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pairs ; ce qui prouve que les pairs n’étoient pas seuls juges de leurs pairs, mais qu’ils étoient jugés par la cour, & conséquemment par tous les membres dont elle étoit composée, & qu’il falloit seulement qu’il y eût un certain nombre de pairs ; en effet, dans un arrêt solemnel rendu en 1224, par le roi en sa cour des pairs en faveur des grands officiers contre les pairs de France, il est dit « que, suivant l’ancien usage & les coutumes observées dès long-tems, les grands officiers de la couronne, savoir les chancelier, bouteillier, chambrier, &c. devoient se trouver au procès qui se feroit contre un des pairs, pour le juger avec les autres pairs, & en conséquence ils assisterent au jugement de la comtesse de Flandres ». Henaut.

Les pairs ont quelquefois prétendu juger seuls leurs pairs, & que le roi ne devoit pas y être présent, surtout lorsqu’il y avoit intérêt pour la confiscation. Ils firent des protestations à ce sujet en 1378 & 1386 ; mais cette prétention n’a jamais été admise : car quant au jugement unique de 1247, où trois pairs paroissent juger seuls, du Tillet remarque que ce fut par convention expresse portée dans le traité du comte de Flandres ; en effet la regle, l’usage constant s’y opposoient.

Il a toujours été pareillement d’usage d’inviter le roi à venir présider au parlement pour les procès des pairs, au moins quand il s’agit d’affaires criminelles, & nos rois y ont toujours assisté jusqu’à celui du maréchal de Biron, auquel Henri IV. ne voulut pas se trouver. Lettres historiques sur le parlement, tome II. On observe encore la même chose présentement, & dans ce cas le dispositif de l’arrêt qui intervient, est conçu en ces termes : la cour suffisamment garnie de pairs ; au lieu que dans d’autres affaires où la présence des pairs n’est pas absolument nécessaire, lorsque l’on fait mention qu’ils ont assisté au jugement, on met seulement dans le dispositif, la cour, les princes & les pairs présens, &c.

L’origine de cette forme qui s’observe pour juger la personne d’un pair, vient de ce qu’avant l’institution des fiefs, il falloit au moins douze échevins dans les grandes causes ; l’inféodation des terres ayant rendu la justice féodale, on conserva le même usage pour le nombre des juges dans les causes majeures ; ainsi comme c’étoient alors les pairs ou barons qui jugeoient ordinairement, il fallut douze pairs pour juger un pair, & la cour n’étoit pas réputée suffisamment garnie de pairs, quand ils n’étoient pas au moins douze.

Lors du différend entre le roi Louis Hutin & Robert, comte de Flandres, les pairs de France assemblés ; savoir, l’archevêque de Reims, Charles, comte de Valois & d’Anjou, & Mahaut, comtesse d’Artois, firent savoir qu’à jour assigné ils tiendroient cour avec douze autres personnes, ou prélats, ou autres grands ou hauts hommes. Voyez du Cange, verbo pares. & M. Bouque, tome I. p. 183.

Robert d’Artois, en présence du roi, de plusieurs prélats, barons & entre suffisans conseillers, dit contre Mahaut, comtesse de Flandres, qu’il n’étoit pas tenu de faire ses demandes, que la cour ne fût suffisamment garnie de pairs ; il fut dit par arrêt qu’elle l’étoit, quod absque vocatione parium Franciæ, quantum ad præsens, curia parlamenti, maxime domino rege ibidem existente cum suis prælatis, baronibus & aliis ejus consiliariis, sufficienter erat munita. Robert d’Artois n’ayant pas voulu procéder, Mahaut obtint congé. Voyez les registres olim.

Mais pour juger un pair il suffit que les autres pairssoient appellés ; quand même ils n’y seroient pas tous, ou même qu’il n’y en auroit aucun qui fût présent, en ce cas les pairs sont représentés par le par-

lement qui est toujours la cour des pairs, soit que les

pairs soient présens ou absens.

Causes des pairs. Anciennement les pairs avoient le droit de ne plaider, s’ils vouloient, qu’au parlement, soit dans les procès qu’ils avoient en leur nom, soit dans ceux où leur procureur fiscal se vouloit adjoindre à eux, se rendre partie, ou prendre l’aveu, garantie & défense : il est fait mention de cette jurisprudence dans les ordonnances du Louvre, tom. VII. p. 30.

Ce privilege avoit lieu tant en matiere civile que criminelle ; on en trouve des exemples dès le tems de la seconde race : les plus mémorables sont le jugement rendu par la cour des pairs contre Tassillon, roi de Baviere en 788. Le jugement rendu contre un bâtard de Charlemagne en 792. Celui de Bernard, roi d’Italie en 818. Celui de Carloman, auquel on fit le procès en 871, pour cause de rebellion. Celui de Jean sans Terre, roi d’Angleterre, lequel en 1202 fut déclaré criminel de leze-majesté, & sujet à la loi du royaume. Le jugement rendu contre le roi Philippe le Hardi, & Charles, roi des deux Siciles, pour la succession d’Alphonse, comte de Poitiers. Celui qui intervint entre Charles le Bel, & Eudes, duc de Bourgogne, au sujet de l’appanage de Philippe le Long, dont Eudes prétendoit que sa femme, fille de ce roi, devoit hériter en 1316 & en 1328, pour la succession à la couronne, en faveur de Philippe le Long & de Philippe de Valois. Le jugement de Robert d’Artois en 1331. Celui de Charles, roi de Navarre, en 1349. Celui qui intervint entre Charles V. & Philippe, duc d’Orléans.

Jean, duc d’Alençon, fut condamné deux fois à mort par les pairs, pour crime de leze-majesté, savoir le 10 Octobre 1458, & le 14 Juillet 1474 ; l’exécution fut chaque fois remise à la volonté du roi, lequel usa de clémence par respect pour le sang royal.

Il seroit facile d’en rapporter un grand nombre d’autres : on les peut voir dans le recueil du pere Anselme ; mais depuis on y a mis quelques restrictions.

On trouve dans les registres olim, qu’en 1259 l’archevêque de Reims demanda au parlement, où le roi étoit présent, d’être jugé par ses pairs ; ce qui lui fut refusé. Il y a apparence que l’on jugea qu’il ne s’agissoit pas de la dignité de sa pairie, & que dèslors les pairs, même de France, n’avoient plus le droit de plaider au parlement dans toutes sortes de cas ; mais seulement dans les causes qui intéressoient l’honneur & les droits de la pairie.

En matiere civile, les causes des pairs, quant au domaine ou patrimoine de leurs pairies, doivent être portées au parlement, comme il fut dit par le procureur général le 25 Mai 1394, en la cause du duc d’Orléans ; ils y ont toujours plaide pour ces sortes de matieres, lors même qu’ils plaidoient tous en corps, témoin l’arrêt rendu contr’eux en 1224, dont on a déja parlé ci-devant.

A l’égard de leurs causes en matiere criminelle, toutes celles qui peuvent toucher la personne des pairs, comme quand un pair est accusé de quelque cas criminel qui touche ou peut toucher son corps, sa personne, son état, doivent être jugées la cour suffisamment garnie de pairs.

Les pairs ont toujours regardé ce privilege comme un des principaux attributs de la pairie : en effet, au lit de justice du 2 Mars 1386, ils ne réclamerent d’autre droit que celui de juger leurs pairs ; ce qui leur fut octroyé de bouche, & les lettres commandées, mais non expédiées.

Il est dit dans les registres du parlement, que le duc de Bourgogne, comme doyen des pairs, remontra à Charles VI. au sujet du procès criminel qu’on faisoit au roi de Navarre, qu’il n’appartenoit