ne s’occupoient qu’à éplucher des syllabes, à couper des phrases, à changer l’orthographe, à appauvrir, à efféminer la langue grecque qui étoit si belle du tems de Démosthène, & à lui

donner le ton affété & langoureux d’une courtisanne qui cherche à plaire. Les Athéniens n’en conserverent que la douceur de la prononciation, qu’ils tenoient de la bonté de leur climat, & c’étoit la seule chose qui les distinguoit des Asiatiques.

Leurs philosophes examinoient dans leurs écrits, si le vaisseau qu’on gardoit au port de Phalere, & dont on ôtoit les pieces qui se pourrissoient en en mettant de nouvelles, étoit toujours le même vaisseau, que celui sur lequel Thésée avoit été en Créte, & cette question devint très-sérieuse.

Leurs médecins regardant l’étude de l’art & des observations d’Hippocrate, comme un tems perdu dans la pratique, l’exerçoient empiriquement par deux seuls remedes qui marchoient toujours de compagnie, la saignée & la purgation avec l’hellebore noir, l’une & l’autre jusqu’à l’extinction des forces. Peut-être trouverent-ils que la folie ou la phrénésie dominoit dans toutes les maladies des Athéniens, & qu’on risquoit trop à écouter la nature si étrangement viciée chez ce peuple, & à attendre d’elle quelque crise salutaire.

Dans les portiques & les académies d’Athènes, ce n’étoit que querelles & que divisions, les uns tenant pour les Apollodoréens, les autres pour les Théodoréens ; & l’on ne sauroit croire la haine & l’animosité qui régnoient dans ces deux partis.

Uniquement occupés de questions futiles, ou entierement dissipés par les plaisirs, les Athéniens méprisoient les Sciences d’érudition, joignant une ignorance volontaire à la présomption qui leur étoit naturelle. Ils ne connoissoient rien du reste du monde, & traitoient de fables les négociations Phéniciennes. Josephe ne cite que des traits de leur ignorance & de leur vanité. Un de leurs compatriotes plein d’un juste mépris pour tant de suffisance, leur disoit : « ô Athéniens ; vous n’êtes que des enfans ; vous vivez comme des enfans ; vous parlez comme des enfans. »

Superficiels, & hors d’état de raisonner sur de grands sujets ; ils décidoient de la guerre, de la paix, & des intérêts des Grecs, comme leurs nautodices des litiges de leurs matelots avec les étrangers. Ils jugeoient des alliances qu’ils devoient former, comme de l’accouplement de leurs chiens.

Tournant tout leur esprit vers les objets frivoles & de pur agrément, Il n’est pas étonnant qu’ils entendissent moins la navigation, le pilotage, & l’agriculture, que les Tyriens & les Phéniciens. Cette derniere science étoit d’autant plus en vogue chez les fondateurs de Carthage, qu’ils habitoient un pays dont le peu de fertilité naturelle encourageoit leur industrie, pour faire circuler l’abondance dans tous les ordres de l’état, par des moissons qui payoient le laboureur avec usure, & fournissoient au trafiquant un fonds inépuisable d’échanges avec l’étranger. Ils en faisoient encore un exercice volontaire, un amusement utile, & même un objet d’étude. Ils étoient cultivateurs, comme hommes d’état & négocians. Leurs progrès dans la navigation furent grands & rapides, parce qu’ils avoient pour but d’augmenter à la fois leurs richesses personnelles, & les forces de leur état, dont le pouvoir se fondoit en partie sur l’opulence générale, & en partie sur celle de tous les sujets en particulier.

Magon, un de leurs illustres citoyens, avoit composé sur la culture des terres, un traité profond, dont la réputation s’étendit jusqu’à Rome, & Décius Silanus réussit à le traduire. Voilà cependant les hommes que les poëtes & les orateurs d’Athènes, traitoient dans leurs comédies & dans leurs harangues, de barbares, qui écorchoient la langue grecque.

Les vaisseaux de Carthage & de Phénicie parcou-