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comme il nous l’apprend lui-même. Quoique plusieurs passages de Grégoire de Tours donnent à entendre que nos rois avoient un palais dans la cité ; il faut cependant convenir qu’aucun auteur n’en a parlé d’une maniere positive avant le siége de Paris par les Normands. Le palais où demeuroit Julien n’étoit pas dans la cité, mais au midi de la Seine auprès du palais des Thermes : c’étoit dans le palais des Thermes que venoient se rendre les eaux d’Arcueil, par un aquéduc dont il reste encore des vestiges, depuis ce village jusqu’à l’hôtel de Clugny, rue des Mathurins ; & la rue des Mathurins qui fut percée au-travers de ce palais, fut nommée la rue des Bains de César, vicus Thermarum Cæsaris.

On a abattu auprès de l’hôtel de Clugny, en 1737, une salle fort exhaussée, sur la voûte de laquelle il y avoit un jardin qui faisoit partie de ce palais ; mais on peut voir encore à la Croix de fer dans la rue de la Harpe, une autre grande salle voûtée, & haute d’environ quarante piés, construite & liée des mêmes matériaux que les restes de l’ancien aquéduc d’Arcueil, dans laquelle il y a une rigole à deux banquettes, couverte d’un enduit de ciment, & d’une construction semblable à des restes de rigole, que M. Geoffroy de l’académie des Sciences a découverts en 1732.

Les bains du palais que Julien habitoit avec toute sa cour, étoient dans cet endroit-là, mais ils n’en formoient qu’une petite partie. Nos rois de la premiere race y firent aussi leur séjour. Childebert se plaisoit à cultiver les jardins qui l’accompagnoient, & qui devoient être situés du côté de l’abbaye de saint Germain, puisque Fortunat nous apprend que c’étoit en les traversant que ce prince se rendoit à cette église.

Charibert dont les mœurs ne se ressentoient en rien de la barbarie de nos premiers rois, céda à la reine Ultrogothe, femme de Childebert, & à ses deux filles, le palais des Thermes, & se retira dans celui de la cité. Les Normands qui brûlerent les maisons du quartier de l’Université, n’épargnerent pas le palais des Thermes ; & c’est au tems de leurs ravages qu’il faut attribuer la destruction de l’aquéduc d’Arcueil. Malgré cela il fut encore la demeure de quelques-uns de nos rois de la troisieme race, & sous Louis le jeune il s’appelloit le vieux palais. Jean de Hauteville, qui vivoit sous le regne de Philippe-Auguste, en fait une description magnifique, aussi-bien que de ses jardins ; il ajoute qu’il s’y commettoit des désordres où la pudeur n’étoit guère épargnée ; l’emplacement des jardins devoit occuper le terrein des rues de la Harpe, Pierre-Sarasin, Hautefeuille, du Jardinet, & autres.

Quoi qu’il en soit de l’étendue précise du palais des Thermes, il est certain qu’il subsistoit encore en 1218, puisque cette année-là Philippe-Augüste le donna à un de ses chambellans avec le pressoir qui y étoit, à condition qu’il le tiendroit du roi & de ses successeurs, moyennant douze deniers de cens. Depuis le regne de ce prince, ce palais éprouva les mêmes changemens qui sont arrivés dans la suite à d’autres palais de nos rois, comme aux palais de saint Paul & des Tournelles, dont les bâtimens furent vendus à différens particuliers, & sur l’emplacement desquels on perça de nouvelles rues.

Les rois de la race des Carlovingiens demeurerent rarement à Paris. Robert, frere du roi Eudes, étant comte ou gouverneur de Paris, s’en rendit le maître absolu, & laissa sa succession à Hugues-le-Grand. Ces princes avoient un palais dans cette ville, dans l’endroit où l’on rend la justice ; auprès étoit une chapelle dédiée à saint Barthelemi, où Hugues-Capet, avant que de parvenir à la couronne, établit pour y faire le service les moines de saint Magloire qui

étoient errans, ruinés, & chassés de Bretagne par les Normands.

Hugues-Capet qui fut comte de Paris, ayant été élu roi en 987, & n’ayant presque d’autre domaine que celui dont il avoit hérité de son pere, continua de résider à Paris comme il avoit fait avant que de monter sur le trône, ce qui a été suivi par ses successeurs, qui tous ont été de sa race ; ainsi il y a plus de sept cens cinquante ans que Paris est continuellement la capitale du royaume & la résidence des rois, c’est ce qui l’a fait parvenir au point de grandeur où elle est aujourd’hui, par le moyen des grands fauxbourgs, qui furent bâtis au midi & au septentrion de la Seine, & qui demeurerent tout ouverts plus de deux cens ans après la mort de Hugues-Capet.

Ce fut Philippe-Auguste qui le premier fit fermer de murailles ces fauxbourgs, ce qui forma deux nouvelles villes, l’une du côté du midi, qui fut nommée l’Université, parce que les maîtres qui y enseignoient les sciences s’y étoient établis avec leurs écoliers, quoiqu’il n’y eût point alors de college fondé ; celui de Sorbonne est le plus ancien. Cette enceinte fut considérablement augmentée sous le regne de Charles V. dit le Sage, qui enferma les églises de S. Paul & de S. Germain l’Auxerrois, de S. Eustache, de S. Martin, de S. Nicolas des Champs, & quelques-autres, dans la nouvelle enceinte qu’il fit faire. Du tems de Louis XIII. on enferma les Tuileries & saint Roch dans la ville, & l’on fit bâtir les portes de la Conférence, de S. Honoré, de Richelieu & de Montmartre, lesquelles sont détruites depuis quelques années, celle de la Conférence en 1730, & celle de S. Honoré en 1732.

Parcourons maintenant tous les quartiers de Paris & commençons par le Louvre, le principal ornement de cette grande ville, mais qui demande à être achevé. Du Boulay prétend qu’il avoit été construit dès la premiere race de nos rois ; c’est un sentiment qu’il appuie principalement sur des lettres du roi Dagobert I. dont l’authenticité n’est pas trop reconnue : il est vrai qu’elles sont rappellées dans des lettres moins suspectes de Charles-le-Chauve ; ainsi en admettant ces dernieres on donnera toujours au Louvre une époque bien antérieure au regne de Philippe-Auguste. Il paroît enfin que le château est plus ancien que ce prince ; & Rigord que l’on cite pour prouver que cette maison lui doit son origine, ne dit autre chose, sinon qu’il y fit bâtir cette tour, si connue depuis sous le nom de grosse tour du Louvre. Comme nos rois ont toujours aimé la chasse, cette maison pouvoit bien d’abord avoir été destinée aux équipages de celle du loup, d’où lui seroit venu le nom de Lupara ; si cette étymologie n’est pas vraie, elle n’est pas au-moins contre toute vraissemblance.

Quoi qu’il en soit, si le Louvre ne fut pas commencé, il fut rétabli en 1214 par Philippe-Auguste, hors de la ville, à l’extrémité de la varenne du Louvre. La grosse tour bâtie près du château, sur la riviere, fut nommée la tour du Louvre, elle défendoit l’entrée de la riviere conjointement avec celle de Nesle, qui étoit vis-à-vis. Ce fut dans la tour du Louvre que Ferrand, comte de Flandre, fut mis en prison après la bataille de Bovines, que Philippe-Auguste gagna sur ce comte, son feudataire, qui s’étoit révolté contre lui : cette grosse tour servit depuis à garder les tresors de quelques rois, & fut renversée quand le roi François I. fit les fondemens des ouvrages qu’on appelle le vieux Louvre. Henri II. son fils employa les architectes les plus renommés de son tems, pour rendre ce bâtiment aussi régulier que magnifique.

Les premiers fondemens du palais des Tuileries furent jettés l’an 1564, par l’ordre de la reine Catherine de Médicis, en un lieu fort négligé, où pendant