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sont d’empêcher les bestiaux d’entrer dans le chemin couvert, & de faire obstacle à ceux qui voudroient insulter les chemins couverts avant l’ouverture des tranchées ; les mauvaises sont, 1°. de servir de mantelet à l’ennemi, & de lui rompre la plus grande partie du feu de la place, quand il est appuyé contre ; 2°. d’être aisée à couper, parce qu’elle se peut aborder de plain pié ; 3°. de ne pouvoir remplacer les rompues dans une attaque sans se mettre à découvert ; 4°. d’être fort sujets aux éclats de canon quand l’ennemi vient attaquer le chemin couvert, il en fait rompre ce qu’il lui plaît par ses batteries, pour lui faire des ouvertures sans que les assiégés y puissent remédier ; c’est pourquoi on ne s’en sert plus ».

M. Blondel les avoit condamnés avant M. de Vauban, parce que, dit-il, il est facile d’en rompre avec le canon, telle quantité que l’on veut, & d’en garder ce qu’on juge à propos pour s’en servir à appuyer les fascines & autres matieres que l’on porte pour se couvrir. Les Espagnols les plantoient autrefois de cette maniere, selon que leur reproche M. Goulon : voici ce qu’il dit dans ses Mémoires pour l’attaque & pour la défense.

« De la maniere que les Espagnols mettent leurs palissades, qui étant sur le parapet du chemin couvert, ôtent la moitié du feu de la place, & donnent aux travailleurs la faculté de faire le logement ; quoique naturellement bêtes, les soldats ne savent ce qu’ils font ni où on les mene ; mais dans cette rencontre n’étant question que d’aller en avant, ils marchent avec les ingénieurs & après leurs officiers, jusqu’à ce que la palissade leur donne contre la tête ou contre l’estomac, les oblige à laisser tomber la fascine à leurs piés, ce qui trace le logement, lequel se perfectionne sans peine par le savoir faire des ingénieurs.

» La deuxieme, est celle où l’on les plante en dedans le chemin couvert, & joignant le parapet contre lequel elles sont appuyées, & le surmontent de trois piés & demi. Les bonnes qualités de cette deuxieme espece de palissades, sont de pouvoir remplir les rompues à couvert, & d’empêcher les bestiaux & l’insulte prématurée du chemin couvert, comme à la précédente ; du surplus, elle en a tous les autres défauts, c’est pourquoi on ne s’en sert point présentement.

» La troisieme, est celles qui sont plantées sur les banquettes, près du bas du parapet, à la distance d’un pié & demi de haut, à mesurer de l’intérieur du linteau au sommet dudit parapet, la pointe surmontant d’un pié ; les bonnes qualités de cette troisieme espece sont, 1°. de ne pouvoir être coupée ; 2°. de ne pouvoir être enlevée que très-difficilement & avec grand péril ; 3°. de ne pouvoir être presque point endommagée du canon, parce que ne pouvant en toucher que les pointes, il n’y fait pas grand éclat, ne déplace jamais les corps des palissades, & ne plonge que très-rarement jusqu’au linteau ; 4°. de pouvoir remplacer & ôter en sureté celles qui viennent à manquer, parce que l’on peut le faire à couvert ; 5°. de ne faire nul embarras dans le chemin couvert, étant jointe au parapet, à qui elle fait même un bel ornement. Elle a pour défaut, 1°. l’arrangement des sacs à terre, qu’on ne sauroit placer qu’en se mettant à découvert, ou en les soutenant avec des especes de chevalets par-derriere ; l’un est difficile & embarrassant & l’autre trop dangereux ; 2°. supposant les sacs à terre arrangés sur le haut du parapet, on ne peut tirer que directement devant soi, parce que l’entre-deux des palissades & les creneaux de sacs à terre ne permettent pas le biaisement du mousquet à droite ou à gauche ; 3°. on lui reproche encore

que les barrieres, qui obligent à défiler les gens commandés pour sortir, les font trop découvrir, & empêchent que les sorties ne soient d’un si grand effet, ce qui n’exclut pas cependant les barrieres, puisqu’il est nécessaire d’en avoir, non-seulement pour les entrées & les sorties de la cavalerie, mais encore pour l’infanterie ; ainsi ce défaut ne peut être considéré que comme un défaut mêlé de bonnes qualités : cette maniere de planter les palissades est en usage dans toutes nos places.

» La quatrieme maniere est nouvelle, & n’a été pratiquée que dans trois ou quatre sieges, où l’on prétend s’en être bien trouvé. On plante la palissade à quatre piés & demi ou cinq piés près du parapet, dont elle égale la hauteur ; on la coupe par les barrieres & des petits passages de trois piés & demi d’ouverture, de dix toises en dix toises. Cette espece de palissade a pour bonnes qualités, 1°. d’être encore moins sujette aux éclats du canon que la précédente, parce qu’il ne la voit point du tout ; 2°. de ne pouvoir être sautée ni coupée lorsque les assiégés la défendront de pié ferme, car autrement elle seroit plus aisée à couper que la précédente, parce que l’ennemi en se jettant entre la palissade & le parapet, peut y être à demi-couvert par la palissade même ; 3°. la facilité de remplacer les parties rompues à couvert ; 4°. la commodité de l’arrangement des sacs à terre qui se fait aussi à couvert ; 5°. celles des sorties à l’improviste qui peuvent passer par-dessus le parapet & y rentrer de même en s’y jettant ; 6°. le moyen de pouvoir mieux défendre le chemin couvert de pié ferme en se tenant collé contre le derriere de la palissade ; celui-ci est très-hasardeux & peu pratiquable. Ses défauts sont, 1°. d’être fort plongé de front & par les côtés du feu de l’ennemi quand il gagne le haut du parapet ; 2°. d’exposer les gens qui défendent le chemin couvert de pié ferme au feu hasardé du rampart & des demi-lunes qui les protegent ; donc les parapets étant fort en desordre dans le tems des attaques, il est presque impossible que ceux de la place n’en échappent beaucoup sur les leurs quand elle se fait de jour, & à plus forte raison quand elle se fait de nuit, ce qui joint à la quantité de grenades qui tombent là de la part des assiégeans, rendent cette défense extraordinairement dangereuse pendant le jour, & absolument insoutenable pendant la nuit ; 3°. elle expose beaucoup les soldats qui sont entre le parapet & la palissade, tant à l’éclat des grenades qu’au péril de ne pouvoir se retirer à tems, quand l’ennemi sort de ses places d’armes pour l’attaquer ; 4°. les bords du parapet sont en peu de tems étrangement ébranlés par les sorties & la rentrée des troupes qui s’y précipitent plûtôt qu’ils ne s’y jettent ; ce défaut est médiocre & facile à réparer ».

M. de Vauban dit avoir vû une autre espece de palissade la campagne d’Hollande, au chemin couvert de Nimegue, sur le haut du parapet : « ce n’étoit, dit-il, que des piés d’arbres branchus, plantés par la tige avec les principales branches, aiguisées comme elles se trouvoient, de trois ou quatre piés de long, recroisés & embarrassés l’une dans l’autre ; elle a cela de commun avec celle des lignes d’alesia. Elle seroit plus propre à de semblables retranchemens qu’à border un chemin couvert ; elle a tous les défauts de la premiere & seconde espece, c’est pourquoi elle ne mérite pas de tenir place ici.

» Il y a des ingénieurs qui doublent les palissades des places d’armes sur les angles rentrans suivant la méthode des troisiemes & quatriemes especes, pour les pouvoir défendre de pié ferme : on prétend s’en être bien trouvé à Grave, Mayence, & en dernier lieu à Keisevert.