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remuées avec un roseau propre & délié jusqu’à ce qu’elles soient parfaitement mêlées, & qu’elles forment une substance liquide de la même consistance ; cela se fait mieux dans une cuve étroite, mais ensuite cette composition est mise dans une cuve plus grande, qu’ils appellent en leur langage fine : elle ne ressemble pas mal à celle dont on se sert dans nos manufactures de papier. On tire de cette cuve les feuilles une à une dans leurs moules qu’on fait de jonc, au lieu de fil d’archal, on les appelle miis.

Il ne reste plus qu’à les faire sécher à propos : pour cet effet, on met les feuilles en piles sur une table couverte d’une double natte, & l’on met une petite piece de roseau, qu’ils appellent kamakura, c’est-à-dire coussin entre chaque feuille ; cette piece qui avance un peu sert ensuite à soulever les feuilles, & à les tirer une à une ; chaque pile est couverte d’une planche ou d’un ais mince de la grandeur & de la figure des feuilles de papier, sur laquelle on met des poids légers au commencement, de peur que les feuilles encore humides & fraîches ne se pressent si fort l’une contre l’autre, qu’elles fassent une seule masse ; on surcharge donc la planche par degrés, & l’on met des poids plus pesans pour presser & exprimer toute l’eau ; le jour suivant, on ôte les poids : les feuilles sont alors levées une à une avec le petit bâton kamakura, dont on vient de parler ; & avec la paume de la main, on les jette sur des planches longues & raboteuses, faites exprès pour cela, les feuilles s’y tiennent aisément, à cause d’un peu d’humidité qui leur reste encore après cette préparation, elles sont exposées au soleil ; & lorsqu’elles sont entierement seches, on les prend pour les mettre en monceaux, on les rogne tout-autour, & on les garde pour s’en servir ou pour les vendre.

J’ai dit que l’infusion de ris, avec un léger frottement, est nécessaire pour cet ouvrage, à cause de sa couleur blanche, & d’une certaine graisse visqueuse, qui donne au papier une bonne consistance & une blancheur agréable. La simple infusion de la fleur de ris n’auroit pas le même effet, à cause qu’elle manque de cette viscosité qui est une qualité fort nécessaire. L’infusion, dont je parle, se fait dans un pot de terre non vernissé, où les grains de ris sont trempés dans l’eau ; ensuite le pot est agité doucement d’abord, mais plus fortement par degrés : à la fin, on y verse de l’eau fraîche, & le tout est passé au-travers d’un linge ; ce qui demeure, doit être remis dans le pot, & subir la même opération en y mettant de l’eau fraîche ; & cela est répété tant qu’il reste quelque viscosité dans le ris. Le ris du Japon est le plus excellent pour cela, étant le plus gras & le plus gras qui croisse en Asie.

L’infusion de la racine oreni se fait de la maniere suivante : la racine pilée ou coupée en petits morceaux est mise dans de l’eau fraîche ; elle devient glaireuse dans la nuit, & propre à l’usage destiné après qu’on l’a passée au-travers d’un linge. Les différentes saisons de l’année demandent une quantité différente de cette infusion mêlée avec le reste. Ils disent que tout l’art dépend entierement de cela ; en été, lorsque la chaleur de l’air dissout cette colle & la rend plus fluide, il en faut davantage, & moins à proportion en hiver & dans le tems froid. Une trop grande quantité de cette infusion mêlée avec les autres ingrédiens rendroit le papier plus mince à proportion, & trop peu au contraire le rendroit épais, inégal & sec. Une quantité médiocre de cette racine est nécessaire pour rendre le papier bon & d’une égale consistance. Pour peu qu’on leve de feuilles, on peut s’appercevoir aisément si l’on en a mis trop ou trop peu. Au lieu de la racine oreni qui quelquefois, surtout au commencement de l’été, devient fort rare, les papetiers se servent d’un arbrisseau rampant, nom-

sane kadsura, dont les feuilles rendent une gelée

ou glu, semblable à celle de la racine oreni, mais qui n’est pas tout-à-fait bonne.

On a remarqué ci-dessus que les feuilles de papier, lorsqu’elles sont fraîchement levées de leurs moules, sont mises en pile sur une table couverte de deux nattes : ces deux nattes doivent être faites différemment ; celle de dessous est plus grossiere, & celle qui est au-dessus est plus claire, faite de joncs plus fins qui ne sont pas entrelacés trop près l’un de l’autre, afin de laisser un passage libre à l’eau, & ils sont déliés pour ne point laisser d’impression sur le papier. Le papier grossier, destiné à servir d’enveloppe & à d’autres usages, est fait de l’écorce de l’arbrisseau kadse kadsura avec la même méthode que nous venons de décrire. Le papier du Japon est très-fort, on pourroit en faire des cordes. On vend une espece de papier fort épais à Syriga (c’est une espece des plus grandes villes du Japon, & la capitale d’une province de même nom). Ce papier est peint fort proprement, & plié en si grandes feuilles, qu’elles suffiroient à faire un habit ; il ressemble si fort à des étoffes de laine ou de soie qu’on pourroit s’y méprendre.

Pour rendre complette l’histoire des manufactures de papier du Japon, Kæmpfer y joint la description suivante des quatre arbres & des plantes dont on le fait.

1°. L’arbre à papier, en japonnois kaadsi, est le principal. Kæmpfer le caractérise ainsi : Papyrus fructu mori celsa, sive morus sativa, foliis urticæ, mortuæ, cortice papifera.

D’une racine forte, branchue & ligneuse s’éleve un tronc droit, épais & uni, fort rameux, couvert d’une écorce couleur de châtaigne, grosse dedans, où elle tient au bois qui est mou & cassant, plein d’une moëlle grande & humide. Les branches & les rejettons sont fort gros, couverts d’un petit duvet ou laine verte, dont la couleur tire vers le pourpre brun ; ils sont cannelés jusqu’à ce que la moëlle croisse, & sechent d’abord qu’on les a coupés. Les rejettons sont entourés irrégulierement de feuilles à cinq ou six pouces de distance l’une de l’autre, quelquefois davantage : elles tiennent à des pédicules minces & velus de deux pouces de longueur, de la grosseur d’une paille, & d’une couleur tirant sur le pourpre brun. Les feuilles different beaucoup en figure & en grandeur ; elles sont divisées quelquefois en trois, d’autres fois en cinq lobes dentés comme une scie, étroits, d’une profondeur inégale & inégalement divisés. Ces feuilles ressemblent en substance, figure & grandeur, à celles de l’urtica mortua, étant plates, minces, un peu raboteuses, d’un verd obscur d’un côté, & d’un verd blanchâtre de l’autre. Elles se sechent vîte dès qu’elles sont arrachées, comme font toutes les autres parties de l’arbre. Un nerf unique qui laisse un grand sillon du côté opposé, s’étend depuis la base de la feuille jusqu’à la pointe, d’où partent plusieurs petites veines quasi paralleles qui en poussent d’autres plus petites tournées vers le bord des feuilles, & se recourbant vers elles-mêmes. Les fruits viennent en Juin & en Juillet, des aisselles des feuilles aux extrémités des rejettons : ils tiennent à des queues courtes & rondes, & sont de la grosseur d’un pois & un peu plus, entourés de pois pourprés : ils sont composés de pepins qui sont verdâtres au commencement, & tournent ensuite sur le pourpre brun lorsqu’ils mûrissent. Le fruit est plein d’un jus douçâtre : je n’ai pas observé si ces fruits sont précédés par des fleurs.

Cet arbre est cultivé sur les collines & les montagnes, & sert aux manufactures de papier. Les jeunes rejettons de deux piés de long sont coupés & plantés à terre à une médiocre distance environ le dixieme mois ; ils prennent d’abord racine, & leur extrémité