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On voit un chien crier, on le voit pleurer, pour ainsi dire, à un air joué sur une flûte ; on le voit s’animer à la chasse au son du cors ; on voit le cheval plein de feu par le son de la trompette, malgré les matelats musculeux qui environnent en lui l’organe de l’ouïe : sans le limaçon qu’ont ces animaux, on ne leur verroit pas cette sensibilité à l’harmonie, on les verroit stupides en ce genre, comme les poissons qui manquent de limaçon aussi-bien que les oiseaux, mais qui n’ont pas comme ceux-ci l’avantage d’avoir une tête assez dégagée, assez sonore, pour suppléer à ce défaut.

Dans tous les organes des sens, il arrive que leur objet les pénetre & y porte son impression pour y faire une sensation plus parfaite ; cette même méchanique se trouve encore dans l’organe de l’ouïe. Tout concourt à y faire entrer & à y retenir l’impression des vibrations sonores.

L’entonnoir extérieur ramasse ces vibrations ; le conduit suivant qui se charge de cet air trémoussé, se trouve coupé obliquement dans son fonds par la membrane du tambour ; cette obliquité fait que quand l’air extérieur rebondit de dessus le tympan, il va heurter contre la paroi opposée du conduit, d’où il est encore réfléchi sur le tympan auquel il communique toutes ses vibrations.

Si ce conduit eût été droit, perpendiculaire au tympan, l’air extérieur auroit été réfléchi de dessus ce tympan hors du conduit de l’oreille, & ainsi il auroit eu bien moins d’effet.

De même, l’air intérieur est renfermé dans les grottes par des membranes ; les vibrations qu’il reçoit du dehors enfilent d’une part les embouchures du labyrinthe, & de l’autre celles du limaçon ; les vibrations qui enfilent les embouchures du labyrinthe vont se briser l’une contre l’autre au milieu des canaux demi circulaires, & par-là tout leur effet est comme absorbé dans ces canaux.

Les embouchures du limaçon sont au nombre de deux : une qui communique avec le labyrinthe ou son vestibule, & qui est l’entrée de la rampe interne ; l’autre, qui s’ouvre droit dans la caisse, ou premiere grotte, & qui est l’entrée de la rampe externe. Les vibrations qui suivent ces ouvertures, se cotoyent tout le long de la spirale ; mais parvenues au sommet, au cul-de-sac du limaçon, elles se brisent aussi & contre ce cul-de sac, & l’une contre l’autre ; & par là elles donnent une secousse à tout cet organe, sur-tout à la lame spirale, & plus encore à la portion de cette lame, qui est à l’unisson avec la vibration. Ainsi de toutes parts, les vibrations sonores laissent toute leur impression dans l’intérieur de l’oreille ; portées par diverses collisions aux nerfs qui s’y répandent, elles les ébranlent diversement jusqu’au sensorium commune, & y excitent la sensation des divers sons, soit qu’ils viennent de près ou de loin ; car le sens de l’ouïe, semblable à celui de la vûe, nous donne aussi la sensation des corps sonores éloignés.

Mais ce sens est sujet à bien des erreurs ; & il doit nous tromper, toutes les fois que nous ne pouvons pas rectifier par le toucher les idées qu’il produit. De même que le sens de la vûe ne nous donne aucune idée de la distance des objets, le sens de l’ouïe ne nous donne aucune idée de la distance des corps qui produisent le son. Un grand bruit fort éloigné, & un petit bruit fort voisin, excitent la même sensation ; & à moins qu’on n’ait déterminé la distance par les autres sens, & à force d’habitude, on ne sait point si ce qu’on a entendu est en effet un grand ou un petit bruit.

Toutes les fois qu’on entend un son inconnu, on ne peut donc pas juger par ce son de la distance, non plus que de la quantité d’action du corps qui le produit ; mais dès que nous pouvons rapporter ce son à

une unité connue, c’est-à-dire, dès que nous pouvons savoir que ce bruit est de telle ou telle espece, nous pouvons juger alors à-peu près non-seulement de la distance, mais encore de la quantité d’action. Par exemple, si l’on entend un coup de canon ou le son d’une cloche, comme ces effets sont des bruits qu’on peut comparer avec des bruits de même espece qu’on a autrefois entendus, on pourra juger grossierement de la distance à laquelle on se trouve du canon ou de la cloche, & aussi de leur grosseur, c’est-à-dire, de la quantité d’action. Tel est, autant qu’on peut l’imaginer, le méchanisme de l’ouïe, méchanisme aussi composé que caché à nos yeux. Les instrumens des sens extérieurs sont peu connus, & les moins connus de tous sont les instrumens de l’ouïe.

Les anciens, ignorant la structure de l’oreille, n’ont rien pû nous en apprendre. Vesale qui pénétra plus avant que ses prédécesseurs, a commencé à nous dévoiler cette machine admirable, mais il a laissé beaucoup de recherches à faire ; en général, il croyoit que l’oreille étoit comme un instrument de musique. On ignore quel étoit le sentiment de Columbus, lui-même ne le savoit guere, puisque dans le tems qui lui a fallu pour aller du premier au septieme livre de son anatomie, il a oublié ce qu’il avoit avancé, & s’est contredit formellement. Fallope n’a point rempli la promesse qu’il avoit donnée.

Eustachi a cru que l’air interne agité par les osselets, portant son agitation sur le nerf auditif, formoit l’ouie ; Piccolhomini a eu une opinion singuliere ; il disoit qu’il y avoit une vésicule remplie d’air & attachée à l’étrier ; les nerfs, selon lui, aboutissent à cette vésicule, qui, étant agitée par les osselets, transmet son agitation au nerf, de même que le crystallin transmet les rayons au fond de l’œil. Fabricius d’Aquapendente avoit à-peu-près le même sentiment que Eustachi ; il s’étoit imaginé que les osselets portoient leur agitation dans l’air interne, de même qu’une poutre frappée à un bout, porte le coup à l’autre extrémité : la fenêtre ronde, selon lui, servoit au son grave, & l’ovale au son aigu ; il ne donnoit d’autre usage à la coquille & au labyrinthe, que d’empêcher les réflexions du son. Casserius a nié qu’il y eût un air interne, & lui a substitué un nerf ; tous les autres auteurs anciens ont suivi ces sentimens, qui ne méritent pas d’être réfutés.

Les nouvelles découvertes des Anatomistes ont augmenté l’embarras, & nous ont confirmé dans le doute, en développant à nos yeux un organe si compliqué, qu’il faut employer un tems considérable, les recherches les plus délicates & les plus assidues, pour connoître les détours de cet organe. Après qu’on est venu à bout d’en déterminer l’usage général, sçavoir la perception du son, on trouve de grandes difficultés sur l’usage particulier de chaque partie, & finalement sur l’explication de ce phénomene embarrassant, je veux dire la susceptibilité de l’oreille à recevoir des impressions agréables qui se font en elle suivant une proportion particuliere. L’on peut donc assurer que ce sujet servira d’occupation infructueuse aux siecles à venir, jusqu’à ce qu’il plaise au créateur d’introduire nos neveux dans le labyrinthe de cet organe, & leur en découvrir le mystere.

Mais il faut convenir que, quoique l’industrie humaine ne suffise pas pour le dévoiler, ce que nous en savons suffit pour nous prouver la beauté de l’ouvrage d’un excellent artiste, & pour exciter notre admiration.

La perfection de l’oreille est supérieure à celle des yeux ; ce sens est plus parfait dans son genre, que le sens de la vue ne l’est dans le sien, & même comme M. Auzout l’a jadis remarqué, de tous les sens il n’y a que l’ouie qui juge non-seulement de la dif-