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le public desiroit avec empressement. Cet ouvrage magnifique publié à Londres en 1753, en anglois & en françois, contient 57 planches de forme d’Atlas, & qui sont admirablement gravées.

Il semble qu’on peut conclure par-tout ce qu’ils nous en rapportent, qu’on a dû connoître les sources abondantes & continuelles des richesses de Palmyre, tout aussi-tôt qu’on a trouvé le passage du désert, & que dès le tems auquel le commerce a commencé d’attirer l’attention des hommes, on a dû faire cas de la situation d’une telle ville, qui étoit nécessaire pour entretenir la communication entre l’Euphrate & la Méditerranée, Palmyre n’étant qu’à environ 20 lieues de cette riviere, & à environ 50 de Tyr & de Sidon sur la côte.

Il est probable que les Phéniciens commercerent à Palmyre, & que ses richesses sont dues au commerce des Indes, commerce qui doit avoir considérablement fleuri dans cette ville avant la naissance de Jesus-Christ ; car on trouve par les inscriptions, que vers ce tems-là les Palmyréniens étoient opulens, & donnoient dans le luxe. Aussi Appien les appelle expressément commerçans en marchandises des Indes, du tems de Marc Antoine.

Ainsi les Palmyréniens ont été en état de faire la dépense magnifique de leurs édifices, que les écrivains ont jusqu’ici attribuée sans aucune preuve aux successeurs d’Alexandre, ou aux empereurs romains. En effet, le commerce donnoit à Palmyre les richesses de l’orient & de l’occident ; car les caravanes de Perse & des Indes, qui viennent se décharger à Alep, s’arrêtoient alors à Palmyre ; de-là on portoit les marchandises de l’orient qui lui venoient par terre dans les ports de la Méditerranée, d’où elles se répandoient dans tout l’occident ; & les marchandises d’occident lui revenoient de la même maniere. Les caravanes de l’orient les portoient ici par terre en s’en retournant ; de sorte que comme Tyr & ensuite Alexandrie avoient eu autrefois tout le négoce de l’orient qui se faisoit par mer, Palmyre eut aussi pendant quelque tems, & seule, tout le commerce qui se faisoit par terre. D’ailleurs ce pays ne pouvoit subsister que par le négoce ; mais la perte de la liberté de ses habitans ayant entraîné celle de leur commerce, la ruine de leur ville a été prompte.

Il est difficile de deviner le siecle des édifices dont on voit les ruines par monceaux, & qui sont gravées dans le bel ouvrage dont nous avons parlé ; mais il est évident qu’ils sont d’une plus grande antiquité, que ceux dont les ruines sont encore élevées en partie. Si ces ruines sont les restes les plus considérables & les plus complets de l’antiquité que l’on connoisse, cela vient sans doute de ce que le climat est sec, de ce qu’il y a peu d’habitans dans le pays pour les gâter, & de ce qu’étant éloignée des autres villes, on n’a pas pu en employer les matériaux à d’autres usages.

On sait que la religion des Palmyréniens étoit la payenne ; & il paroît par la magnificence extraordinaire du temple du soleil, qu’ils rendoient un grand honneur à cette divinité, ainsi que les peuples de la Syrie dont ils étoient voisins.

On voit par l’histoire & par les inscriptions, que leur gouvernement étoit républicain ; mais il ne reste rien du tout de leurs lois & de leur police. On sait très-peu de choses de leurs coutumes ; leur méthode d’embaumer les corps étoit la même que celle des Egyptiens, & vraissemblablement ils avoient emprunté plusieurs autres coutumes de l’Egypte. Ils tenoient de ce pays-là la pompe extraordinaire des monumens pour leurs morts.

Enfin les Palmyréniens imitoient de grands modeles dans leurs manieres, dans leurs vices & dans leurs vertus. Les coutumes qu’ils observoient dans leurs funérailles venoient d’Egypte, leur luxe de

Perse, leurs lettres & leurs arts de Grece ; situés au milieu de ces trois grandes nations, on peut raisonnablement supposer qu’ils en avoient adopté plusieurs autres choses. Qu’il est fâcheux de n’en pas savoir davantage d’un pays qui a laissé des monumens splendides, qui a eu pour reine Zénobie, & Longin pour son premier ministre !

Il faut compter entre les monumens de Palmyre, le temple du soleil. Tout son enclos étoit un espace quarré, fermé de chaque côté d’une haute & belle muraille, & orné de pilastres par-dedans & par-dehors. Cet enclos renfermoit le temple environné de plusieurs rangs de colomnes de différens ordres, & d’environ cinquante piés de hauteur. Il n’en reste plus que seize : ces colomnes soutenoient la couverture d’une galerie ; le temple avoit 92 piés de longueur, & 40 de largeur. Ce lieu est changé en une mosquée, avec des ornemens à la mode des Turcs ; c’est-à-dire quelques inscriptions arabes, & des sentences tirées de l’alcoran, entrelacées de quelques feuillages. Tout l’espace de l’enclos est aujourd’hui rempli de méchantes huttes qui servent de demeure à des habitans également pauvres & misérables. Il n’y a peut-être pas de lieu au monde où l’on voie tout ensemble & plus de restes d’une ancienne grandeur, & plus de marques d’une désolation présente.

A la sortie de ce temple, on trouve dans l’espace d’un mille, une prodigieuse quantité de colonnes de marbre, dont quelques-unes sont debout, & les autres renversées dans la derniere confusion. Plus loin on apperçoit un grand nombre de ruines, mais parmi lesquelles on voit encore tant de grandeur, qu’on ne peut douter que Palmyre n’ait été une des plus belles villes de toute l’Asie.

En continuant à marcher du côté du nord, on découvre un obélisque considérable ; c’est une colomne composée de sept grandes pierres, outre son couronnement qui est au-dessus. La sculpture en est fort belle, ainsi que celle de tous les autres endroits. Sa hauteur est de plus de cinquante piés ; & apparemment il y avoit sur le sommet une statue que les Turcs ont mise en pieces. Sa grosseur au-dessus de son piédestal, est de douze piés & demi.

A l’orient & à l’occident de cet obélisque, on voit deux autres colonnes, qui en sont éloignées chacune d’environ un quart de mille. Elles semblent se répondre l’une à l’autre ; & auprès de celle qui est du côté de l’orient, il y en a une autre rompue, d’où l’on juge qu’on en avoit mis un rang tout du long dans cet endroit-là. On a mesuré celle qui est à l’orient, & l’on a trouvé qu’elle avoit plus de 42 piés de haut. Elle est grosse à proportion, & on y lit une inscription en langue greque.

Cette inscription apprend que ceux qui avoient fait dresser cette colonne, étoient une nation libre, gouvernée par un sénat & par le peuple, & peut-être sous la protection de quelque puissant empire, tel que fut premierement celui des Parthes, & ensuite celui des Romains, qui ont souvent disputé aux Parthes la domination de ce pays-là. Cette forme de gouvernement des Palmyréniens avoit duré jusqu’au tems d’Aurélien qui prit cette ville en 272, sur la célebre Zénobie, la seconde femme du grand Odenath, chef ou prince des Palmyréniens, & qui ne rendit pas son nom moins recommandable.

Odenath avoit vengé sur les Perses la prise de l’empereur Valérien ; il avoit vaincu la plûpart des lieutenans de Sapor, & chassé de la Mésopotamie ce roi victorieux. Ces beaux exploits engagerent Gallien à lui conférer la qualité d’Auguste dans les provinces romaines, en-deçà & au-delà de l’Euphrate ; mais ses victoires furent bornées par sa mort. Le perfide Méonius son parent, l’assassina dans un festin l’an 267 ; & l’on soupçonna Zénobie d’avoir consenti à