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rapport à la qualité, il cede la primauté au papier fait de l’arbrisseau qui porte le coton, qui est le plus blanc & le plus fin, & en même tems le moins sujet aux inconvéniens dont nous venons de parler, car il se conserve aussi-bien, & dure aussi long-tems que le papier d’Europe. Le docteur Grew croit qu’on trouveroit en Angleterre beaucoup de plantes qui renferment un duvet, lequel très-probablement feroit du papier aussi fin que celui que les Chinois font avec le coton : ce discours fait voir que Grew s’est imaginé mal-à-propos que le papier chinois est fait non pas de l’écorce de l’arbrisseau de coton, mais du duvet ou du coton même. Voyez Grew, mus. reg. soc. part. II.

Le papier dont on se sert le plus communément à la Chine, est celui que l’on fait d’un arbre appellé chu-ku ou ku-chu, que le pere Duhalde compare tantôt au mûrier, tantôt au figuier, tantôt au sycomore, & enfin pour augmenter l’embarras, d’autres fois au fraisier, ensorte que nous connoissons moins cet arbre que s’il n’en avoit rien dit du-tout : cette façon d’écrire est familiere à cet auteur, qui est souvent d’une sécheresse extraordinaire au milieu de la plus grande prolixité, & qui n’est jamais plus diffus & moins méthodique, que quand il se propose de mettre de l’exactitude & de l’ordre dans ses écrits. Mais, pour revenir au ku-chu, voici la maniere de le préparer pour en faire le papier : on ratisse d’abord légérement l’écorce extérieure de cet arbre, qui est verdâtre, ensuite on en leve la peau intérieure en longs filets minces, qu’on fait blanchir à l’eau & au soleil, après quoi on la prépare de la même maniere que le bambou.

Il ne faut pas oublier d’observer que dans les autres arbres, ce n’est que l’intérieur de l’écorce qui sert à faire le papier ; mais le bambou, aussi-bien que l’arbre de coton, ont cela de particulier, que non seulement on emploie leur écorce, mais même toute leur substance, par le moyen des préparations suivantes.

Outre les bois des plus larges bambous, on choisit les rejettons d’une année, qui sont à-peu-près de la grosseur du gras de la jambe d’un homme ; on les dépouille de leur premiere écorce verte, & on les fend en petites baguettes de six ou sept piés de long ; on trempe ces baguettes ainsi fendues, dans un réservoir d’eau bourbeuse, jusqu’à ce qu’elles soient corrompues & attendries à force d’avoir trempé. Au bout de quinze jours on les retire, on les lave dans de l’eau nette, on les étend dans un grand fossé sec, & on les couvre de chaux pendant quelques jours. On les retire ensuite, & après les avoir lavé une seconde fois, on les partage en filamens, qu’on expose au soleil pour les sécher & les blanchir. Alors on les jette dans de grandes chaudieres, où on les fait bouillir tout-à-fait ; enfin on les réduit en une pâte liquide par l’action de plusieurs grands marteaux.

Ensuite on prend quelques rejettons d’une plante nommée koteng, on les trempe quatre ou cinq jours dans l’eau jusqu’à ce qu’ils soient en une espece de suc onctueux & gluant, qu’on mêle avec la pâte dont on veut faire le papier, à-peu-près de la même maniere que les Peintres délayent leurs couleurs, ayant bien soin de n’en mettre ni trop, ni trop peu, parce que la bonté du papier en dépend.

Quand on a mêlé le jus du koteng avec le bambou, broyé & battu le tout, jusqu’à ce qu’il paroisse semblable à de l’eau épaisse & visqueuse, on jette le tout dans un grand réservoir, fait de quatre murs élevés jusqu’à hauteur d’appui, & dont les côtés & le fond sont si bien cimentés, que la liqueur ne peut pas en sortir, ni s’imbiber dedans.

Ensuite les ouvriers étant placés aux côtés du réservoir, ils trempent dedans leurs moules, & enle-

vent la superficie de la liqueur qui dans l’instant devient

papier, parce que le jus gluant & visqueux du koteng lie les parties, & rend le papier compact, doux & luisant, qualité que le papier européen n’a pas sitôt qu’il est fait.

Pour rendre les feuilles fermes, & les mettre en état de supporter l’encre, on les trempe dans de l’eau d’alun : cette opération s’appelle faner, du mot chinois fan qui signifie alun. Voici quelle en est la préparation.

On met dans différentes écuelles pleines d’eau, six onces de colle de poisson, coupée bien menue ; on les fait bouillir en les remuant de tems en tems pour empêcher qu’il ne s’y forme des grumeaux : quand le tout est converti en une substance liquide, on y jette trois quarterons d’alun calciné, que l’on mêle & qu’on incorpore avec.

On verse ensuite cette composition dans un grand bassin, à-travers lequel est attaché un petit bâton rond : alors on serre l’extrémité de chaque feuille avec un bâton fendu d’un bout à l’autre, & dans cet état on trempe la feuille, en la tirant promptement aussi-tôt qu’elle est humectée, & la glissant par-dessus le petit bâton rond ; quand toute la feuille a passé à-travers la liqueur, le long bâton qui tient la feuille par l’extrémité, est attaché dans un trou à la muraille, & la feuille suspendue pour sécher.

A l’égard du moule avec lequel on fait la feuille, c’est une forme inventée de façon qu’on peut la hausser & baisser à volonté ; le fond n’en est pas fait de fil de laiton comme les nôtres, mais de petits filets menus de bambou, passés de distance en distance à-travers des trous pratiqués dans une plaque d’acier ; ce qui les rend aussi fins que s’ils étoient de laiton. On les fait ensuite bouillir dans l’huile, jusqu’à ce qu’ils en soient imprégnés, afin que le moule entre plus légérement dans l’eau, & n’enfonce pas plus avant qu’il ne faut pour prendre de la matiere suffisamment pour une feuille.

Pour faire des feuilles d’une grandeur considérable, ils ont soin d’avoir un réservoir & un moule proportionnés. Ce moule est soutenu par des cordons qui glissent sur une poulie. Au moment que le moule est élevé, les ouvriers placés à côté du réservoir sont prêts à en ôter la feuille, travaillant ensemble, & chacun ayant ses fonctions réglées. Pour sécher les feuilles qui sont tirées du moule, ils ont une muraille creusée, dont les côtés sont bien blanchis ; à un côté de ce mur est une ouverture par où, au moyen d’un tuyau, se communique la chaleur d’un fourneau qui est auprès ; & à l’extrémité opposée, est un petit vent qui chasse la fumée. Avec le secours de cette espece d’étuve, ils séchent leur papier, presque aussi vîte qu’ils le font.

La maniere d’argenter le papier, est un autre secret qu’ont les Chinois, dont la pratique est de peu de frais, & pour laquelle ils ne se servent pas d’argent, mais ils prennent deux scrupules de glu faite de cuir de bœuf, un scrupule d’alun, & une pinte d’eau claire ; ils mettent le tout sur un feu lent, jusqu’à ce que l’eau soit consumée, c’est-à-dire, qu’il n’en sorte plus d’exhalaisons : alors ils étendent quelques feuilles de papier sur une table bien unie, & appliquent dessus avec un pinceau deux ou trois couches de cette glue ; ensuite ils prennent une poudre faite d’une certaine quantité de talc bouilli, & mêlé avec le tiers de cette quantité d’alun : ces deux drogues sont broyées ensemble, passées au tamis, & mises sur le feu dans de l’eau où on les fait bouillir derechef, ensuite on les fait sécher au soleil, & enfin on les broie. Cette poudre étant passée par un tamis fin, on l’étend également sur les feuilles de papier préparées comme devant ; ensuite on les étend à l’ombre pour les faire sécher : cela fait, on les remet encore sur la table, &