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tions ou copies, du moins la novelle n’en fait pas mention ; en sorte qu’à l’égard de tous les autres actes passés dans la ville de Constantinople par d’autres officiers publics que les tabellions, & à l’égard de tous les autres actes publics reçus hors la ville de Constantinople, soit par des tabellions, soit par d’autres officiers publics, il n’y avoit jusqu’alors aucune marque sur le papier qui distinguât ces actes des écritures privées.

Cette formalité ne tomba pas en non-usage jusqu’au tems où elle a été établie en France, comme quelques-uns se l’imagineroient peut-être : il paroît au contraire qu’à l’imitation des Romains, plusieurs princes l’établirent peu de tems après dans leurs états, & que nos rois ont été les derniers à l’ordonner.

En effet, du tems des comtes héréditaires de Provence, qui regnerent depuis 915 ou 920 jusqu’en 1481, que cette province fut réunie à la couronne de France, les notaires de ce pays se servoient de protocoles marqués d’une espece de timbre, ainsi que cela fut observé dans la cause dont j’ai déja fait mention, qui fut plaidée au parlement d’Aix en 1676, & est rapportée par Boniface, liv. IV. tom. III. tit. 15. ch. ij. Le défenseur du fermier du papier timbré, pour faire voir que cette formalité n’étoit pas nouvelle, observoit que non-seulement du tems de Justinien les protocoles étoient marqués, mais encore du tems des comptes de Provence, & que Me Jean Darbés, notaire à Aix, avoit de ces anciens protocoles marqués.

Cette formalité fut introduite en Espagne & en Hollande vers l’an 1555.

Le papier timbré est aussi usité dans plusieurs autres états, comme en Angleterre, dans le Brabant & dans la Flandre impériale, dans les états du roi de Sardaigne, en Suede, & il a été introduit dans l’état ecclésiastique, à compter du 1 avril 1741, & dans d’autres pays, comme nous le dirons dans un moment.

Les timbres qu’on oppose aux papiers & parchemins destinés à écrire les actes publics ont quelque rapport avec les sceaux publics dont on use aujourd’hui en France & dans plusieurs autres pays, en ce que les uns & les autres sont ordinairement une empreinte des armes du prince, ou de quelqu’autre marque par lui établie, qui s’apposent également aux actes publics, & les distinguent des actes sous signature privée ; cependant il ne faut pas confondre ces deux formalités, entre lesquelles il y a plusieurs différences essentielles.

La premiere qui se tire de leur forme est que les sceaux publics, tels que ceux du roi, des chancelleries, des jurisdictions, des villes, des universités & autres semblables, s’appliquent sur une forme de cire ou de quelqu’autre matiere propre à en recevoir l’empreinte, laquelle est en relief ; il y a de ces sceaux qui s’appliquent ainsi sur l’acte même, d’autres qui sont à double face, & ne sont attachés à l’acte que par les lacs ; au lieu que le timbre n’est qu’une simple marque imprimée au haut du papier ou parchemin.

La seconde différence est que l’on n’appose point de sceau sur la minute des actes publics : cette formalité n’est même pas toujours nécessaire pour donner l’authenticité & la publicité aux expéditions ou copies collationnées des actes publics ; c’est plutôt le caractere & la qualité de l’officier qui a reçu l’acte & sa signature apposée au bas, qui rendent l’acte public : au lieu que dans les pays où le timbre est en usage, pour donner l’authenticité & le caractere de publicité à un acte, soit original, en minute ou en brevet, soit expédition ou copie collationnée, il doit être écrit sur du papier timbré ou en parchemin timbré, si l’acte est de nature à être écrit en parchemin.

La troisiéme différence qui se trouve entre les

sceaux publics & les timbres, c’est que l’apposition du sceau est la marque de l’autorité publique dont l’acte est revêtu par cette formalité ; tellement qu’en quelques endroits, comme à Paris, le droit d’exécution parée en dépend, & que si un acte public n’étoit pas scellé, il ne pourroit être mis à exécution, quand même il seroit d’ailleurs revêtu de toutes les autres formalités nécessaires : au lieu que le timbre contribue bien à donner à l’acte le caractere de publicité nécessaire pour qu’on puisse le mettre en forme exécutoire ; mais par lui-même il ne donne point ce droit d’exécution parée, qui dépend de certaines formalités qu’on ajoute à celle qui constitue la publicité.

Quoique la formalité du timbre semble n’avoir été établie que pour la finance qui en revient au prince, elle ne laisse pas d’être utile d’ailleurs.

En effet, le timbre sert 1o. à distinguer à l’inspection seule du haut de la feuille sur laquelle l’acte est écrit, si c’est un acte reçu par un officier public, ou si ce n’est qu’une écriture privée.

2o. Le timbre fait respecter & conserver les affiches, publications ou autres exploits, ou actes que l’on attache extérieurement aux portes des maisons ou dans les places publiques, soit en cas de decret, licitation, adjudications ou autres publications, soit dans les exploits que l’on attache à la porte de personnes absentes auxquelles ils sont signifiés ; car comme ces sortes d’actes ne sont point scellés, il n’y a proprement que le timbre qui fasse connoître que ce sont des actes émanés de l’autorité publique, & qui les distingue des écritures privées.

3o. Le timbre annonce la solemnité de l’acte aux personnes qui le signent, & sert en cela à prévenir certaines surprises que l’on pourroit faire à ceux qui signeroient un acte sans l’avoir lu ; par exemple, il seroit difficile de faire signer pour une écriture privée un acte public qui seroit sur papier timbré, parce que l’inspection seule du timbre feroit connoître la surprise.

4o. Le timbre sert aussi à prévenir quelques faussetés dans les dates de tems & de lieu qui, peuvent se commettre plus facilement dans les actes où cette formalité n’est pas nécessaire : en effet, comme il y a un timbre particulier pour chaque état, & même en France pour chaque généralité, que la formule de ces timbres a changé en divers tems, & que l’on ne peut écrire les actes publics que sur du papier ou parchemin marqué du timbre actuellement usité dans le tems & le lieu où se passe l’acte, ceux qui écrivent un acte sur du papier ou parchemin marqué du timbre actuellement usité dans un pays, ne pourroient pas impunément le dater d’un tems ni d’un lieu où il y auroit eu un autre timbre, parce que la formule du timbre apposé à cet acte étant d’un autre tems ou d’un autre lieu, feroit connoître la fausseté des dates de tems & de lieu qu’on auroit donné à cet acte.

La formalité du timbre n’ayant été établie que pour les actes publics, il s’ensuit que tous les actes qui ne sont pas reçus par des officiers publics ne sont point sujets à être écrits sur papier timbré.

Boniface, en son recueil des arrêts du parlement de Provence, tom. IV. l. III. tit. XV. ch. j. & ij. rapporte à ce sujet deux arrêts de la cour des aides & finances de Montpellier.

Au mois de Mars 1655, Louis XIV. étant lors à Paris, donna un édit portant établissement d’une marque sur le papier & le parchemin destinés à écrire les actes reçus par les officiers publics. Cet édit fut enregistré en parlement, en la chambre des comptes & en la cour des aides le 20 du même mois. Il est au cinquieme volume des ordonnances de Louis XIV. cotté 3. fol 69. & il en est fait mention dans le recueil des ordonnances, édits, & par M. Blanchart.