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moins, les planter en pépiniere comme les plants venus de semence, si ce n’est qu’il faut mettre ces racines du double plus proche, parce qu’il en manque beaucoup. C’est une bien foible ressource.

Enfin, on peut greffer les ormes à larges feuilles sur l’espece commune. On se sert pour cela de la greffe en écusson à œil dormant. Ces greffes réussissent aisément, & poussent l’année suivante d’une force étonnante. Souvent elles s’élevent à plus de neuf piés ; ainsi, il faut les soigner habituellement. Voyez Greffer.

De tous les arbres forestiers l’orme est celui qui réussit le mieux à la transplantation. Fût-il âgé de vingt ans, il reprendra pourvu qu’il ait été arraché avec soin. Dans ce cas, il ne faut point les étêter, mais couper toutes les branches latérales, & ne leur conserver qu’un sommet fort petit. Cependant les arbres de deux à trois pouces de diametre sont les plus propres à transplanter. Il faudra s’y prendre de bonne heure en automne, & même dès la fin d’Octobre, si le terrein est humide & gras ; car les racines de cet arbre sont sujettes à se pourrir, quand elles n’ont pas eu le tems de s’affermir, & de se lier à la terre. On risquera moins d’attendre les jours sereins qui annoncent le printems. On se gardera de planter cet arbre profondement : il veut vivre des sucs les plus qualifiés de la surface ; d’où il arrive qu’il envahit le terrein circonvoisin, & qu’il est très-nuisible aux plantes qu’on veut y faire venir. Presque tous les jardiniers ont la fureur de couper à sept piés tous les arbres qu’ils transplantent : il semble que ce soit un point absolu, au-delà duquel la nature soit dans l’épuisement. Ils ne voyent pas que cette misérable routine de planter des arbres si courts retarde leur accroissement, & les prépare à une défectuosité qui n’est pas réparable. De tels arbres font toujours à la hauteur de sept piés un genou difforme, d’un aspect très-désagréable. Il faut donc planter les ormes avec quatorze piés de tige, pourvu qu’ils aient deux ou trois pouces de diametre. On les laisse pousser & s’amuser pendant quelques années au-dessous de dix piés, ensuite on les élague peu-à-peu pour ne leur laisser que les principales tiges qui s’élancent en tête. C’est ainsi qu’on en peut jouir promptement, & qu’on leur voit faire des progrès que l’agrément accompagne toujours.

On peut tailler l’orme autant que l’on veut sans inconvénient : l’élaguer, le palissader, l’étêter, au ciseau, à la serpe, au croissant ; il souffre la tonte en tout tems, pourvu que la seve ne soit pas en plein mouvement. Il croît même aussi promptement lorsqu’on le restraint à une petite tête, que quand on le laisse aller avec toutes ces branches : je donne ce dernier fait sur le rapport de M. Ellis, auteur anglois, aussi versé qu’accrédité sur cette matiere.

Il est assez difficile de régler la distance qu’on doit donner aux ormes pour les planter en avenues, en quinconce, &c. Cela doit dépendre principalement de la qualité du terrein, ensuite de la largeur qu’on veut donner aux lignes ; enfin, du plus ou moins d’empressement que l’on a de jouir. La moindre distance pour les grands arbres est de douze piés : cependant on peut encore réduire cet arbre à un moindre éloignement, & même le planter aussi serré que l’on voudra. Les ormes, dit encore M. Ellis, sont de tous les arbres ceux qui se nuisent le moins, & qui dans le moindre espace deviennent les plus gros arbres ; & cela, ajoute-il, parce qu’on peut leur former & qu’ils ont naturellement une petite tête. Il en donne encore d’autres raisons physiques, que l’étendue de cet ouvrage ne permet pas de rapporter. L’orme, dit-il, arrive à sa perfection en 70 ans. Ses racines n’épuisent pas la terre comme celle du chêne & du frêne. Son ombre est saine tant pour les

hommes que pour le bétail, au-lieu que le chêne, le frêne & le noyer donnent un ombrage pernicieux. L’orme est excellent à mettre dans les haies autour des héritages : on en coupera les grosses branches pour le chauffage. Ce retranchement ne lui laissant qu’une petite tête, empêchera ses racines de s’étendre & de nuire aux grains. Lorsque ces arbres seront trop âgés, il faudra les étêter pour les renouveller ; mais avoir grand soin de faire la coupe tout près du tronc, & de couvrir le sommet de terre grasse pour empêcher la pourriture. La racine de l’orme pénétre aussi profondément dans la terre que celles du chêne ; elle a souvent une fourchette au-lieu d’un pivot, & quelquefois deux & trois ; mais il n’appauvrit pas la terre comme le frêne.

L’orme est d’une grande ressource pour la décoration des jardins. Il se prête & se plie à toutes les formes. On en peut faire des allées, des quinconces, des salles de verdure, &c. mais il convient surtout à former de grandes avenues par rapport à sa vaste étendue & à son grand étalage. Cet arbre est très-propre à faire des portiques en maniere de galerie, tels qu’on les voit d’une exécution admirable dans les jardins du château de Marly. On en peut faire aussi de très-hautes palissades qui réussiront dans des endroits où la charmille & le petit érable refusent de venir. On l’admet encore dans les parties de jardin les mieux tenues & les plus chargées de détail, où par le moyen d’une taille réguliere & suivie, on fait paroître l’orme sous la forme d’un oranger, dont le pié semble sortir d’une caisse de charmille ; mais cet arbre réunit encore l’utilité aux agrémens les plus variés.

Le bois de l’orme est jaunâtre, ferme, liant, très fort & de longue durée. Il est excellent pour le charronage. Ce bois seul peut servir à former tous les différens ouvrages de ce métier. C’est le meilleur bois qu’on puisse employer pour les canaux, les pompes, les moulins, & généralement pour toutes les pieces qu’on veut faire servir sous terre & dans l’eau. On peut laisser les ormes en grume pendant deux ou trois ans après qu’ils sont abattus, sans qu’il y ait à craindre que le ver ne s’y mette, ni que la trop vive ardeur du soleil les fasse fendre. Durant ce tems même l’aubier deviendra aussi jaune que le cœur. Ce bois n’est sujet ni à se gerser, ni à se rompre, ni à se tourmenter, ce qui le rend d’autant plus propre à faire des moyeux, des tuyaux, des pompes, & tous autres ouvrages percés, qui seront de plus longue durée que le hêtre ni le frêne : mais on observe que le bois des ormes qui sont venus dans un terrein graveleux est cassant, que les Charrons le dédaignent, & préférent au contraire les arbres qui ont pris leur accroissement dans la glaise. Les Carrossiers, les Menuisiers, les Tourneurs, &c. font usage de ce bois. Il est aussi dans la construction des vaisseaux pour les parties qui touchent l’eau. On peut mettre en œuvre des planches d’ormes fraîchement travaillées, sans aucun risque de les voir se gerser, se dejetter ou se tourmenter, si l’on prend la précaution de les faire tremper pendant un mois dans l’eau. Enfin le bois de l’orme fait un très-bon chauffage.

On prétend que ses fleurs sont nuisibles aux abeilles, & ses graines aux pigeons : mais ces feuilles sont une excellente nourriture en hiver pour les moutons, les chévres, & sur tout pour les bœufs, qui en sont aussi friands que d’avoine. Pour conserver ces feuilles, on coupe le menu branchage d’orme à la fin d’Août, & on le fait sécher au soleil.

Par la piquure des insectes auxquels l’orme est sujet, il se forme assez souvent des vessies creuses, dans lesquelles on trouve un suc visqueux & balsa-