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1°. Dans tout traité de paix, s’il n’y a point de clause au contraire, on présume que l’on se tient réciproquement quittes de tous les dommages causés par la guerre ; ainsi les clauses d’amnistie générale ne sont que pour une plus grande précaution.

2°. Mais les dettes des particuliers à particuliers déja contractées avant la guerre, & dont on n’avoit pas pu pendant la guerre exiger le payement, ne sont point censées éteintes par le traité de paix.

3°. Les choses mêmes que l’on ignore avoir été commises, soit qu’elles l’ayent été avant ou pendant la guerre, sont censées comprises dans les termes généraux, par lesquelles on tient quitte l’ennemi de tout le mal qu’il nous a fait.

4°. Il faut rendre tout ce qui peut avoir été pris depuis la paix conclue, cela n’a point de difficulté.

5°. Si dans un traité de paix on fixe un certain terme pour l’accomplissement des conditions dont on est convenu, ce terme doit s’entendre à la derniere rigueur ; ensorte que lorsqu’il est expiré, le moindre retardement n’est pas excusable, à moins qu’il ne provînt d’une force majeure, ou qu’il ne paroisse manifestement que ce délai ne vient d’aucune mauvaise intention.

6°. Enfin il faut remarquer que tout traité de paix est par lui-même perpétuel, & pour parler ainsi, éternel de sa nature, c’est-à-dire, que l’on est censé de part & d’autre être convenu de ne prendre jamais plus les armes au sujet des démêlés qui avoient allumé la guerre, & de les tenir désormais pour entiérement terminés.

Je crois, (c’est M. de Montesquieu qui me fournit cette derniere observation.) « Je crois, dit-il, que le plus beau traité de paix dont l’histoire ait parlé, est celui que Gélon, roi de Syracuse, fit avec les Carthaginois. Il voulut qu’ils abolissent la coutume d’immoler leurs enfans. Chose admirable ! Après avoir défait trois cent mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n’étoit utile qu’à eux », ou plutôt il stipuloit pour le genre humain. (D. J.)

Paix religieuse, (Hist. mod. Politiq.) pax religiosa ; c’est ainsi qu’on nomme en Allemagne une convention ou traité conclu en 1555, entre l’empereur Charles-Quint & les princes & états Protestans, par lequel l’exercice de la religion Luthérienne ou confession d’Ausbourg étoit permis dans tout l’Empire. Les princes Protestans demeuroient en possession des biens ecclésiastiques dont ils s’étoient emparés, sans cependant pouvoir s’en approprier de nouveaux ; tous les Protestans étoient soustraits à la jurisdiction du pape. Cet acte est encore regardé comme faisant une des loix fondamentales de l’empire d’Allemagne. En 1629 l’empereur Ferdinand II. poussé par un zele aveugle, ou peut-être par l’envie d’exercer un pouvoir absolu dans l’Empire, sans avoir égard à la paix religieuse, publia un édit, par lequel il ordonnoit aux Protestans de l’Empire, de restituer aux ecclésiastiques catholiques les biens qui leur avoient été enlevés durant les troubles précédens. Les princes protestans, comme il étoit facile de le prévoir, ne voulurent point se soumettre à une loi qui leur paroissoit si dure, ce qui donna lieu à une guerre civile qui désola toute l’Allemagne pendant 30 ans, & qui ne fut terminée que par la paix de Westphalie en 1648.

Paix, (Critiq. sacrée.) ce mot a dans l’Ecriture une signification fort étendue, & toujours favorable. Il se prend pour alliance, amitié, concorde, bonheur, prospérité. La justice & la paix sont étroitement liées ensemble, dit David, Ps. lxxxiv. 11.

en parlant d’un heureux gouvernement. L’Evangile de paix, Eph. ii. 17. c’est l’Evangile de J. C. Etre enséveli en paix, c’est mourir dans la sécurité d’une bonne conscience. On lit dans les Juges vj. 23. ces paroles, que la paix soit avec vous, ne craignez point, vous ne mourrez point ; c’est que c’étoit une opinion commune chez les Juifs, que quiconque avoit vu un ange, devoit s’attendre à mourir bientôt.

Ce qui est ferme & stable, est encore appellé du nom de paix ; do ei pacem fœderis, Nomb. xxv. 12. c’est-à-dire, je lui fais une promesse irrévocable. Enfin la pain dans l’Evangile, signifie le bonheur à venir que J. C. le prince de la paix, promet à tous les fideles. (D. J.)

Paix, le baiser de, (Hist. eccles.) Le baiser de paix se donnoit dans la liturgie gallicane après la lecture des diptyques, & de la priere qu’on nommoit la collecte. Ce baiser ou cette action de s’embrasser & de se baiser alors, s’appelle aussi paix. L’archidiacre donnoit la paix au premier évêque qui la donnoit au suivant, & ainsi successivement par ordre. Le peuple en faisoit de même, les hommes & les femmes séparément. L’eglise Romaine ne donnoit la paix qu’après la consécration. Le pape Innocent I. reprend ceux qui donnoient la paix auparavant.

Paix, (Mythol. & Littérat.) Les Grecs & les Romains honoroient la paix comme une grande déesse. Les Athéniens lui dresserent des statues sous le nom d’εἰρήνη ; mais elle fut encore plus célébrée chez les Romains qui lui érigerent dans la rue sacrée le plus grand & le plus magnifique temple qui fut dans Rome. Ce temple dont les ruines, & même une partie des voûtes restent encore sur pié, fut commencé par Agrippine, & depuis achevé par Vespasien. Josephe dit que les empereurs Vespasien & Titus y déposerent les riches dépouilles qu’ils avoient enlevées au temple de Jerusalem.

C’étoit dans le temple de la paix que s’assembloient ceux qui professoient les beaux Arts, pour y discuter leurs prérogatives, afin qu’en présence de la divinité, toute aigreur fût bannie de leurs disputes. Ce temple fut ruiné par un incendie sous le regne de l’empereur Commode.

Baronius a raison, de soutenir qu’il n’y a jamais eu à Rome d’autre temple de la paix, & que ce que quelques modernes débitent de celui qui vint à tomber à la naissance de Jesus-Christ, est une pure fable. Il est vrai cependant que cette déesse eut à Rome, avant Vespasien, des autels, un culte & des statues. Ovide dit au I. livre des fastes :

Ipsum nos carmen deduxit pacis ad aram,
Frondibus Actiacis comtos redimita capillos
Pax ades, & toto mitis in orbe mane.

Nous voyons là un autel de la paix ; voici des statues de cette déesse. Dion nous apprend que le peuple Romain ayant fourni une somme d’argent considérable pour ériger une statue en l’honneur d’Auguste, ce prince aima mieux employer cette somme à faire élever des statues au salut du public, à la concorde & à la paix.

La légende pax Augusti, est fréquente sur les médailles de Galba. A la mort de Néron, diverses parties de l’empire s’ébranlerent : Nymphidius Sabinus à Rome, Fonteius Capito en Germanie, Clodius Macer en Afrique, étoient sur le point de causer de grands troubles qui furent prévenus par la mort des rebelles ; ces heureux commencemens donnerent occasion de représenter la paix, brûlant d’une main les instrumens de la guerre, & portant de l’autre les fruits de la tranquillité. (D. J.)