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qu’aux seuls pairs de France d’être jugés des pairs leurs pareils. Il prouva en plein parlement, par le témoignage d’un chancelier, & d’un premier & second président au même parlement, que le feu roi avoit reconnu ce privilege ; & l’affaire mise en délibération, il lui en fut décerné acte, & ordonné qu’il en seroit fait registre.

Le premier Décembre 1373, l’évêque de Laon requit d’être renvoyé en parlement, selon le privilege de sa pairie ; ce privilege fut reconnu par l’évêque de Langres le 19 Novembre 1484.

Ce privilege est d’ailleurs confirmé par l’ordonnance du mois de Décembre 1365 ; par celle de 1366 ; celle du mois d’Avril 1453, art. 6. & encore plus récemment par l’édit du mois de Septembre 1610, art. 7. où en parlant des pairs, il est dit que c’est de leur nature & droit que les causes dans lesquelles leur état est intéressé doivent y être introduites & traitées.

Convocation des Pairs. Quoique les pairs aient droit de venir prendre leur place au parlement lorsqu’ils le jugent à propos, néanmoins comme ils y sont moins assidus que les magistrats, il arrive de tems en tems qu’on les convoque, soit pour juger un pair, soit pour quelqu’autre affaire qui intéresse l’honneur & la dignité de la pairie, ou autre affaire majeure pour laquelle il paroît à propos de réunir le suffrage de tous les membres de la compagnie.

L’usage de convoquer les pairs est fort ancien, puisqu’ils furent convoqués dès l’an 1202 contre Jean sans Terre, roi d’Angleterre, duc de Normandie & de Guyenne.

Ils furent aussi convoqués à Melun en 1216 sous Philippe Auguste, pour décider le différend au sujet du comte de Champagne, entre le jeune Thibaut & Erard de Brienne ; les pairs étoient dèslors distingués des autres barons.

Dans le xiv. siecle, ils furent convoqués deux fois pour le procès du duc d’Alençon : en 1378, pour le duc de Bretagne, quoique la pairie lui fût contestée : en 1386, pour faire le procès au roi de Navarre sous Charles VII : en 1458, pour le procès du duc d’Alençon.

On peut voir dans le pere Anselme plusieurs exemples de ces convocations ou semonces des pairs faites en divers tems, selon que les occasions se sont présentées.

Une des dernieres est celle qui fut faite en 1727 pour le procès du duc de la Force.

Cette convocation des pairs ne se fait plus en matiere civile, même pour leur pairie ; mais elle se fait toujours pour leurs affaires criminelles.

Jusqu’au procès du maréchal de Biron, sous Henri IV. les rois ont assisté au jugement des procès criminels des pairs ; c’est pourquoi il est encore d’usage d’inviter le roi de venir prendre place au parlement lorsque l’on convoque les pairs.

Le cérémonial que l’on observe pour convoquer ou semoncer les pairs, est que pour inviter les princes du sang, lesquels sont pairs nés, on envoie un des greffiers de la grand’chambre, qui parle au prince ou à quelque officier principal de sa maison, sans laisser de billet ; à l’égard des autres pairs, le greffier y va la premiere fois, & s’il ne les trouve pas chez eux, il laisse un billet qui contient la semonce ; quand l’affaire dure plusieurs séances, c’est un autre que le greffier qui porte les billets aux pairs. C’est ainsi que l’on en usa dans l’affaire du duc de la Force ; les pairs furent priés de trouver bon qu’on ne fît que leur envoyer les billets, parce que les greffiers ne pouvoient suffire à tant de courses, sur-tout lorsque les affaires pressoient, ce qui fut agréé par les pairs.

Il y a des occasions, où sans convocation judiciaire, tous les pairs se réunissent avec les autres membres du parlement, comme ils firent le lende-

main de la mort de Louis XIV. pour statuer sur le

testament de ce prince & sur l’administration du royaume. Lett. hist. sur le parlement.

Ajournement des pairs. C’étoit autrefois un privilege des pairs de ne pouvoir être ajournés que par deux autres pairs, ce que l’on appelloit faire un ajournement en pairie. On tient que cette maniere d’ajourner étoit originairement commune à tous les Francs, qu’elle se conserva ensuite pour les personnes de distinction ; elle subsistoit encore au xiij. siecle en Normandie pour les nobles & pour les évêques

A l’égard des pairs, cela fut pratiqué diversement en plusieurs occasions.

Sous le roi Robert, par exemple, le comte de Chartres fut cité par celui de Normandie.

Sous Louis le Jeune en 1153, les derniers ajournemens furent faits au duc de Bourgogne per nuntium ; mais il n’est pas dit qu’elle étoit la qualité de ce député.

Lors du différend que Blanche, comtesse de Champagne, & Thibaut son fils, eurent avec Erard de Brienne & Philippe sa femme, au sujet du comté de Champagne, la comtesse Blanche fut ajournée par le duc de Bourgogne & par deux chevaliers.

Dans un arrêt donné en 1224 contre la comtesse de Flandres, il est dit que c’étoit un privilege des pairs de ne pouvoir être ajourné que par deux chevaliers.

Ducange dit qu’en 1258 on jugea nécessaire un certain cérémonial, pour assigner un évêque, baron du royaume, quand il s’agissoit de sa baronnie.

Philippe le Bel fit en 1292 ajourner Edouard I. roi d’Angleterre, à la cour des pairs, par les évêques de Beauvais & de Noyon, tous deux pairs de France.

Ce même Edouard ayant été ajourné en 1295, comme duc de Guyenne, pour assister en personne au procès d’entre Robert, duc de Bourgogne, & Robert, comte de Nevers, touchant le duché de Bourgogne, la publication de l’ajournement fut faite par le sénéchal de Périgord & par deux chevaliers.

Robert d’Artois fut ajourné en 1331 par des chevaliers & conseillers ; cependant l’ordonnance de Philippe VI. du mois de Décembre 1344, porte que quand un pair en ajournoit un autre, c’étoit par deux pairs, comme cela s’étoit déja pratiqué ; mais il paroît aussi qu’au lieu de pairs, on commettoit souvent des chevaliers & conseillers pour ajourner.

En effet, le prince de Galles fut ajourné en 1368, par un clerc de Droit, moult bien enlangagé, & par un moult noble chevalier.

Dans une cause pour l’évêque de Beauvais, le 23 Mars 1373, il fut dit que, suivant les ordonnances & style de la cour, les pairs avoient le privilege de ne pouvoir être ajournés que par deux pairs de lettres ; on entendoit apparemment par-là deux chevaliers en lois.

Ces formalités que l’on observoit pour ajourner un pair, avoient lieu même dans les affaires civiles des pairs ; mais peu-à-peu elles ne furent pratiquées que pour les causes criminelles des pairs ; encore pour ces causes criminelles les ajournemens en pairie ont paru si peu nécessaires, que sous Louis XI. en 1470, le duc de Bourgogne accusé de crime d’état, fut assigné en la cour des pairs par un simple huissier du parlement, d’où est venu le proverbe que sergent du roi est pair à comte ; c’est-à-dire qu’un sergent royal peut ajourner un pair de même que l’auroit fait un comte-pair.

Les pairs sont ajournés en vertu de lettres-patentes, lesquelles sont publiées par cri public : lorsqu’ils font défaut sur le premier ajournement, ils sont réassignés en vertu d’autres lettres ; l’ajournement doit être à long terme, c’est-à-dire que le délai doit être de trois mois, ainsi qu’il est dit dans un traité