Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus constante sur la couleur des habitans de la terre, c’est que toute cette large bande qui ceint le globe d’orient en occident, qu’on appelle la zone torride, n’est habitée que par des peuples noirs, ou fort basanés : malgré les interruptions que la mer y cause, qu’on la suive à-travers l’Afrique, l’Asie & l’Amérique ; soit dans les îles, soit dans les continens, on n’y trouve que des nations noires ; car ces hommes nocturnes dont nous venons de parler, & quelques blancs qui naissent quelquefois, ne méritent pas qu’on fasse ici d’exception.

En s’éloignant de l’équateur, la couleur des peuples s’éclaircit par nuances ; elle est encore fort brune au-delà du Tropique, & l’on ne la trouve tout-à-fait blanche que lorsque l’on avance dans la zone tempérée. C’est aux extrémités de cette zone qu’on trouve les peuples les plus blancs. La danoise aux cheveux blonds éblouit par sa blancheur le voyageur étonné : il ne sauroit croire que l’objet qu’il voit & l’Afriquaine qu’il vient de voir soient deux femmes.

Plus loin encore vers le nord & jusque dans la zone glacée, dans ce pays que le soleil ne daigne pas éclairer en hiver, où la terre plus dure que le soc ne porte aucune des productions des autres pays ; dans ces affreux climats, on trouve des teints de lis & de roses. Riches contrées du midi, terres du Pérou & du Potosi, formez l’or dans vos mines, je n’irai point l’en tirer ; Golconde, filtrez le suc précieux qui forme les diamans & les rubis, ils n’embelliront point vos femmes, & sont inutiles aux nôtres. Qu’ils ne servent qu’à marquer tous les ans le poids & la valeur d’un monarque imbecille, qui, pendant qu’il est dans cette ridicule balance, perd ses états & sa liberté.

Mais dans ces contrées extrèmes où tout est blanc & où tout est noir, n’y a-t-il pas trop d’uniformité, & le mélange ne produiroit-il pas des beautés nouvelles ? C’est sur les bords de la Seine qu’on trouve cette heureuse variété dans les jardins du Louvre ; un beau jour de l’été, vous verrez tout ce que la terre peut produire de merveilles.

Tous ces peuples que nous venons de parcourir, tant d’hommes divers sont-ils sortis d’une même mere ? Il ne nous est pas permis d’en douter.

Ce qui nous reste à examiner, c’est comment d’un seul individu il a pu naître tant d’especes si différentes ? Je vais hasarder sur cela quelques conjectures.

Si les hommes ont été d’abord tous formés d’œuf en œuf, il y auroit eu dans la premiere mere des œufs de différentes couleurs qui contenoient des suites innombrables d’œufs de la même espece, mais qui ne devoient éclore que dans leur ordre de développement après un certain nombre de générations, & dans les tems que la providence avoit marqué pour l’origine des peuples qui y étoient contenus ; il ne seroit pas impossible qu’un jour la suite des œufs blancs qui peuplent nos régions venant à manquer, toutes les nations européennes changeassent de couleur ; comme il ne seroit pas impossible aussi que la source des œufs noirs étant épuisée, l’Ethiopie n’eût plus que des habitans blancs. C’est ainsi que dans une carriere profonde, lorsque la veine de marbre blanc est épuisée, l’on ne trouve plus que des pierres de différentes couleurs qui se succedent les unes aux autres. C’est ainsi que des races nouvelles d’hommes peuvent paroître sur la terre, & que les anciennes peuvent s’éteindre.

Si l’on admettoit le système des vers, si tous les hommes avoient d’abord été contenus dans ces animaux qui nageoient dans la semence du premier homme, on diroit des vers ce que nous venons de dire des œufs : le ver, pere des negres, contenoit de

vers en vers tous les habitans d’Ethiopie ; le ver Darien, le ver Hottentot & le ver Patagon avec tous leurs descendans étoient déja tous formés, & devoient peupler un jour les parties de la terre où l’on trouve ces peuples. Venus Physique.

D’autres physiciens ont recherché avec beaucoup de soin la cause de la noirceur des negres ; les principales conjectures qu’ils ont formées sur ce sujet se réduisent à deux, dont l’une attribue la cause de la noirceur à la bile, & l’autre à l’humeur renfermée dans les vaisseaux dont le corps muqueux est rempli. Voyez Corps muqueux.

Malpighi, Ruisch, Litre, Sanctorini, Heister & Albinus ont fait des recherches curieuses sur la peau des negres.

Le premier sentiment sur la noirceur des negres est appuyé de toutes ces preuves dans un ouvrage intitulé, Dissertation sur la cause physique de la couleur des negres, &c. par M. Barrere. Paris 1741, in-12. Voici comment il déduit son hypothese.

Si après une longue macération de la peau d’un negre dans l’eau, on en détache l’épiderme ou surpeau, & que l’on l’examine attentivement, on le trouve noir, très-mince, & il paroît transparent quand on le regarde à-travers le jour. C’est ainsi que je l’ai vû en Amérique, & que l’a remarqué aussi un des plus savans anatomistes de nos jours, M. Winslou… On trouve par la dissection du cuir, proprement dit, ou la peau avec tout l’appareil, comme les mamelons cutanés & le corps réticulaire d’un rouge noirâtre. Il est donc évidemment démontré que la couleur des negres n’est pas, pour ainsi dire, une couleur d’emprunt, & par conséquent la couleur apparente de l’épiderme n’est pas en eux celles du corps muqueux, selon le langage de quelques-uns, ou du corps réticulaire, ainsi qu’on l’avoit cru jusqu’ici, c’est donc de son propre tissu que l’épiderme ou la surpeau dans les negres tient immédiatement de la couleur noire. Disons de plus que l’épiderme dans les negres étant naturellement d’un noir transparent, sa couleur doit devenir encore plus foncée par la peau qui est placée au-dessous, qui est d’un rouge brun approchant du noir. Mais l’épiderme des mores, comme celui des blancs, étant un tissu de vaisseaux, ils doivent nécessairement renfermer un suc, dont l’examen appartient à la question présente. On peut dire avec quelque fondement que ce suc est analogue à la bile, & l’observation paroît appuyer ce sentiment ; 1° j’ai remarqué dans les cadavres des negres que j’ai eu occasion de disséquer à Cayenne, la bile toujours noire comme de l’encre ; 2° qu’elle étoit le plus ou moins noire à proportion de la couleur des negres ; 3° que leur sang étoit d’un rouge noirâtre, selon le plus ou moins de noirceur du teint des negres ; 4° il est certain que la bile rentre avec le chyle dans le sang, qu’elle roule avec lui dans toutes les parties du corps, qu’elle se filtre dans le foie, & que plusieurs de ses parties s’échappent à-travers les reins, & les autres parties du corps. Pourquoi donc ne se peut-il pas faire aussi que cette même bile dans les negres se sépare dans le tissu de l’épiderme ? Or l’expérience prouve que la bile se sépare en effet dans l’épiderme des negres dans les petits tuyaux particuliers, puisque si l’on applique le bout du doigt sur la surface de la peau d’un negre, il s’y attache une humeur grasse, onctueuse & comme savonneuse, d’une odeur désagréable, qui donne sans doute ce luisant & cette douceur que l’on remarque à la peau ; que si l’on frotte cette même surpeau avec un linge blanc, elle le salit d’une couleur brune ; toutes qualités affectées à la bile des negres..... On juge que la bile est naturellement abondante dans le sang des negres par la force & la célérité du pouls, par l’extrème subti-