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durcissent avec des vaisseaux cutanés qui se soudent ; & l’épiderme se joignant à ces mamelons vers la racine de l’ongle, leur sert comme de gaine. De tout cela résulte un amas de fibres déliées, & fortement collées ensemble, qui viennent de toute la partie de la peau qu’elles touchent, & qui forment plusieurs couches appliquées étroitement les unes sur les autres. Ces couches n’ont pas la même longueur, & sont arrangées par degré de telle façon, que les extérieures sont les plus longues, & les intérieures les plus courtes. Enfin elles se séparent aisément par la macération : mais pour mieux développer encore la formation & la structure des ongles, nous allons emprunter les lumieres de M. Winslow.

La substance des ongles, dit-il, est comme cornée & composée de plusieurs plans ou couches longitudinales soudées ensemble. Ces couches aboutissent à l’extrémité de chaque doigt. Elles sont presque d’une égale épaisseur ; mais elles sont différentes en longueur. Le plus externe de ces plans est le plus long, & les plans intérieurs diminuent par degré jusqu’au plan le plus interne, qui est le plus court de tous ; de sorte que l’ongle augmente par degré en épaisseur depuis son union avec l’épiderme, où il est le plus mince, jusqu’au bout du doigt, où il est le plus épais. Les extrémités graduées, ou racines de toutes les fibres, dont ces plans sont composés, sont creuses, pour recevoir autant de mamelons très menus & fort obliques qui y sont enchâssés. Ces mamelons sont une continuation de la vraie peau, qui étant parvenue jusqu’à la racine de l’ongle, forme une repli semi-lunaire, dans lequel la racine de l’ongle se niche.

Après ce repli semi-lunaire, la peau se continue sous toute la surface interne de l’ongle, & les mamelons s’y insinuent comme on vient de le dire. Le repli de la peau est accompagné de l’épiderme jusqu’à la racine de l’ongle extérieurement, & il est très-adhérent à cette racine.

On distingue communément dans l’ongle trois parties ; savoir, la racine, le corps, & l’extrémité. La racine est blanche & en forme de croissant. Elle est cachée entierement, ou pour la plus grande partie, sous le repli semi-lunaire dont nous venons de parler. Le croissant de l’ongle & le repli de la peau sont à contre-sens l’un de l’autre. Le corps de l’ongle est latéralement vouté : il est transparent, & de la couleur de la peau mamelonnée. L’extrémité ou le bout de l’ongle n’est attaché à rien, & croît toujours à mesure que l’on le coupe.

Les Anatomistes qui attribuent l’origine des ongles aux mamelons de la peau, expliquent par ce moyen plusieurs phénomenes au sujet des ongles. Ainsi, comme les mamelons sont encore tendres à la racine de l’ongle, de-là vient qu’il est si sensible à cet endroit ; & comme plus l’extrémité des mamelons s’éloigne de la racine, plus cette extrémité se durcit, cela fait qu’on peut couper le bout des ongles sans causer un sentiment de douleur.

Comme ces mamelons & ces vaisseaux soudés qui forment l’ongle viennent de la peau par étages, tant à la racine qu’à la partie inférieure, c’est pour cela que les ongles sont plus épais, plus durs, & plus forts en s’avançant vers l’extrémité ; à cause que naissans de toute la partie de la peau qu’ils touchent, les mamelons augmentent en nombre de plus en plus, & vont se réunir au bout des ongles. C’est aussi par le moyen de ces mamelons que les ongles sont fortement attachés à la peau qui est au-dessous. Cependant, on peut aisément les en séparer dans les cadavres par le moyen de l’eau chaude.

Quant à la nourriture & à l’accroissement des ongles, on l’explique en disant que, comme les au-

tres mamelons de la peau ou des vaisseaux qui leur

portent la nourriture, les mamelons des ongles en ont aussi de semblables à leur commencement. De ces mamelons, qui sont les racines, il sort des fibres qui s’alongent, se collent ensemble & se durcissent ; & de cette maniere les ongles se nourrissent & croissent couche sur couche en naissant de toute la partie de la peau qu’ils touchent, comme il a été expliqué ci-dessus.

Les ongles, pendant la vie, croissent toujours ; c’est pourquoi on les rogne à mesure qu’ils surpassent les extrémités des doigts. Les Romains se les faisoient couper par des mains artistes ; les nègres de Guinée les laissent croître comme un ornement, & comme ayant été faits par la nature pour prendre la poudre d’or.

C’est une erreur populaire en Europe, d’imaginer que les ongles croissent après la mort. Il est facile de se convaincre de la fausseté de cette opinion, pour peu qu’on entende l’économie animale : mais ce qui a donné lieu à cette erreur, c’est qu’après la mort les extrémités des doigts se dessechent & se retirent, ce qui fait paroître les ongles plus longs que durant la vie ; sans compter que les malades laissent ordinairement croître leurs ongles sans les couper, & qu’ainsi ils les ont souvent fort longs quand ils viennent à mourir après une maladie qui a duré quelque tems.

Quelquefois on apperçoit une tache à la racine de l’ongle, & l’on remarque qu’elle s’en éloigne à mesure que l’ongle croît, & qu’on la coupe : cela arrive ainsi, parce que la couche qui contient la tache étant poussée vers l’extrémité par le suc nourricier qu’elle reçoit, la tache doit l’être pareillement. La même chose arriveroit si la tache se rencontroit ailleurs qu’à la racine.

Quand un ongle est tombé, à l’occasion de quelqu’accident, on observe que le nouvel ongle se forme de toute la superficie de la peau, à cause que les petites fibres qui viennent des mammelons, & qui se collent ensemble, s’accroissent toutes en même tems.

La grande douleur que l’on ressent quand il y a quelque corps solide enfoncé entre l’ongle & la peau, ou quand on arrache les ongles avec violence ; cette douleur, dis-je, arrive à cause que leur racine est tendre & adhérente aux mamelons de la peau, qui sont proprement les organes du toucher & du sentiment ; de sorte que la séparation des ongles ne peut pas se faire sans blesser ces mamelons, & par conséquent, sans occasionner de très-vives douleurs.

Au reste, comme on l’observe, quand les mamelons sont anéantis quelque part, la peau perd son propre sentiment en cet endroit ; on peut aussi conjecturer que lorsqu’ils sont anéantis à l’endroit des ongles, de nouveaux ongles ont de la peine à se produire.

Les usages des ongles sont principalement les suivans : 1°. ils servent de défense aux bouts des doigts & des orteils, qui, sans leur secours, se blesseroient aisément contre les corps durs. 2°. Ils les affermissent, & empêchent qu’en pressant ou en maniant des choses dures, les bouts des doigts & des orteils ne se renversent contre la convexité de la main ou du pié ; car dans les doigts, c’est du côté de la paume de la main, & dans les orteils, c’est du côté de la plante du pié que se font les plus fréquentes & les plus fortes impressions quand on manie quelque chose, ou quand on marche : c’est pourquoi l’on peut dire, que non-seulement les ongles tiennent lieu de boucliers, mais qu’ils servent sur-tout comme d’arc-boutans. 3°. Ils donnent aux doigts de la main la facilité de prendre & de pincer les corps qui échaperoient ai-