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l’autre qui est intérieur, enveloppe immédiatement le fruit presque tout entier.

Ces embryons sont en très-grand nombre sur une grappe ; ils ressemblent aux grains de poivre pour la grosseur & la rondeur ; leur superficie est luisante & blanche, leur goût est acerbe. Dans le mois de Mai, ces fruits acquierent la grosseur de nos cerises, & ils sont d’une couleur herbacée. Au commencement de Juin, ils ressemblent à des olives pour la figure & la grosseur ; leurs osselets se durcissent, leur chair perd de son humidité, & devient plus solide. Ils mûrissent dans le mois d’Août ; ils ne s’amollissent pas dans toute leur substance, mais ils acquierent d’abord une tache molle comme celle d’une pomme qui se pourrit ; cette tache s’étend peu-à-peu, & toute sa substance qui étoit verte, se change en une pulpe fort douce & d’un goût vineux dans la maturité. On nomme ces fruits dattes. Voyez Dattes.

Le noyau est solide comme de la corne, dur & ferme ; sa superficie est de la couleur des pepins de raisins, & d’un gris plus ou moins délayé ; sa substance interne est panachée à-peu-près comme la noix muscade, de figure longue, & quelquefois en toupie recourbée, convexe d’un côté, & partagée de l’autre dans sa longueur par un sillon. La moëlle qui est dans ce noyau, n’est pas telle que Ray l’a crû, ni telle qu’il s’est persuadé qu’on pouvoit la retirer, lorsqu’on l’a amollie dans la terre.

Le palmier-dattier se plaît dans les pays brûlans, & aime une terre sablonneuse, légere & nitreuse. Il s’éleve du noyau, ou des racines d’un autre palmier. Lorsqu’on seme des noyaux, il en vient des palmiers mâles & femelles : mais lorsqu’on plante des racines, les palmiers qui naissent suivent le sexe de leurs meres-racines.

On plante dans la terre au printems, ou dans toute autre saison, les jeunes pousses de deux ou de trois ans, & on les arrose pendant l’été : on extirpe celles qui pullulent autour du tronc du palmier : on a grand soin d’en ôter les teignes, les fourmis & les sauterelles, insectes fort nuisibles à ces arbres.

Lorsqu’ils sont en état de porter des fleurs, ceux qui les cultivent, doivent travailler à les rendre féconds, & en retirer beaucoup de fruit. C’est pourquoi, sur la fin de Février, ils cueillent au sommet de l’arbre les spathes mâles remplies de leurs fleurs, propres à féconder les grappes femelles. Ils ouvrent ces spathes mâles dans leur longueur, ils en ôtent les grappes, dont les fleurs ne sont pas encore épanouies ; ils partagent ces grappes en de petites baguettes fourchues, & ils les placent sur les grappes femelles.

Les uns emploient ces baguettes encore vertes, & les mettent aussi-tôt sur les grappes femelles qui commencent à paroître : d’autres sechent auparavant ces baguettes, & les gardent jusqu’au mois de Mars, tems auquel les matrices sont toutes ouvertes, & deviennent fécondes par une seule & même opération. Ils placent transversalement ces baguettes fourchues au milieu de la grappe femelle, ou bien ils les attachent de façon que les vents ne puissent pas les emporter, mais de sorte qu’elles y restent quelque tems, jusqu’à ce que les jeunes embryons aient acquis de la vigueur, étant couverts de la poussiere séminale des petites fleurs, dont sont chargées les baguettes fourchues. Les habitans des déserts réiterent quelquefois cette opération, mais les Perses & les Arabes se contentent d’en faire une seule avec soin.

Les grappes femelles deviennent encore fécondes sans le secours de l’homme, par le moyen de l’air qui transporte la poussiere féconde du palmier mâle sur le palmier femelle : ainsi, quoique les personnes qui cultivent les palmiers, distribuent ces baguettes sur tous les palmiers femelles, ceux qui sont autour des palmiers

mâles, reçoivent encore, sans le secours de l’art, la poussiere des fleurs.

Les paysans qui habitent les lieux abondans en palmiers, emploient leur tronc, à la place de pieux & de poutres, pour soutenir leurs toîts, & servir de charpente à leurs chaumieres ; ils ferment tout le reste grossierement avec des branches feuillées de palmier, sans clous, sans regle, sans art, & sans industrie. Le palmier leur fournit encore quelques meubles nécessaires ; ils font des fagots avec des branches feuillées, des balais avec les grappes, des vases, & des plats avec les spathes ou enveloppes, auxquelles ils donnent la figure qu’ils veulent ; ils font des chaussures & des cordes très-fortes pour leur marine avec les hampes des grappes. Ils se nourrissent de la moëlle du sommet, & tirent grand parti des dattes.

Le palmier-dattier vient de lui-même en plusieurs pays ; il est cultivé dans l’Afrique, où il produit beaucoup d’excellens fruits, aussi-bien que dans la Syrie & la Perse. On le cultive en Grece, en Italie, & dans les provinces méridionales de la France ; mais il y produit rarement des fruits, & ceux qu’il y produit ne mûrissent jamais. Cela ne viendroit-il point de ce qu’il n’y a pas de palmier mâle !

Du-moins Pline, Théophraste, ont dit autrefois, ensuite Prosper Alpin, & Kaempfer, qui par eux-mêmes ont pû faire ces observations, ont confirmé que si un palmier femelle n’a point de mâle dans son voisinage, il ne porte point de fruits, ou que s’il en porte, ils ne viennent jamais à maturité ; ils sont âpres, de mauvais goût, sans noyau, & par conséquent sans germe : aussi, pour faire mûrir ces fruits, & pour les féconder, on a soin ou de planter un palmier mâle dans le voisinage, ou de couper des branches du palmier mâle chargées de sommets épanouis, & de les attacher au-dessous du palmier femelle ; pour-lors il produit de bons fruits, féconds, & en abondance.

Ce fait avoit déja été dit-à M. Tournefort, en 1697, par Adgi Mustapha, homme d’esprit & curieux. Mais ce ne sont pas les seuls palmiers, sur lesquels cette observation se vérifie. La chose est encore très-sensible sur la plûpart des plantes qui portent les fleurs & les fruits sur différens piés, ou sur différens endroits du même pié, pourvû que l’on ait un très-grand soin de couper les étamines, avant qu’elles aient commencé à se développer ; ou pourvû que l’on tienne les plantes femelles dans des endroits où la poussiere des étamines ne puisse avoir aucun accès.

Je sai qu’on peut objecter ce que dit M. de Tournefort dans la préface de ses institutions botaniques, qu’il a vû un pié femelle de houblon produire des graines dans le jardin du roi, où il n’y avoit point de pié mâle, ni même dans le voisinage, ensorte que les poussieres ne pouvoient être apportées par le vent, que des îles qui sont vers Charenton, où se trouvoient les piés à fleurs les plus proches. Je ne contesterai point l’éloignement, mais je répondrai que quel que soit cet éloignement, il ne nuit en rien, pourvû que le vent puisse apporter les poussieres ; or cela n’est pas impossible. Nous en avons un bel exemple allégué par Jovianus Pontanus, précepteur d’Alphonse, roi de Naples : il raconte que l’on vit de son tems deux palmiers, l’un mâle cultivé à Brindes, & l’autre femelle élevé dans les bois d’Otrante ; que ce dernier fut plusieurs années sans porter du fruit, jusqu’à ce qu’enfin s’étant élevé au-dessus des autres arbres de la forêt, il pût appercevoir, dit le poëte, le palmier mâle de Brindes, quoiqu’il en fût éloigné de plus de quinze lieues, car alors il commença à porter des fruits en abondance, & de fort bons ; si donc il ne commença qu’alors à porter des fruits, c’est vraissemblablement parce qu’il commença seulement