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les sacrifices dans les temples consacrés à la divinité tutélaire du pays, ou dans ceux qu’on avoit élevés non-seulement aux empereurs romains déja mis au rang des dieux, mais encore en l’honneur de ceux qui regnoient actuellement.

Tant d’auteurs ont écrit sur les néocores, qu’on se croyoit parfaitement instruit de leurs différentes fonctions, & qu’il sembloit que la seule difficulté qui restoit parmi les Savans étoit réduite à ce point ; savoir comment on doit entendre & expliquer le nombre des néocorats attribués sur les médailles à une même ville ; si les peuples qui s’y disent néocores pour la seconde, pour la troisieme & pour la quatrieme fois, ont été revêtus de cette dignité par un même prince, ou s’ils ne l’ont reçue que successivement par différens empereurs ?

M. Vaillant le pere, qui avoit particulierement étudié cette matiere, donna en 1703 une dissertation sur les néocores, où, après avoir discuté les différentes opinions des antiquaires qui l’ont précédé, il établit que les villes grecques se disoient sur leurs médailles néocores des empereurs romains, autant de fois qu’elles avoient obtenu de nouveaux decrets du sénat pour pouvoir bâtir des temples à leur honneur. Nous nous dispensons d’entrer dans le détail des preuves du système de M. Vaillant, parce qu’on trouvera sa piece imprimée en entier dans un volume des mémoires de l’académie des Inscriptions ; mais nous devons dire quelque chose d’une autre dissertation sur le même sujet, donnée en 1706 par M. de Valois, qui n’avoit aucune connoissance de celle de M. Vaillant.

Ces deux auteurs se sont rencontrés dans la difficulté principale ; ils rapportent l’un & l’autre les différens néocorats des villes greques à différens senatus-consultes qui leur en avoient accordé la prérogative ; ils prouvent par les mêmes autorités & à-peu-près par les mêmes opérations, que les villes ou les peuples qui sur les médailles se qualifient du titre de néocores pour la seconde, pour la troisieme & pour la quatrieme fois, ne l’ont fait que successivement & sous différens empereurs.

Mais la dissertation de M. de Valois a cela de particulier, qu’elle nous apprend deux fonctions des néocores, qui avoient jusqu’à présent échappé aux recherches des critiques.

La premiere de ces fonctions des néocores étoit de jetter de l’eau lustrale sur ceux qui entroient dans le temple. La seconde étoit de faire l’aspersion de cette même eau lustrale sur les viandes qu’on servoit sur la table du prince, & de lui tenir en quelque sorte lieu d’aumôniers.

J’ai dit ci-dessus que plusieurs villes grecques prirent souvent la qualité de néocores, mais c’est Smyrne, Ephese, Pergame, Magnésie, &c. qui portent le plus souvent ce titre dans les médailles. Smyrne, par exemple, fut faite néocore sous Tibere avec beaucoup de distinction ; elle le fut encore pour la seconde fois sous Adrien, comme le marquent les marbres d’Oxford : enfin elle eut encore le même honneur, & prit le titre de premiere ville d’Asie sous Caracalla. (D. J.)

NÉODAMODES, s. m. pl. (Hist. anc.) c’étoient à Lacédémone des esclaves à qui l’on avoit accordé la liberté, en récompense de quelque action héroïque.

NÉOÉNIES, s. f. pl. (Antiq. grecques.) en grec νεοίνια ; fête qu’on célébroit en l’honneur de Bacchus, quand on goûtoit pour la premiere fois le vin nouveau de chaque année. Voyez Potter, Archæol. tit. 1. p. 416. (D. J.)

NÉOGRAPHE, adj. pris substantivement. On nomme ainsi celui qui affecte une maniere d’écrire nouvelle & contraire à l’orthographe reçue. L’ortho-

graphe ordinaire nous fait écrire françois, anglois, j’étois, ils aimeroient (voyez I.) ; M. de Voltaire écrit

français, anglais, j’étais, ils aimeraient, en mettant ai pour oi dans ces exemples, & partout où l’oi est le signe d’un e ouvert. Nous employons des lettres majuscules à la tête de chaque phrase qui commence après un point, à la tête de chaque nom propre, &c. Voyez Initial. M. de Voltaire avoit supprimé toutes ces capitales dans la premiere édition de son siecle de Louis XIV. publié sous le nom de M. de Francheville. M. du Marsais a supprimé sans restriction toutes les lettres doubles qui ne se prononcent point, & qui ne sont point autorisées par l’étymologie, & il a écrit home, come, arêter, doner, anciène, condânez, &c. M. Duclos n’a pas même égard à celles que l’étymologie ou l’analogie semblent autoriser ; il supprime toutes les lettres muetes, & il écrit diférentes, lètres, admètent, èle, tèâtre, il ut (au subjonctif pour il eût) cète, indépendament, &c. il change ph en f, orthografe, filosofique, diftongue, &c. Ainsi M. de Voltaire, M. du Marsais, M. Duclos, sont des néographes modernes.

NÉOGRAPHISME, s. m. c’est une maniere d’écrire nouvelle & contraire à l’orthographe reçue. Ce terme vient de l’adjectif grec νέος, nouveau, & du verbe γράφω, j’écris. Le néographisme de M. de Voltaire, en ce qui concerne le changement d’oi en ai pour représenter l’e ouvert, a trouvé parmi les gens de lettres quelques imitateurs.

« Si l’on établit pour maxime générale, dit l’abbé Desfontaines, observ. sur les écrits mod. tom. XXX. pag. 255, que la prononciation doit être le modele de l’orthographe ; le normand, le picard, le bourguignon, le provençal écriront comme ils prononcent : car dans le système du néographisme, cette liberté doit conséquemment leur être accordée ». Il me semble que l’abbé Desfontaines ne combat ici qu’un phantôme, & qu’il prend dans un sens trop étendu le principe fondamental du néographisme. Ce n’est point toute prononciation que les Néographes prennent pour regle de leur maniere d’écrire, ce seroit proprement écrire sans regle ; ils ne considerent que la prononciation autorisée par le même usage qui est reconnu pour législateur exclusif dans les langues, relativement au choix des mots, au sens qui doit y être attaché, aux tropes qui peuvent en changer la signification, aux alliances, pour ainsi dire, qu’il leur est permis ou défendu de contracter, &c. Ainsi le picard n’a pas plus de droit d’écrire gambe pour jambe, ni le gascon d’écrire hure pour heure, sous prétexte que l’on prononce ainsi dans leurs provinces.

Mais on peut faire aux Néographes un reproche mieux fondé ; c’est qu’ils violent les lois de l’usage dans le tems même qu’ils affectent d’en consulter les décisions & d’en reconnoître l’autorité. C’est à l’usage légitime qu’ils s’en rapportent sur la prononciation, & ils font très-bien ; mais c’est au même usage qu’ils doivent s’en rapporter pour l’orthographe : son autorité est la même de part & d’autre ; de part & d’autre elle est fondée sur les mêmes titres, & l’on court le même risque à s’y soustraire dans les deux points, le risque d’être ou ridicule ou inintelligible.

Les lettres, peut-on dire, étant instituées pour représenter les élémens de la voix, l’écriture doit se conformer à la prononciation : c’est-là le fondement de la véritable ortographe & le prétexte du néographisme ; mais il est aisé d’en abuser. Les lettres, il est vrai, sont établies pour représenter les élémens de la voix ; mais comme elles n’en sont pas les signes naturels, elles ne peuvent les signifier qu’en vertu de la convention la plus unanime, qui ne peut jamais se reconnoître que par l’usage le plus général de la plus nombreuse partie des gens de lettres. Il y aura, si vous voulez, plusieurs articles de cette con-