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qu’il eût donné un tel secours à celui qui auroit possédé tant de belles provinces. Le saint siege n’eut Bénévent que long-tems après la donation de l’empereur Henri le Noir vers l’an 1047. Cette concession se réduisit à la ville, & ne s’étendit point jusqu’au duché. Il ne fut point question de confirmer le don de Charlemagne.

Ce qu’on peut recueillir de plus probable au milieu de tant de doutes, c’est que du tems de Charlemagne les papes obtinrent en propriété la marche d’Ancone, outre les villes, les châteaux & les bourgs qu’ils avoient dans les autres pays. Voici sur quoi l’on pourroit se fonder. Lorsque l’empire d’Occident se renouvella dans la famille des Othons au x. siecle, Othon III. assigna particulierement au saint siege la Marche d’Ancone, en confirmant toutes les concessions faites à cette Eglise. Il paroît donc que Charlemagne avoit donné cette Marche, & que les troubles survenus depuis en Italie avoient empêché les papes d’en jouir. Ils perdirent ensuite le domaine utile de ce petit pays sous l’empire de la maison de Suabe.

Dans le xj. siecle, le pape Gregoire VII. prévalut tellement sur l’esprit de Mathilde, comtesse de Toscane, qu’elle fit une donation authentique de ses états au saint siege, s’en réservant seulement l’usufruit sa vie durant. On ne sait s’il y eut un acte, un contrat de cette concession. La coûtume étoit de mettre sur l’autel une motte de terre, quand on donnoit ses biens à l’Eglise. Des témoins tenoient lieu de contrat. On prétend que Mathilde donna deux fois tous ses biens au saint siege. La vérité de cette donation confirmée depuis par son testament, ne fut point révoquée en doute par l’empereur Henri IV. c’est le titre le plus authentique que les papes ayent réclamé : mais ce titre même fut un nouveau sujet de querelles.

La comtesse Mathilde possédoit la Toscane, Mantoue, Parme, Reggio, Plaisance, Ferrare, Modene, une partie de l’Ombrie & du duché de Spolette, Verone, presque tout ce qui est appellé aujourd’hui le patrimoine de S. Pierre, depuis Viterbe jusqu’à Orviette, avec une partie de la Marche d’Ancone. Henri III. avoit donné cette Marche d’Ancone aux papes, mais cette concession n’avoit pas empêché la mere de la comtesse Mathilde de se mettre en possession des villes qu’elle avoit cru lui appartenir. Il semble que Mathilde voulut réparer, après sa mort, le tort qu’elle faisoit au saint siege pendant sa vie. Mais elle ne pouvoit donner les fiefs qui étoient inaliénables, & les empereurs prétendirent que tout son patrimoine étoit fief de l’empire. C’étoit donner des terres à conquérir, & laisser des guerres après elle. Henri IV. comme héritier & comme seigneur suzerain ne vit dans une telle donation que la violation des droits de l’empire. Cependant, à la longue, il a fallu céder au saint siege une partie de ces états.

Les papes ont éprouvé le sort de plusieurs autres souverains. Ils ont été tantôt grands terriens, & tantôt dépouillés presque de tout. Qu’il nous suffise de savoir qu’ils possedent aujourd’hui la souveraineté reconnue d’un pays de 180 milles d’Italie en longueur, depuis les portes de Mentoue aux confins de l’Abbruzze le long de la mer Adriatique, & qu’ils en ont plus de 100 milles en largeur, depuis Civita-Vecchia jusqu’au rivage d’Ancone d’une mer à l’autre. Il a fallu négocier toujours, & souvent combattre pour s’assûrer cette domination.

Les papes prétendoient aussi qu’ils avoient eu la souveraineté du comté Venaissin depuis le tems du comte Raymond de S. Gilles, quoique les empereurs, comme rois d’Arles, eussent joui de ce droit, & eussent exercé dans ce comté des actes de souverain. L’empereur Frédéric II. donna l’an 1234 à Ray-

mond

le jeune les droits qui appartenoient à l’empire dans les villes & autres lieux de ce comte ; & le pape se vit obligé de le remettre à Raymond le jeune, qui le laissa à sa fille Jeanne & à son gendre Alphonse ; Philippe le Hardi, roi de France, qui fut leur héritier, remit l’an 1273 au pape Gregoire X. le comté Venaissin comme étant un propre de l’Eglise romaine. Depuis ce tems, les papes jouissent de ce comté, ainsi que de celui d’Avignon que Clément VI. acheta 75 ans après, c’est-à-dire l’an 1348 de Jeanne, reine de Sicile, comtesse de Provence, du consentement de Louis de Varente son mari, pour la somme de 80 mille florins.

Il est à propos de ne pas finir cet article, sans dire un mot de cette célebre donation qu’on dit avoir été faite par Constantin au pape Sylvestre, de la ville de Rome & de plusieurs provinces d’Italie. Hincmar, archevêque de Rheims, qui florissoit vers l’an 850, est le premier qui en ait fait mention. Le pape Léon IX. rapporte cette donation dans une lettre qu’il écrivit en 1053 à Michel, patriarche de Constantinople. Pierre Damien la cite. Anselme évêque de Luques, Yves évêque de Chartres, & Gratien l’ont insérée dans leurs collections.

Il est néanmoins certain que c’est une piece supposée. 1° Aucun des anciens n’en a fait mention. 2° Les papes qui ont parlé des bienfaits que les empereurs avoient faits au saint siege de Rome, ou qui ont défendu leur patrimoine temporel, ne l’ont jamais alléguée. 3° La date de cet acte est fausse, car il est daté de l’an 315 ; & dans l’acte il est parlé du baptême de l’empereur, qui n’étoit pas encore baptisé, même suivant l’avis de ceux qui croient qu’il a été baptisé à Rome. 4° Le style en est barbare & bien différent de celui des édits véritables de Constantin, & il y a des termes qui n’étoient point en usage de son tems. 5° Il y a une infinité de faussetés & d’absurdités dans cet édit. Il y est permis au pape de se servir d’une couronne d’or, semblable à celle des rois & des empereurs : or en ce tems-là les empereurs ne se servoient point de couronne, mais de diadème. L’histoire fabuleuse du baptême de Constantin par saint Sylvestre, & sa guérison miraculeuse de la lepre, y sont rapportées comme une chose certaine. Enfin tant de raisons concourent à décrier cette piece, que l’on ne finiroit point si l’on vouloit les exposer toutes.

Il sera plus agréable de rappeller au lecteur la réponse adroite que Jérôme Donato, ambassadeur de Venise à Rome, fit au pape Jules II. Ce pape lui ayant demandé à voir le titre du droit que la république de Venise avoit sur le golfe Adriatique, il lui répondit que s’il plaisoit à sa sainteté de faire apporter l’original de la donation que Constantin avoit faite au pape Sylvestre de la ville de Rome & des autres terres de l’état ecclésiastique, il y verroit au dos la concession faite aux Vénitiens de la mer Adriatique.

Dans les premiers siecles de l’Eglise, les peuples & le clergé conjointement, & quelquefois le clergé seul du consentement du peuple firent librement l’élection du pape à la pluralité des voix. Les empereurs depuis s’attribuerent le droit de confirmer ces élections. Ce droit fut aboli au quatrieme concile de Rome du consentement de Théodoric qui fut sur la fin de ses jours, usurper lui-même le pouvoir de créer les papes. Les rois goths qui lui succéderent se contenterent de confirmer les élections. Justinien ensuite contraignit l’élu de payer une somme d’argent, pour obtenir la confirmation de son élection ; Constantin Pogonat délivra l’Eglise de cette servitude. Néanmoins les empereurs se conserverent toujours quelque autorité dans l’élection des papes, qu’on ne consacroit pas sans leur approbation ; Louis le Débon-