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bylone, ensuite devenue capitale d’un état célebre par ses richesses, par la puissance d’Odenath, & par le courage de Zénobie sa femme. Il n’est pas probable que la curiosité du lecteur en demeure-là : les ruines de cette ville sont trop intéressantes pour ne le pas porter à rechercher ce qu’elle a été, quand & par qui elle a été fondée, d’où vient qu’elle se trouve située si singulierement séparée du reste du genre humain par un désert inhabitable, & quelle a dû être la source des richesses nécessaires pour soutenir sa magnificence. Voilà bien des motifs de curiosité.

L’Ecriture, I. Rois, ix. v. 18. & II. liv. Chron. viij. v. 4. nous apprend que Salomon fit bâtir Tadmor ou Tedmor dans le désert, après qu’il eut fait la conquête du pays d’Hamath-Zoba ; & Josephe nous assure que c’est la même ville que les Grecs & les Romains appellerent par la suite Palmyre, quoique les Syriens conservassent toujours le premier nom. Saint Jérôme pense que Tadmor & Palmyre ne sont que les noms syriens & grecs de la même ville. Ce qui semble fortifier cette opinion, c’est qu’à présent les arabes du pays l’appellent Tadmor. Mais il y a long-tems que tous les édifices que Salomon a pu élever dans ce lieu ne sont plus, puisque Nabuchodonozor détruisit cette Tadmor avant que d’assiéger Jérusalem.

On ne sauroit raisonnablement se persuader que des édifices dans le goût de ceux de Palmyre, soient antérieurs à ceux que les Grecs établirent en Syrie ; aussi n’en est-il point parlé dans l’expédition de Cyrus le jeune, ni dans celle d’Alexandre le grand, ni dans celle du regne de Séleucus Nicator, qui fit bâtir & réparer tant de lieux en Syrie. L’importance de cette ville, en qualité de place frontiere, a dû être considérable même du tems de Séleucus Callinicus ; cependant l’histoire des Séleucides n’en dit mot.

Si nous examinons à présent l’histoire romaine, nous verrons qu’il n’en est pas encore fait mention quand Pompée fit la conquête de ce pays-là ; ce n’est que du tems de Marc-Antoine qu’il en est parlé pour la premiere fois dans cette histoire. Ce capitaine romain se voyant épuisé d’argent par les dépenses excessives qu’il faisoit en Syrie, & n’ayant pas de quoi payer ses troupes, imagina de donner le pillage de Palmyre à sa cavalerie au lieu de paye, & elle s’y rendit dans l’espérance de s’y enrichir ; mais les Palmyréniens ayant été avertis de bonne heure des desseins d’Antoine, mirent à couvert leurs familles & leurs meilleurs effets de l’autre côté de l’Euphrate, dont ils défendirent si bien le passage avec leurs archers, que l’armée d’Antoine s’en retourna sans succès. Cependant les Palmyréniens outrés du projet du triumvir, prirent le parti de s’unir avec les Parthes, pour se mettre à couvert de l’avarice des Romains.

Les Palmyréniens étoient alors un peuple riche, commerçant & libre. Ptolomée marque les noms des différentes villes de l’état palmyrénien ; mais Pline, l. V. a ramassé en peu de lignes les circonstances les plus frappantes de Palmyre, excepté qu’il ne parle pas des édifices. « Cette ville, dit-il, est remarquable par sa situation, son riche terroir & ses ruisseaux agréables. Elle est environnée de tous côtés d’un vaste désert sablonneux qui la sépare totalement du reste du monde ; & elle a conservé son indépendance entre les deux grands empires de Rome & des Parthes, dont le soin principal est, quand ils sont en guerre, de l’engager dans leurs intérêts ».

Palmyre dans son état florissant, ne pouvoit qu’absolument répondre à cette description. La situation en est belle, cette ville étant au pié d’une chaîne de montagnes à l’occident, & s’élevant un peu au-dessus du niveau d’une vaste plaine qu’elle commande à

l’orient. Ces montagnes étoient chargées de monumens funebres, dont plusieurs subsistent encore presqu’en entier, & ont un air vénérable. Elles étoient aussi couvertes de palmiers, de même qu’une partie du désert ; car les palmiers croissent dans les déserts sablonneux les plus arides. Abulfeda fait mention des palmiers aussi-bien que des figuiers de Palmyre, & les négocians anglois qui y allerent d’Alep en 1691, rapportent y en avoir vu plusieurs.

Il n’est point parlé de Palmyre dans le voyage que fit Trajan en cette partie de l’orient, ni dans celui d’Adrien, quoiqu’ils ayent dû passer près de cette ville. On caractérise Palmyre de colonie romaine sur la monnoie de Caracalla. On trouve par les inscriptions qu’elle se joignit à Alexandre Severe dans son expédition contre les Perses. Elle se distingua sous Gallien par la politique & les vertus d’Odenath palmyrénien, que l’empereur déclara Auguste, & associa à l’empire. Odenath laissa après lui sa femme Zénobie, si célebre par sa beauté mâle, sa science & ses conquêtes. On sait qu’Aurélien ayant pris Palmyre & fait cette princesse prisonniere, il l’amena à Rome pour orner son triomphe.

Sans doute que Palmyre, après avoir perdu sa liberté, eut un gouverneur romain. Justinien la fit réparer, & depuis lors, on n’apprend plus rien de Palmyre dans l’histoire romaine. On ne sait pas davantage ce qui est arrivé à Palmyre depuis Mahomet. Abulfeda, qui ecrivoit vers l’an 1321, est presque le seul qui en parle ; encore fait-il mention très-succinte de sa situation, de son terroir, de ses palmiers, de ses figuiers, des colomnes anciennes & en assez grand nombre qu’on y voyoit de son tems, de ses murs & de son château. Il est vraissemblable qu’il ignoroit & le nom grec, & l’histoire de cette ville ; il ne l’appelle que Tedmor.

Enfin on connoissoit si peu ses ruines avant la fin du dernier siecle, que si on en eût employé les matériaux à fortifier la place, ce qui auroit pû naturellement arriver, en conséquence d’une guerre entre la Turquie & la Perse, on sauroit à peine aujourd’hui que Palmyre a existé : exemple frappant du sort précaire auquel sont sujets les plus grands monumens de l’industrie & de la puissance humaine !

Mais en 1691 des négocians anglois eurent la curiosité d’aller voir ses ruines. On a publié dans les Transactions philosophiques la relation qu’ils en ont faite avec toute la candeur & la vérité possible. C’est ce que reconnoissent les gens de lettres également habiles & curieux, qui entreprirent en 1751 le voyage exprès de Palmyre : je parle de MM. Dawkins, Wood & Bouvery.

Ces hommes illustres, riches, unis par l’amour qu’ils avoient pour les antiquités & pour les beaux arts, l’habitude où ils étoient de voyager, savans dans le dessein & dans l’art de lever des plans, freterent un vaisseau à leurs dépens, parcoururent les îles de l’Archipel, pénétrerent dans l’Asie mineure, dans la Syrie, dans la Phénicie, dans la Palestine & l’Egypte, pour en voir les endroits les plus remarquables, moins encore pour connoître l’état présent de ce pays, que l’état ancien. Ils se pourvurent de livres, d’instrumens de mathématiques, de présens convenables pour les turcs de distinction, & autres auxquels ils se trouveroient obligés de s’adresser dans le cours de leur voyage.

Ces savans ont copié toutes les inscriptions qu’ils ont rencontrées sur leur route : ils ont plus fait, ils ont même emporté les marbres en Angleterre, toutes les fois qu’ils l’ont pu. Ils ont eu soin de se pourvoir d’instrumens pour creuser la terre ; & ils ont quelquefois employé les paysans à ce travail pendant plusieurs jours avec succès. Enfin de retour dans leur pays, ils nous ont donné les ruines de Palmyre, que