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lité & les autres passions fougueuses, & sur-tout par la chaleur considérable de la peau qu’on remarque en eux. L’expérience montre d’ailleurs que la chaleur du sang est propre à former beaucoup de bile, puisqu’on voit jaunir le lait parmi les blanches quand une nourrice a la fievre. Enfin ne pourroit-on pas regarder en quelque façon la couleur des negres comme un ictere noir naturel.

1°. Par ce que nous venons de dire, on voit que l’humeur qui forme la couleur des negres, semble être la même que la bile : peut-être que celle qui se filtre dans le foie ne differe que du plus ou du moins ; 2°. qu’il est plus que probable que la bile se sépare non-seulement dans le foie des negres, mais encore dans des vaisseaux presque imperceptibles de l’épiderme, où dégagée des parties rouges du sang, elle doit reprendre sans doute sa premiere forme, & se montrer par conséquent dans sa noirceur naturelle ; 3°. que les parties grossieres de cette bile, par leur séjour dans le tissu de l’épiderme, doivent leur donner une couleur noire ; tandis que les parties les plus tenues, pour une décharge particuliere du sang, s’exhalent en-dehors par les pores de la peau comme une espece de vapeur nullement noire, & sans presque pas d’amertume, s’amassent insensiblement sur l’épiderme, s’y épaississent, & y répandent une odeur désagréable. Il arrive quelque chose tout-à-fait semblable, lorsqu’après avoir fait un peu chauffer la bile d’un negre, dans un petit vaisseau couvert de parchemin percé de plusieurs petits trous, on remarque les parois du vaisseau teintes en noir, dans le tems que l’on voit sortir à-travers les petits trous du couvercle, une espece de fumée qui se condense en des gouttes sensibles (lorsqu’on adapte un couvercle au gobelet en maniere de cône, qui n’ont aucunement ni la couleur ni le goût de la bile.

Tells sont les principales preuves sur lesquelles M. Barrere se fonde pour placer dans la bile le principe de la couleur des negres. On sera peut-être bien-aise de trouver ici les difficultés auxquelles ce sentiment est exposé. Elles sont prises des observations suivantes : 1°. Les corps des negres qui ont péri dans l’eau prennent, dit-on, une couleur blanche ; on ne peut les distinguer des blancs que par les cheveux. 2°. La petite vérole est blanche dans les negres, & cette blancheur a souvent trompé les Médecins. 3°. Les negres vomissent de la bile qui est jaune, c’est un fait constant. 4°. Les negres sont sujets à l’ictere, & la conjonctive devient jaune de même que les parties internes. 3°. La bile noirâtre qu’on trouve dans la vésicule des hommes blancs, paroît presque toujours jaune dès qu’elle est étendue. 6°. Quand on distille la bile des hommes blancs, elle passe par diverses couleurs, & enfin elle laisse un fond noir qui donne aux vaisseaux qui le contiennent une couleur noirâtre. La bile des negres peut donc paroître noirâtre, quand elle est amassée, & elle peut être jaune quand elle est étendue ; ou bien la noirceur de cette bile, dans les cadavres des negres, peut avoir pris cette couleur dans les maladies & par divers accidens. 7°. Les entrailles des negres & leur peau ont la même couleur que dans les hommes qui sont blancs. 8°. Enfin, il y a des maladies qui noircissent la bile, sans qu’il en paroisse aucune trace sur le corps. Dans les hommes qui sont morts de la rage, on trouve la bile entierement noire, tandis que la surface de la peau est parfaitement blanche. De tous ces faits on conclut que la couleur des negres ne sauroit être attribuée à la bile. Cette liqueur est jaune dans les negres ; elle ne donne aucune teinture aux parties externes dans l’état naturel ; elle

jaunit les yeux dès qu’elle se répand par le corps ; elle teindroit en noire les parties internes si elle étoit véritablement noire, & si elle étoit portée dans ces parties. Ajoutez que les urines prendroient la même teinture dont les vaisseaux du corps muqueux sont remplis.

Les vaisseaux du corps muqueux, suivant les observations de Malpighy, la peau & la cuticule des negres sont blancs, la noirceur ne vient que du corps muqueux ou du corps réticulaire qui est entre l’épiderme & la peau. Les injections de Ruisch ont confirmé en partie cette découverte, & l’ont mise dans un plus grand jour. La surpeau n’est pas blanche dans les negres, selon cet anatomiste, elle n’a que la blancheur de la corne, qui a toujours un mélange noir. Ruisch envoya à Heister une portion de la peau d’un negre. Elle étoit parfaitement blanche ; mais la surface externe de l’épiderme étoit noirâtre, & la face interne étoit couverte d’une teinture noire & foncée. Sanctorini, dans ses Remarques anatomiques, nous a donné des observations qui établissent la cause de la couleur des negres dans le corps muqueux. Ces recherches prouvent que, lorsqu’on enleve l’épiderme, il reste une portion du corps muqueux sur la peau ou le tissu vasculeux, d’une couleur extrémement noire ; qu’il communique sa teinture aux doigts auxquels il s’attache souvent lorsqu’on enleve l’épiderme ; que par conséquent il y a un réservoir particulier de cette teinture entre l’épiderme & la peau. Le corps muqueux, tissu presqu’inconnu, paroît fort inégal en diverses parties du corps. Il est étroitement attaché à l’épiderme ; on ne sauroit l’en séparer entierement ; c’est pour cela que la couleur noirâtre ne peut s’effacer dans la surpeau, & qu’elle est plus foncée dans la surface interne de ce tégument. Les vaisseaux du corps réticulaire sont pleins d’une liqueur noirâtre. On demande où elle se forme. Sanctorini n’a pas cru qu’on pût décider sur la source de cette matiere qui teint le corps réticulaire des negres ; mais il a soupçonné que le foie pouvoit fournir la teinture de la peau dans cette espece d’hommes. La couleur rouge du foie d’un poisson, diverses sortes d’icteres auxquels les hommes sont sujets, & la noirceur qu’on trouve quelquefois dans la bile de la vésicule du fiel, l’avoient conduit à cette conjecture. D’ailleurs on trouve des sources d’une liqueur noire dans quelques parties du corps. Entre les bronches il y a des glandes qui versent une liqueur noire dans le fœtus ; sur les yeux des animaux l’on a remarqué des glandes noires d’où découle sans doute le suc qui noircit la coroïde. Il peut donc se filtrer des sucs noirs dans diverses parties du corps : il y a même des fluides qui, en perdant leur couleur naturelle, passent par diverses gradations. La bile devient noirâtre dans la vésicule du fiel ; l’urine elle-même prend cette couleur dans diverses maladies. Il me paroît résulter des deux opinions que j’ai exposées dans cette note & dans la précédente, que le problême physique est encore fort indécis.

Pourquoi les negres ont les cheveux crêpés ? Écoutons encore M. Barrere sur ces questions. Il est déja avoué dans le monde savant, & c’est l’opinion généralement reçue, que dans le germe du corps des animaux se trouvent comme concentrées toutes les parties qui les composent avec leur couleur & leur figure déterminée ; que ces parties se développent, s’étendent & s’épanouissent dès qu’elles sont mises en jeu & pénétrées par un fluide très fin & spiritueux, c’est-à-dire par la semence du mâle ; que cette liqueur séminale imprime son caractere à ce point de matiere qui concentre toutes ces parties dans leur germe. Suivant ces princi-