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turne & Ops étoient époux, & que c’étoit à eux qu’on devoit l’art de semer le blé & de cultiver les fruits : c’est pourquoi l’on ne célebroit les opalies qu’après la moisson, & l’entiere recolte des fruits. Le même auteur remarque que l’on faisoit des prieres à cette déesse en s’asseyant sur les terres, pour montrer qu’elle étoit la terre, & la mere de toutes choses ; & qu’on faisoit des festins aux esclaves qu’on avoit occupés pendant l’année aux travaux de la campagne.

OPAQUE, corps, adj. (Phys.) les opaques sont ceux qui ne laissent point passer la lumiere. Plusieurs philosophes croient que l’opacité des corps vient de ce que leurs pores sont dans une position oblique & courbe, ensorte que la lumiere n’y peut pas passer librement à-travers, comme elle fait à-travers les corps transparens ; d’où il arrive que tenant les corps opaques contre le jour, on ne peut pas y voir à-travers. Ce qui semble confirmer cette idée, c’est que les corps minces sont presque tous plus ou moins transparens, parce qu’alors leurs pores ayant peu de longueur, peuvent être regardés comme droits, par la même raison qu’on peut regarder comme des lignes la portion très-petite d’une courbe.

D’autres croient que la transparence des corps vient de l’analogie ou affinité qu’il y a entre les parties de ces corps & les parties de la lumiere, analogie qui les rend propres à nous la transmettre. Voyez Opacité.

OPATOW, (Géog.) petite ville de Pologne au Palatinat de Sendomir, & à quatre milles de la ville de ce nom. Long. 49. 50. lat. 50. 25. (D. J.)

OPERA, s. m. (Belles lett.) espece de poëme dramatique fait pour être mis en musique, & chanté sur le théâtre avec la symphonie, & toutes sortes de décorations en machines & en habits. La Bruyere dit que l’opéra doit tenir l’esprit, les oreilles & les yeux dans une espece d’enchantement : & Saint-Evremont appelle l’opéra un chimérique assemblage de poésie & de musique, dans lequel le poëte & le musicien se donnent mutuellement la torture. L’anglois porte cramp. Voyez Poeme lyrique.

Nous avons reçu l’opéra des Vénitiens, parmi lesquels il fait le principal amusement du carnaval. Voyez Comédie.

Tandis que le théâtre tragique & comique se formoit en France & en Angleterre, l’opéra prit naissance à Venise. L’abbé Perrin, introducteur des ambassadeurs auprès de Gaston, duc d’Orléans, fut le premier qui tenta ce spectacle à Paris, & il obtint à cet effet un privilege du roi en 1669. L’opéra ne fut pas long-tems à passer de France en Angleterre.

L’auteur du spectateur (Adisson) observe que la musique françoise convient beaucoup mieux à l’accent & à la prononciation françoise que la musique angloise ne convient à l’accent & à la prononciation angloise, & qu’elle est même plus convenable à l’humeur gaie de la nation françoise. Voyez Récitatif.

Il est certain que le spectacle que nous nommons opéra, n’a jamais été connu des anciens, & qu’il n’est, à proprement parler, ni comédie, ni tragédie. Quoique Quinault & Lully, & depuis plusieurs autres poëtes & musiciens en aient donné de fort beaux : on n’en peut citer qu’un très-petit nombre dans lesquels se trouvent tout-à-la-fois réunis les merveilleux des machines, la magnificence des décorations, l’harmonie de la musique, le sublime de la poésie, la conduite du théâtre, la régularité de l’action, & l’intérêt soutenu pendant cinq actes. Il est rare que quelqu’une de ces parties ne se démente. D’ailleurs les ballets sont composés d’entrées dont les sujets sont différens, n’ont souvent qu’un

rapport arbitraire & très-éloigné, & dont on peut dire avec Despreaux,

Que chaque acte en la piece est une piece entiere.


Cette irrégularité si palpable fait penser que le nom de poëme dramatique ne convient pas à l’opéra, & qu’on s’exprimeroit beaucoup plus exactement en l’appellant un spectacle : car il semble qu’on s’y attache plus à enchanter les yeux & les oreilles, qu’à contenter l’esprit.

Il y a à Rome une espece d’opera spirituel, qu’on donne fréquemment pendant le carême. Il consiste en dialogue, duo, trio, ritournelles, chœurs, &c. Le sujet en est toujours pris ou de l’Ecriture, ou de la vie de quelque saint : en un mot, de quelque matiere édifiante. Les Italiens l’appellent oratorio ; les paroles sont souvent en latin, & quelquefois en Italien.

Je desire qu’on me permette d’ajouter quelques réflexions sur ce spectacle lyrique. Un opéra est, quant à la partie dramatique, la réprésentation d’une action merveilleuse. C’est le divin de l’épopée mis en spectacle. Comme les acteurs sont des dieux ou des héros demi-dieux, ils doivent s’annoncer aux mortels par des opérations, par un langage, par une inflexion de voix qui surpasse les lois du vraissemblable ordinaire. Leurs opérations ressemblent à des prodiges. C’est le ciel qui s’ouvre, le chaos qui se dissipe, les élemens qui succedent, une nuée lumineuse qui apporte un être céleste ; c’est un palais enchanté qui disparoît au moindre signe, & se transforme en désert, &c.

Mais comme on a jugé à propos de joindre à ces merveilles le chant & la musique, & que la matiere naturelle du chant musical est le sentiment, les artistes ont été obligés de traiter l’action pour arriver aux passions, sans lesquelles il n’y a point de musique, plutôt que les passions pour arriver à l’action ; & en conséquence il a fallu que le langage des acteurs fût entierement lyrique, qu’il exprimât l’extase, l’enthousiasme, l’ivresse du sentiment, afin que la musique pût y produire tous ses effets.

Puisque le plaisir de l’oreille devient le plaisir du cœur, de-là est née l’observation qu’on aura faite, que les vers mis en chant affectent davantage que les paroles seules. Cette observation a donné lieu à mettre ces recits en musique ; enfin l’on est venu successivement à chanter une piece dramatique toute entiere, & à la décorer d’une grande pompe ; voilà l’origine & l’exécution de nos opéra, spectacle magique,

Où dans un doux enchantement
Le citoyen chagrin oublie
Et la guerre, & le parlement,
Et les impôts, & la patrie,
Et dans l’ivresse du moment
Croit voir le bonheur de sa vie.

Dans ce genre d’ouvrages le poëte doit suivre, comme ailleurs, les loix d’imitation, en choisissant ce qu’il y a de plus beau & de plus touchant dans la nature. Son talent doit encore consister dans une heureuse versification qui intéresse le cœur & l’esprit.

On veut dans les décorations une variété de scenes & de machines ; tandis qu’on exige du musicien une musique savante & propre au poëme. Ce que son art ajoute à l’art du poëte, supplée au manque de vraissemblance qu’on trouve dans des acteurs qui traitent leurs passions, leurs querelles, & leurs intérêts en chantant, puisqu’il est vrai que la peine & le plaisir, la joie, & la tristesse s’annoncent toujours ici par des chants & des danses ; mais la musique a tant d’empire sur nous, que ses expressions commandent à l’esprit, & lui font la loi.