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En France & dans plusieurs autres pays, on appose la marque du timbre avec un poinçon d’acier semblable à ceux qui servent à frapper les monnoies, excepté qu’il est moins concave ; en d’autres pays, comme en Allemagne, on imprime le timbre avec une planche de cuivre gravée, telle que celles qui servent à tirer les estampes.

En France & dans la plûpart des autres pays où le timbre est en usage, on met de l’encre dans le poinçon pour marquer le timbre ; en Angleterre on ne met aucune couleur dans le poinçon, ensorte que la marque qu’il imprime ne paroit que parce qu’elle se forme en relief sur le papier.

La formalité du timbre paroit avoir été totalement inconnue aux anciens, & les actes reçus par des officiers publics n’étoient alors distingués des écritures privées que par le caractere de l’officier qui les avoit reçus, & par le sceau qu’il y apposoit, qui étoit plus connu que les sceaux des parties contractantes, à cause de la fonction publique de l’officier ; mais du-reste ce sceau n’étoit que le cachet particulier de l’officier ; car les anciens n’avoient point de sceaux publics, tels que nous en avons en France, ainsi que l’observe Loyseau, des off. liv. II. chap. iv. n. 10. Les sceaux particuliers dont ils se servoient étoient plûtôt de simples cachets que de vrais sceaux, ils n’avoient pour objet que de tenir lieu de signature, comme cela s’est pratiqué long-tems dans plusieurs pays, & même en France, à cause qu’il y avoit alors peu de personnes qui sussent écrire, & ces sortes de sceaux ou cachets n’avoient aucun rapport avec les timbres dont nous parlons.

Justinien fut le premier qui établit une espece de timbre : cet empereur considérant le grand nombre d’actes que les tabellions de Constantinople recevoient journellement, & voulant prévenir certaines faussetés qui pouvoient s’y glisser, ordonna par sa novelle 44, laquelle fut publiée l’an 537, que ces tabellions ne pourroient recevoir les originaux des actes de leur ministere que sur du papier, en tête duquel (ce que l’on appelloit protocole), seroit marqué le nom de l’intendant des finances qui seroit alors en place, le tems auquel auroit été fabriqué le papier & les autres choses que l’on avoit coûtume de mettre en tête ces papiers destinés à écrire les originaux des actes que reçoivent les tabellions de Constantinople, ce que l’on appelloit suivant la glose & les interpretes, imbreviaturam totius contractus, c’est-à-dire un titre qui annonçoit sommairement la qualité & substance de l’acte.

Par cette même novelle l’empereur défendoit aussi aux tabellions de Constantinople de couper ces marques & titres qui devoient être en tête de leurs actes ; il leur enjoignoit de les laisser sans aucune altération, & défendoit aux juges d’avoir égard aux actes écrits sur du papier qui ne seroit pas revétu en tête de ces marques, quelques autres titres ou protocoles qui y fussent écrits.

M. Cujas en ses notes sur cette nouvelle, examine ce que Justinien a entendu par le protocole qu’il recommande tant aux tabellions de conserver ; les uns, dit-il, veulent que ce soit une grande feuille royale ; d’autres que ce soit une simple note des actes ; d’autres que ce soit un exemplaire des formules dont les tabellions avoient coûtume de se servir : mais ils se trompent tous également, dit M. Cujas, car de même qu’aujourd’hui notre papier a quelque marque qui indique celui qui l’a fabriqué, de même autrefois les papiers dont on se servoit contenoient une note abrégée de l’intendant des finances qui étoit alors en place, parce que ces sortes d’intendans avoient inspection sur les fabriques de papier ; on y marquoit aussi en quel tems & par qui le papier avoit

été fabriqué ; ce qui servoit à découvrir plusieurs faussetés.

Loyseau, dans son traité des offices, liv. II. ch. V. n. 82. dit en parlant de la novelle 44, qu’elle nous apprend un beau secret qui avoit été ignoré jusqu’à ce que le docte Cujas l’ait découvert, à savoir qu’elle défend de couper & ôter le protocole des chartes que nous pensons vulgairement être la minute & premiere écriture du contrat ; & de fait les ordonnances des années 1512, & encore celle d’Orléans, article xcxiij. l’usurpent en cette signification, combien qu’à la vérité ce soit la marque du papier où étoit écrite l’année qu’il avoit été fait, laquelle marque Justinien défend de couper, comme on pouvoit aisément faire, d’autant qu’elle étoit en haut du papier, & non pas au milieu, comme celle de notre papier, pour ce, dit-il, que par le moyen de ce protocole ou marque du papier plusieurs faussetés ont été découvertes, ce qui s’est aussi vû quelquefois en France ; partant, dit-il, pour se servir à propos de cette antiquité, il seroit expédient, ce semble, d’ordonner que tout papier seroit marqué, & que la marque contiendroit l’année qu’il auroit été fait, chose qui ne coûteroit rien & empêcheroit plusieurs faussetés, tant aux contrats qu’aux écritures.

Cette origine du papier & parchemin timbrés fut remarquée dans une cause qui se plaida au parlement d’Aix en 1676, entre des marchands de Marseille & le fermier du papier timbré, laquelle cause est rapportée par Boniface en ses arrêts de Provence, tom. IV. l. III. tit. xv. c. ij. le défenseur du fermier du papier timbré faisoit valoir, « que le timbre n’étoit pas nouveau, puisqu’il y en avoit du tems de Justinien en 537, qu’il y avoit des marques pour les protocoles des notaires ; qu’on y marquoit en chiffre l’année en laquelle ils avoient été faits avec le nom comitis sacrarum largitionum, qui étoit alors en exercice ; que Justinien vouloit que le notaire qui avoit commencé le protocole ou la charte achevât de l’écrire, & que le motif & le fondement de Justinien n’avoit été que pour la précaution contre les faussetés, comme il paroit par la novelle 44, suivie par Godefroy ».

Cette origine a aussi été remarquée par M. de Basville, intendant de la province de Languedoc, dans les mémoires qu’il a faits pour servir à l’histoire de cette province, dans lesquels en parlant du domaine il dit que, comme il y a deux généralités dans le Languedoc, il y a aussi deux sous-fermes du domaine, l’une pour la généralité de Toulouse, l’autre pour la généralité de Montpellier, & que dans ces sous-fermes sont compris le papier timbré, les formules & le contrôle des exploits ; & à ce propos il remarque en passant, que le papier timbré n’a pas été inconnu aux Romains, puisqu’on voit par la novelle 44, qu’ils avoient une espece particuliere de papier pour écrire les originaux des actes des notaires, lequel portoit la marque que l’intendant des finances y faisoit apposer, & la date du tems auquel il avoit été fait.

Ainsi quoiqu’il paroisse peut-être d’abord singulier que l’on fasse remonter l’origine du papier timbré jusqu’au tems des Romains, cependant il est constant que cette formalité étoit déja en quelque usage chez eux, puisque les titres, dates & autres marques que l’on apposoit en tête du papier destiné à écrire les originaux des actes des tabellions de Constantinople, étoient une espece de timbre qui avoit le même objet que ceux qui sont aujourd’hui usités en France & dans plusieurs autres pays.

Mais suivant la même novelle de Justinien, cette formalité n’étoit établie que pour les actes des tabellions de Constantinople, encore n’étoit-ce que pour les originaux de ces actes, & non pour les expédi-