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il est aisé de voir que les équations de la courbe & de l’ombre seront aussi du même degré. On peut voir le détail de la démonstration dans l’ouvrage cité de M. l’abbé de Gua. (O)

Sur la génération des courbes par les ombres, voyez l’article Courbe.

Ombre, (Géog.) obscurité causée par un corps opaque opposé à la lumiere ; la Géographie considere principalement l’ombre causée dans la lumiere du soleil, & en tire plusieurs usages que nous allons expliquer sommairement.

Les hommes ont remarqué de bonne-heure que lorsque le soleil éclaire l’hémisphere où ils sont, tous les corps élevés, comme les arbres, les hommes eux-mêmes, jettent une ombre ; mais elle ne va pas toujours du même côté. Elle est infailliblement en ligne droite avec le corps opaque & le soleil ; & comme cet astre parcourt successivement divers points de l’horison, l’ombre le suit fidellement dans son cours, & est tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. Par exemple, si l’on plante perpendiculairement une perche bien droite dans un champ, après en avoir observé l’ombre à midi, on verra que l’ombre de six heures du matin & de six heures du soir, font ensemble une ligne droite qui coupe à angles droits l’ombre du midi au pié de la perche. A quelque heure du jour que ce soit, l’ombre que jette un corps élevé perpendiculairement est toujours en droite ligne avec le corps lumineux.

Les soleil semble sortir de l’horison, il s’éleve jusqu’à midi, après quoi il descend, & se perd dans l’horison qui nous le dérobe peu à peu, & enfin il disparoît entierement. Ces différens degrés de hauteur mettent une extrème variété entre les différentes longueurs des ombres. Plus il est bas, plus elles sont longues ; plus il est haut, plus elles sont courtes. Il s’ensuit qu’étant au point de midi dans la plus grande hauteur où il puisse être ce jour-là ; l’ombre la plus courte est celle que donne alors le corps élevé.

Le soleil n’est pas toujours dans la même hauteur à son midi par rapport à nous : durant les équinoxes, il est dans l’équateur : il s’en écarte ensuite pour s’avancer de jour en jour vers l’un ou vers l’autre tropique. Quand il est au tropique du capricorne, ce qui arrive au solstice d’hiver, il est dans son plus grand éloignement par rapport à nous. Il s’éleve beaucoup moins haut que quand il est dans l’équateur, & par conséquent l’ombre du midi, quoique la plus courte de celles de tout ce jour-là est plus longue à proportion, que celles du midi des jours où il est dans l’équateur.

Après être arrivé au tropique d’hiver, il se rapproche de jour en jour de l’équateur, & la longueur de l’ombre à midi décroît à proportion jusqu’à l’équinoxe du printems, alors il avance vers le tropique du cancer, & comme par-là il se rapproche encore plus de nous, l’ombre de midi continue à s’accourcir à proportion, parce qu’alors il s’éleve d’autant plus par rapport à notre pays.

Il est donc aisé de comprendre que les saisons mettent une grande différence entre la longueur des ombres à midi. Celles du solstice d’été sont les plus courtes ; celles du solstice d’hiver sont les plus longues ; celles des équinoxes sont moyennes entre ces deux longueurs. Plus les climats que nous habitons sont éloignés de l’équateur terrestre (car la terre a aussi le sien) plus l’ombre méridienne d’un corps élevé doit être longue, à proportion de l’éloignement. Cela s’ensuit naturellement des principes qui viennent d’être déduits. Prenons un même jour, par exemple, le premier Juin à midi, l’ombre d’une perche de douze piés sera plus longue en Suede qu’à Paris, & à Paris qu’à Alger. Cela est facile à concevoir.

Ceci posé, l’ombre peut servir à connoître combien les lieux sont plus proches ou plus éloignés de l’équateur ; elle peut aussi servir à déterminer la durée des saisons ; aussi voyons-nous que dans la plus haute antiquité, les nations savantes ont élevé des colonnes ou des obélisques, dont l’ombre étant observée par d’habiles gens, servoit à déterminer le cours du soleil & les saisons qui en dépendent.

Ces colonnes, ces obélisques des anciens surmontés d’une boule, n’étoient pas un simple ornement, mais un instrument de mathématique qui servoit à décrire sur le terrein par le moyen de l’ombre, le chemin que le soleil fait ou semble faire dans le ciel. Une preuve décisive de l’ancienneté de ces obélisques ; c’est qu’on en voit sur des médailles grecques antiques, & antérieures à Pythéas de Marseille. Telle est entr’autres celle de Philippe, roi de Macédoine, rapportée par Goltzius. t. III. tab. xxx. n. 5.

L’ombre d’un obélisque à sa pointe, répond au bord supérieur du soleil : pour avoir le point central du soleil, il faut quelque chose qui rectifie cela. En mettant une boule, le centre de l’ombre qu’elle forme, donne ce point sans autre opération, ce qui est une facilité. La différence qui résulte du calcul de l’ombre d’un obélisque, avec, ou sans cette boule, est considérable, puisqu’elle est de tout le demi-diametre du soleil ; & cette différence doit être observée pour la justesse du calcul astronomique.

Ces obélisques ont été appellés gnomon, γνώμων, mot qui en grec signifie ce qui montre, ce qui marque, ce qui fait connoître, & que l’on a adopté en notre langue. La science de l’ombre a recommencé à être cultivée avec succès en ces derniers siecles, & a produit cette variété prodigieuse de cadrans solaires pour toutes les expositions possibles.

Ce que nous avons dit jusqu’à présent des ombres ne convient généralement qu’aux peuples situés entre l’équateur & le pole septentrional, vers lequel leur ombre est toujours tournée à midi. Au-de-là de l’équateur, c’est tout le contraire. L’ombre d’un objet élevé se tourne toujours vers le sud, lorsqu’il est midi. Cela se conclud sans peine du principe général, que l’ombre est toujours opposée en droite ligne au corps lumineux. Puisque les habitans de ce pays-là sont entre la ligne du soleil & le pole méridional, il faut qu’à midi leur ombre soit tournée nécessairement vers ce pole.

Pour distinguer les ombres, on les nomme du nom de la partie du monde vers laquelle elles se jettent ; l’ombre d’une pyramide à six heures du matin est occidentale, à midi septentrionale pour nous, meridionale pour les peuples au-delà de l’équateur, & à six heures du soir elle est orientale ; ceci n’a pas besoin d’être prouvé.

Les Grecs appellent l’ombre σκία ; de-là viennent tous ces mots terminés en scii, & formés de diverses propositions, comme α, sans ; ἀμφὶς, de deux côtés ; περὶ, tout à l’entour, ou du mot ἑτερος, l’un ou l’autre ; & ces mots que les géographes latins ont emprunté des Grecs, ont servi à distinguer les habitans du globe terrestre par la différence des ombres.

Ainsi on appelle asciens, ascii, du mot ἀσκιος, sans ombre, les peuples qui à midi n’ont point d’ombre, ce qui ne convient qu’aux peuples situés entre deux tropiques : car en certains tems de l’année, ils ont à midi le soleil à leur zénith ; ou pour dire la même chose en termes vulgaires, le soleil passe à plomb sur leurs têtes, de façon que leur ombre est alors sous eux. Cela n’arrive pas en même tems à tous les peuples situés entre les deux tropiques, mais successivement & à mesure que le soleil s’approche du tropique vers lequel ils sont ; par exem-